A propos de la Bibliothèque municipale de Lyon
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Prix Kowalski 2020
Décerné à Abdellatif Laâbi
Le prix Kowalski 2020, grand prix annuel de poésie de la Ville de Lyon, a été attribué à Abdellatif Laâbi pour son livre Presque riens aux éditions "Le Castor Astral", par Nathalie Perrin Gilbert, adjointe à la Culture.
Ce prix, du nom de l’illustre poète lyonnais Roger Kowalski, a été créé par la municipalité de Lyon en 1984 pour récompenser un ouvrage et valoriser des auteurs contemporains. C’est l’un des plus importants prix de poésie actuels, doté de 7500€. Attribué chaque année à un livre de poésie d’un poète vivant publié entre le 1er octobre de l’année précédente et le 1er octobre de l’année en cours, ce prix est remis au cours des manifestations du Printemps des Poètes. Le jury est constitué de poètes et de critiques qui établissent une sélection et délibèrent sous la présidence de l’adjoint à la culture de la Ville de Lyon.
"En 1976, Abdellatif Laâbi publiait aux « Inéditions barbare » un recueil de poèmes, Le Règne de Barbarie, précédé de Lettres de prison. La pauvreté voyante de l’objet, qui semblait dactylographié, faisait ressortir l’âpreté de la révolte de celui qui avait été incarcéré et torturé dans les geôles marocaines. Ont suivi des recueils très engagés, qui se sont peu à peu orientés vers une revendication plus globale pour la liberté et la dignité humaines (L’étreinte du monde, 1993). Avec son dernier livre, Presque riens, Abdellatif Laâbi se livre à une réflexion distanciée sur son parcours, avec la modestie qu’indique le titre.
Au départ, le poète avait rêvé d’un appel global à la vie, à l’amour, à la libération sociale, au partage, à la fraternité. Il avait le sentiment que les peuples étaient prêts à se lever, qu’il suffisait de se lancer dans le mouvement, de l’accompagner et de se laisser porter par lui. Mais il lui apparaît que tout est retombé, que le monde est devenu morne, plat, comme la religion qu’il récuse : « Le soleil d’Allah brille sur les tombes ».
« J’ai fait le tour de l’espoir et encore plus celui du désespoir », écrit Laâbi. Il a connu la torture physique. Il connaît maintenant les tortionnaires intérieurs, qui le harcèlent et l’entraînent là où il ne voudrait pas aller. « Le bon vieux temps » de la prison valait encore mieux, car il comportait l’espoir, même très incertain, de passer à l’étape suivante, de changer d’espace et d’époque. Maintenant, on ne peut plus faire miroiter l’avenir, c’est en nous que se trouvent les abîmes vers lesquels nous glissons. La poésie ne peut rien contre cela. « Un poète devrait mourir jeune ».
Mais contre attente, c’est au fond de cette déception que Laâbi rebondit dans un éclat de rire. Non pas un rire tonitruant, mais un humour solide autant que malicieux. C’est l’originalité et la grande nouveauté de ce dernier recueil. Il refuse de célébrer l’exil, qui est une autre forme de la torture, et d’écrire « le roman de l’exil ». Il choisit au contraire, comme il y a eu après la création un septième jour, celui du repos, une « septième vie », comme un baroud d’honneur, avec des mots futiles, dont il s’était refusé le luxe, en lâchant la bride à l’imagination, à la rêverie, en acceptant la fonction du poète qui est de chanter."
Jean-Yves DEBREUILLE, secrétaire du Prix Kowalski
JE NE M’EN FAIS PAS, poème extrait de l’ouvrage Presque riens - Abdellatif Laâbi
Depuis ce jour-là
cet instant-là
le chaos m’a happé
mes horizons de derrière
d’en haut
ont de devant
mes cieux d’en bas
d’en haut
ont été aspirés par un trou noir
slurp !
mais je ne m’en fais pas
Maintenant
L’horloge de mon cœur sonne
à des heures indues
et mes organes
s’embrouillent dans leurs fonctions
mais je ne m’en fais pas
Je ne sais pas si ce que je vis
appartient à la vie d’avant
ou à celle d’après
dont j’ai toujours douté de l’existence
dur comme fer
mais je ne m’en fais pas
Je me reconnais dans les yeux
des robots que je vois à l’écran
et trouve suspect le personnage
qui dans mes rêves parle en mon nom
mais je ne m’en fais pas
J’ai un mal de chien
à écrire
et me contente de regarder
méditer
la plupart du temps à perte
de lire
comme un dément
mais je ne m’en fais pas
Inéluctablement
le sablier de ma mémoire
se vide
le parchemin de mon histoire
rétrécit
et mes mains rapetissent
à l’avenant
mais je ne m’en fais pas
Tout cela
— sentimentalisme effréné ou excès de lucidité ? -
finira mal
très mal
selon le bruit qui court
mais je ne m’en fais pas