QUELLE
CATASTROPHE ! |
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EXPOSITION DU
20 JANVIER AU 7 MAI 2005 commissaire d'exposition conférence |
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Pour désigner
les événements malheureux et imprévus, le discours
journalistique a aujourd'hui une échelle dont le mot "catastrophe"
occupe l'échelon supérieur, au-dessus de "drame"
et de "tragédie". Il n'en a pas toujours été
ainsi. D'abord parce qu'il a fallu attendre le XVIIIe siècle
pour que la presse s'éveille vraiment au formidable pouvoir d'attraction
des désastres en tous genres ; ensuite parce que le mot "catastrophe"
n'a eu longtemps que son sens technique de "dernier et principal
événement d'une tragédie". Un des premiers
à employer le mot dans son sens nouveau est Usbek dans les Lettres
persanes (1721) : "Je ne te parlerai pas de ces catastrophes particulières,
si commune chez les historiens, qui ont détruit des villes et
des royaumes entiers : il y en a de générales, qui ont
mis bien des fois le genre humain à deux doigts de sa perte". À propos
des inondations, Roland Barthes a montré comment elles peuvent
être productrices d'euphorie : "L'Arche est un mythe heureux
: l'humanité fait sortir du malheur même l'évidence
que le monde est maniable". Ce principe est à l'uvre
dans la monumentale Arche de Noé due à l'imagination d'Athanasius
Kircher (1675). Les représentations textuelles ou visuelles des
volcans et des tremblements de terre hésitent elles aussi entre
l'espoir d'un contrôle par la raison et le cur (pompes à
incendie, organisation de la charité), la terreur sacrée,
et le plaisir esthétique du spectacle sublime. À propos
de la débâcle de la Saône, un journaliste de 1789
s'exclame : "Je ne sais s'il s'est vu un spectacle si propre à
consterner, et en même temps plus digne d'admiration : on peut
le dire, c'était une belle horreur". Les catastrophes sont également l'objet d'une intense récupération idéologique. Bien avant que le maréchal de Mac-Mahon ne prononce son fameux "Que d'eau ! Que d'eau !" devant les crues de la Garonne en 1875, les chefs d'État avaient compris que leur place était autant sur le lieu des désastres que sur les champs de bataille. L'Église n'est pas en reste : une affiche représente l'archevêque de Lyon sauvant un enfant emporté par les flots de la Saône en 1840. En 1773, François Marin, rédacteur de la très officielle Gazette de France et auteur de théâtre, défend sa conception d'un journalisme plus sensationnel : "L'Auteur de la Gazette croit devoir se justifier d'un reproche qu'on lui a fait plusieurs fois. On s'est plaint qu'il parle trop souvent de ces événements funestes et qu'il entre dans des détails capables d'effrayer l'imagination des lecteurs ". Mais la presse périodique du XVIIIe siècle est structurellement inadaptée pour dire la catastrophe : pas d'effets typographiques, pas d'images. Les journaux populaires du XIXe siècle s'inspireront plutôt d'autres modèles d'information, comme les canards, les almanachs illustrés, les gravures de colportage et même les estampes religieuses, telle cette "copie bénite pour être distribuée dans tout le Royaume", imprimée à l'occasion d'un tremblement de terre à La Martinique et censée garantir contre diverses manifestations de la colère divine. On voit donc se mettre en place les modes de représentation de la catastrophe qui nous sont devenus familiers. Mais bien des progrès restaient à faire, et notre modernité allait bientôt s'enrichir de catastrophes insoupçonnées : industrielles, nucléaires et écologiques. Denis
Reynaud Nous n'imaginions pas, évidemment, en préparant avec l'Université Lumière Lyon 2, une exposition sur la représentation de la catastrophe qu'une actualité tragique viendrait faire écho, 250 ans plus tard, au tremblement de terre de Lisbonne. La force de l'événement ne doit cependant pas nous interdire de réfléchir rétrospectivement à ses usages médiatiques. Là réside tout l'intérêt de l'approche historique. Patrick
Bazin |