les collections photographiques de la Bibliothèque municipale de Lyon
La Bibliothèque municipale de Lyon offre
une place de choix à la photographie.
Fortes de plusieurs milliers de tirages photographiques ses collections
regroupent entre autres, des oeuvres historiques des frères Lumière,
Félix Nadar, Blanc et Demilly, André Kertesz, Brassaï,
Pierre Molinier, Hans Namuth, Edouard Boubat, Jean Dieuzaide, Robert Doisneau,
René-Jacques, Willy Ronis, William Klein, Raymond Depardon et bien
d'autres.... Ces auteurs nous permettent de parcourir l’histoire de
la photographie depuis plus d'un siècle, avec une large représentation
des photographes humanistes français.
En dehors des nombreux modes de communication dont disposent les institutions
pour rendre compte de la richesse de leurs collections, les expositions restent
le moment privilégié où le visiteur peut réellement
saisir la subtilité de l'art photographique. Les salles d'exposition
sont donc régulièrement dédiées à l'image
fixe démontrant une fois de plus l'intérêt de la bibliothèque
de Lyon pour cet art et le rôle indéniable que d'illustres lyonnais
ont joué dans l'histoire de la photographie.
En cette année 2004, réaliser une exposition - rétrospective
de l'œuvre de Jean Dieuzaide (1921-2003) nous est apparue comme évidente
; en effet rendre hommage à cet artiste dont nous possédons
la plus importante collection publique et conjuguer avec nos amis des Gens
d'Images le jubilé de leur association - Jean Dieuzaide fut le premier
lauréat voilà cinquante ans du prix Niepce et quelques années
plus tard du prix Nadar - était sans aucun doute une occasion à
ne pas manquer.
L'œuvre considérable de ce créateur, qui a voué
sa vie à la photographie est donc exposée du 1er octobre au
4 janvier 2005 dans les grandes salles de la Bibliothèque de Lyon.
Plus de 150 photographies témoignent de la richesse et de la cohérence
de sa démarche artistique.
Jean Dieuzaide est né le 20 juin 1921 à Grenade
sur Garonne. Il est très tôt sensibilisé aux arts, restant
attentif à ces soirées d'hiver où son père chante
les grands airs d'opéra et sa mère joue du piano. Cette enfance
harmonieuse, auprès d'un père tout à la fois tendre et
exigeant, prend fin brutalement, lorsque ce dernier décède en
1934. Jean Dieuzaide a 13 ans, c'est un élève studieux, qui
porte en lui les ambitions sociales, et les rêves de sa mère,
mais les qualités de ce père désormais absent, le marquent
à jamais ; elles forgeront en lui le sens de l'honneur, de la foi en
l'homme, ainsi que l'amour du travail bien fait.
Jean Dieuzaide est passionné par l'aéromodélisme ; bien
avant que cela ne le conduise à la photographie aérienne, il
fonde la section modèle réduit de l'Aéro-club de Cannes,
ville où il s'est installé après la disparition de son
père. Il participe ainsi à plusieurs compétitions, et
conjointement paraît de plus en plus attentif à la photographie
; il ira même jusqu'à acheter un petit Vest Pocket et à
développer lui même ses films.
Parallèlement à cela le jeune Jean travaille durement afin d'intégrer
les écoles supérieures qui l'intéressent ; mais la fatigue
et le surmenage aidant, de graves problèmes de santé l'obligent
à revenir malgré lui chez sa grand-mère. Tout en se rétablissant,
il s'emploie à parfaire son expérience photographique dans cette
région qui lui est si chère, et à laquelle il restera
fidèle sa vie durant.
C'est donc par le reportage que Jean Dieuzaide s'initie à
la photographie. Dans un premier temps en redécouvrant le terroir et
en composant de petits albums. En 1942, lors de sa mobilisation il occupe
un poste de photographe, ses images illustrent la revue des chantiers de jeunesse.
Les prises de vues de Jean Dieuzaide sont très appréciées
et cela lui vaut d'être nommé chef du service photographique
de la région Pyrénées - Gascogne. Ce retour sur Toulouse
et cette notoriété naissante encouragent chez l'artiste cette
passion zélée que nous lui connaissons.
Le 19 août 1944 lorsque Toulouse se soulève, il va à grands
risques rendre compte de la libération de sa ville ; son magnifique
portrait la même année, du Général de Gaulle lui
vaut une reconnaissance publique. Jean Dieuzaide perçoit alors que
l'expression photographique est le meilleur allié de l'événement
historique. Ces images nourrissent une presse qui ne demande qu'à se
renouveler à une période où le public est déjà
demandeur de témoignages.
Sous le pseudonyme de Yan, il devient photographe de presse. Exigeant et loyal,
il choisit de ne s'intéresser qu'aux sujets qui lui semblent dignes
d'intérêt. Il rejette systématiquement tout ce qui n'est
pas en accord profond avec ses convictions ; quel que soit le sujet abordé
une grande honnêteté prévaut à chaque prise de
vue.
Refusant de rejoindre la capitale, Jean Dieuzaide valorise la
beauté de sa région ; il observe avec bonheur les paysages du
sud, leurs reliefs, leurs particularités, les offrant à voir
sous un nouveau jour. Il répond aussi à des travaux de commande
tout en mettant en valeur la dimension artistique de la photographie. Il se
tourne vers l'édition et de nombreuses publications de ses photographies
voient le jour. Les reportages succèdent aux reportages ; son sens
de l’esthétique lui vaut de nombreuses parutions et de multiples
distinctions. Créée en 1953, l'Association des Gens d'Images
lui décerne le prix Niepce en 1954 et le prix Nadar en 1961 ; ces nominations
joueront un rôle essentiel dans la notoriété du photographe
au niveau national.
La photographie se révèle pour Jean Dieuzaide comme le moyen
d'expression le plus en harmonie avec son rapport au monde et la culture moderne
qui l'entoure. Il est un homme sensible, qui s’attache aux humbles,
aux gestes du quotidien, revendiquant la grandeur plus que l’émotion
qui se dégagent des gens simples, nous exposant sans détours
cette foi en l'autre dans ce face à face que permet la photographie.
"Chaque fois que j’ai eu l’occasion d ‘aller dans
ma campagne, je photographie les gens de la terre. Je n’oublie pas tout
ce que je leur dois… Rencontrer un paysan ou un berger, c’est
une grande leçon."
Photographier son semblable, fixer sur le papier ces traces de joie, de peur,
d'allégresse sont toujours pour l'auteur d'une grande intensité.
Il est intéressant d'ailleurs de lire ses nombreux témoignages
où il relate avec précisions ses rencontres ; certaines lui
valent d'ailleurs des souvenirs assez cocasses, d'autres de grandes colères,
mais l'honnêteté de l'homme l'emporte toujours
Le photographe s'intéresse aussi à l'aéronautique, il
répond à de nombreuses commandes et ses photographies pour Air
France ont fait le tour du monde. Notons aussi son travail rigoureux en photographie
industrielle : ses prises de vues révèlent l'aisance avec laquelle
il s'inscrit dans la matière et avec laquelle il nous rend des images
d'une composition parfaite à la limite de l'irréel, mais ne
nous y trompons pas J. Dieuzaide est avant tout un photographe de la réalité
Dans son aventure avec le brai (un composant de la houille) il nous montre
comment en partant du réel, son œuvre est à la lisière
du poétique et du rêve. L'image n'est pas née de l'imagination
de son auteur, mais de la pure réalité qu'il sait nous révéler,
tel un guide il nous conduit dans ce qu'il nomme "son aventure"
aussi étonnante qu'elle ait pu être.
Le mystère de la lumière et cette réalité invisible,
confortés par une foi profondément ancrée, conduisent
Jean Dieuzaide vers l'art roman. Le thème du religieux est souvent
traité par l'auteur. Il choisit le noir et blanc qui sont pour lui
le langage du sensible et de nombreux reportages donnent lieu à d'importantes
publications que ce soit en tant qu'auteur ou qu'illustrateur, notamment aux
Editions Arthaud.
Ainsi il écrivait il y a quelques années "Sur le plan
spirituel, le noir et blanc offre beaucoup plus de possibilité de projections
de soi-même et possède une poésie et une musique bien
plus riche… le regard glisse, découvre l'éventail fabuleux
de la gamme des tons mis à la disposition du photographe."
L'expérience photographique de Jean Dieuzaide est si variée
qu'il est difficile de résumer les thèmes traités par
cet infatigable créateur.
A l'instar de nombre de photographes, il apparaît au regard de toutes
ces démarches que le but de Jean Dieuzaide n'est pas de produire et
de défendre ses images, mais de sensibiliser le spectateur à
ce que le monde nous donne à voir dans toute les qualités de
la création photographique.
Jean Dieuzaide s'est souvent positionné en artisan de la photographie,
en illustrateur plutôt qu'en artiste et cela a longtemps desservi la
reconnaissance de la valeur artistique de son travail. Sans doute sa grande
humilité, son choix de rester loin de la capitale ont longtemps freiné
les historiens dans l'exploration de son œuvre.
La photographie apparaît comme l'essence même de l'existence de
Jean Dieuzaide, comme si le choix n'avait pas été possible,
mais dicté inconsciemment. Peu lui importe le statut ou les mots choisis,
l'important pour lui demeure "d'écrire avec la lumière".
Il déclare en 1954 : "il ne nous faut pas chercher à
faire œuvre d'art.. .mais à nous exprimer … l'esthétisme
ne doit certes pas dissimuler le message mais le renforcer ! L'œil est
gourmand et exigeant.."
Il est évident que la photographie permet à J. Dieuzaide de
manipuler la lumière et d'en révéler artistiquement la
puissance expressive, il puise dans ses convictions profondes et dépasse
l'aspect purement esthétique.
le combat en faveur de la photographie
S'il est difficile de ne rien omettre parmi les innombrables
sujets que Jean Dieuzaide traite, il est une difficulté bien plus grande
qui est celle de rendre compte de ses nombreuses préoccupations.
Jean Dieuzaide a inlassablement défendu le respect du photographe,
il s'est insurgé contre les journaux qui souvent, à cette époque,
méprisaient la photographie et son auteur. Réalisant le fait
que la photographie ne bénéficie pas au sein des milieux artistiques
et intellectuels européens du prestige dont elle jouit aux Etats-Unis,
Jean Dieuzaide n'a cessé de sensibiliser les institutions, de faire
bouger les photographes craintifs. C'est à ce titre déjà
qu'il a créé "le Groupe Libre Expression" bousculant
la rigidité "des photographes de salons". Il souhaitait aussi
valoriser le statut de la photographie, en exigeant entre autre qu'elle figure
dans le cursus universitaire.
Certain que la création photographique doit trouver sa place, et mettant
l'accent sur l'engagement insuffisant de l'Etat, il créa en 1970, avec
ses amis : Clergue, Boubat, Brihat, Gautrand, Lemagny, Sudre et quelques autres
les Rencontres Internationales de la photographie.
C'est en 1974, que Jean Dieuzaide, convaincu de la nécessité
d'œuvrer pour cet art qui lui est si cher, fonde la Galerie du Château
d'Eau. Quelle passion et quel zèle portent cet homme dans son engagement
de chaque jour, si ce n'est de remplir la mission qu'il s'est donnée
: défendre l'expression photographique.
Cette première galerie française exclusivement dédiée
à la photographie, montrera à une cadence régulière
(une exposition par mois) les plus grands noms de la photographie internationale.
Les rencontres, les conférences, les éditions se succéderont,
oeuvrant à faire connaître et reconnaître ce haut lieu
de la photographie.
D'autre part en 1977, Jean Dieuzaide alerte les pouvoirs publics sur la probable
disparition du papier photographique, après de multiples démarches
et de débats passionnés son combat aura gain de cause : les
industriels reviendront sur leurs décision d'arrêter la fabrication
du papier baryté.
Comme le montrent ses nombreuses actions cet homme humble qui se disait "un
franc-tireur de la photographie", a été animé d'une
volonté extraordinaire pour les combats qui lui paraissaient juste
de mener.
Témoin intrépide et "missionnaire visionnaire"(1)
de son époque, il a été au sens noble du terme un incontournable
acteur de l'histoire de la photographie.
Aujourd'hui plus d'un million de négatifs consciencieusement classés
et sur lesquels veille avec attention Jacqueline Dieuzaide nous laisse à
penser que l'œuvre de ce grand photographe reste encore à découvrir
; comme si nous devions à notre tour révéler ces images,
pour certaines, d'une époque révolue.
Sylvie Aznavourian
S. A. est chargée des collections photographiques
à la Bibliothèque Municipale de Lyon.
Elle y organise régulièrement des expositions de photographies.
Elle a été pendant 15 ans responsable des expositions itinérantes
à la Fondation Nationale de la photographie.
Pour les citations de Jean Dieuzaide et ref. historiques cf. : Catalogue "Jean Dieuzaide Yan" aux éditions Marval 1994, récit par Jean-Claude Gautrand.
(1)cf. : Marc Riboud.
Nombreux sont les prix, les nominations,
sollicitations de présidence de jurys, d'associations, de concours
auxquels le nom de Jean Dieuzaide est accolé.
Notons, entre autres qu'il a été lauréat du prix Niepce
en 1954, du prix Nadar en 1961. Il a été nommé Officier
de l'ordre national du Mérite et Officier dans l'ordre des Arts et
Lettres en 1981. Il a reçu le grand prix des Arts de la Ville de Paris
en 1985, la médaille d'or de la Ville de Toulouse en 1986, le sicof
d'or à Milan et la distinction Paul Harris Felow du Rotary International
en 1988. Il sera nommé Honorary Fellowship par la Royal Photographic
Society en 1994.
1950 : premier prix de la photographie sportive, Coupe de France du portrait
1952 : prix "Popular Photography"
1954 : prix Niepce
1955 : prix international de l'affiche de tourisme en couleur à New Delhi
1957 : Titre d'Excellence
1961 : prix Nadar
1966 : nommé Chevalier dans l'Ordre Nationale du Mérite
1967 : obtient la Coupe de France du paysage (FIAP)
1969 : obtient la Coupe Lucien Lorelle à Bordeaux ; nommé Membre d'Honneur de la Fédération Française de l' Art Photographique
1970 : nommé Président de la Commission Artistique de la Fédération Internationale de l'Art Photographique
1973 : nommé Membre de la Commission d'Achat des œuvres de la Ville de Toulouse
1975 : Premier photographe admis, "peintre de la marine"
1976 : nommé Président de l'ANPRI
1977 : grand prix de la quinzaine d'art en Quercy
1978 : nommé membre de la commission artistique de la Fondation Nationale de la Photographie ; Président honoraire de l ANPRI , Sociétaire du Salon d'Automne
1979 : Prix des Métiers d'Art pour la Région Midi-Pyrénées , Prix Clémence Isaure décerné par l'Académie du Languedoc
1981 : nommé Officier dans l'Ordre national du Mérite ; nommé Officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres
1982 : prix du public pour la meilleure photographie de la Kunsthalle de Cologne
1985 : grand prix des Arts de la ville de Paris
1986 : Médaille d'Or de la Ville de Toulouse
1988 : reçoit le sicof d'or à Milan, la distinction Paul Harris Felow du Rotary International
1994 : nommé Honorary Fellowship par la Royal Photographic Society
Il a été Officier de l'Ordre national du Mérite, il a été membre de nombreux Jurys, Conseils d'administration, etc