Alexandre Lacassagne
Mémoires du territoire, Manuscrits
Donner ses livres, c’est continuer sa vie dans l’esprit des autres
En février 1921, au terme d’une longue carrière, Alexandre Lacassagne, médecin légiste, professeur à la faculté de médecine de Lyon et médecin-expert auprès des tribunaux, donne à la Ville de Lyon l’ensemble de ses collections manuscrites et imprimées. Au total près de 12000 documents répartis en deux ensembles distincts : une bibliothèque unique de documents consacrée au médecin révolutionnaire Jean-Paul Marat (environ 760 pièces) et un fonds d’ouvrages d’études concernant les domaines de la médecine, de la philosophie, des sciences humaines et sociales.
Dès l’année suivante paraît le Catalogue du Fonds Lacassagne, ouvrage imposant de 220 pages, tiré à 300 exemplaires et préfacé par son donateur. Ce grand "lecturier", comme il aimait à se définir, y écrit quelques lignes à la gloire du livre sous le pseudonyme de Djaël : "A tout âge, le Livre est le vrai compagnon, le camarade fidèle : il apaise, console, donne patience pour user le temps. Au soir de la vie il est une force, une arme contre l’ennui, terrible compagnon des vieillards inoccupés. Reprendre et relire les ouvrages de sa jeunesse, c’est la revivre, avec les bienfaits de l’expérience acquise. Les donner enfin, n’est-ce pas continuer sa vie dans l’esprit des autres ?".
La rédaction du Catalogue est confiée à la charge de Claudius Roux (1872-1961), bibliothécaire et archiviste de la Ville, qui trie et classe la masse de documents de façon alphabétique sous 3250 rubriques-matières et quelques 5450 rubriques-auteurs. Les deux tomes initialement prévus sont finalement imprimés en un seul volume auquel la Ville alloue un crédit exceptionnel de 25000 francs. Nous livrons ci-dessous un extrait de la préface que Claudius Roux dédia au fonds Lacassagne, à son donateur et à son inventaire.
"Notice explicative" du Fonds Lacassagne, rédigée par Cl. Roux en 1922
La collection de documents qui a été offerte le 28 février 1921, à la Bibliothèque de la Ville de Lyon, par M. le Professeur Jean-Alexandre- Eugène Lacassagne, et qui compte plus de 12.000 pièces (volumes, brochures, dossiers et manuscrits), traduit et concrète fidèlement la pensée directrice de toute la carrière scientifique de son fondateur, à savoir : l’étude et la connaissance de l’Homme aux points de vue de l’Anthropologie normale et criminelle, de la Jurisprudence médicale, de la Psychologie normale et morbide, de la Pathologie médico-légale, de la Sociologie, de l’Hygiène et de la Statistique.
w Nul n’ignore en France et à l’étranger, que l’Ecole médico-légale et anthropologique lyonnaise, basée sur la méthode expérimentale et sur la philosophie positive, a brillé d’un magnifique éclat pendant les cinq septennats qui ont précédé le cataclysme de 1914. Ebauchée d’abord, de 1870 à 1880, par les médecins lyonnais Elisée Français, Horace Tavernier, Daniel Mollière, Henri Coutagne, par le Professeur Emile Gromier, premier titulaire de la chaire de Médecine légale (1877-1878) et par le Dr Etienne Clément, chargé des fonctions d’agrégé de Médecine légale (1879-1880), elle n’a pris tout son développement qu’à partir de 1880, sous la magistrale impulsion qu’a su lui donner, dès son arrivée à Lyon, le Professeur Alexandre Lacassagne et, depuis lors, elle a rayonné dans le monde entier par les oeuvres et les doctrines de son Chef et de ses Collaborateurs, par les 225 thèses de ses élèves, enfin par la diffusion des Archives d’Anthropologie criminelle, de Médecine légale et de Psychologie normale et pathologique (Lyon, Storck, puis A. Rey, éditeurs), publication dont les médecins, les juristes et les philosophes sont unanimes à regretter la cessation, survenue en 1915.
Fort heureusement, M. le Professeur Etienne Martin, le distingué successeur du Professeur Lacassagne dans la chaire de Médecine légale de Lyon, a entrepris, depuis 1921, de concert avec M. le Professeur V. Balthazard, de Paris, la publication des Annales de Médecine légale, de Criminologie et de Police scientifique, qui remplacent, en quelque sorte les Archives d’Anthropologie criminelle, mais qui paraissent à Paris (J.-B. Baillière, éditeur).
A Lyon aussi, dès l’aurore du XXe siècle, une branche nouvelle de l’Anthropologie criminelle, la Police technique et scientifique, a poussé vigoureusement sur le tronc principal, et s’est développée parallèlement, grâce aux recherches sagaces et aux initiatives heureuses du Dr Edmond Locard qui, après avoir été l’un des meilleurs disciples du Professeur Lacassagne, est devenu à son tour un maître qui fait école. Inutile de dire que les ouvrages de M. le Dr Locard et de ses collègues se trouvent dans le Fonds Lacassagne.
Ainsi, durant une quarantaine d’années, le Fonds Lacassagne s’est progressivement constitué et, grâce aux libéralités de son fondateur, n’a cessé de s’enrichir jusqu’à ce jour.
Par l’abondance et la variété de sa documentation, ce Fonds restera, dans la Bibliothèque de Lyon - comme l’est resté, pour un autre ordre d’idées, le Fonds Coste - une source de renseignements précieux pour les psychologues, les sociologues, les juristes, les criminalistes, les historiens, les médecins, les anthropologistes, et, en général, pour quiconque s’intéresse à l’évolution physique, morale et sociale de l’humanité.
A ce seul titre, et toute question personnelle mise à part, la publication du Catalogue du Fonds Lacassagne était indispensable, et il faut louer M. le Maire et le Conseil Municipal de Lyon d’avoir, par le vote d’une importante subvention, permis de fournir au public, aussi bien qu’aux spécialistes, le moyen pratique de connaître et d’utiliser, même en dehors de Lyon, cette riche source de documentation.
Une Bibliothèque moderne est mieux encore qu’un Musée de livres ; c’est un véritable restaurant où le Cerveau s’alimente. Et, de même que, dans un bon restaurant, on trouve le mets du jour et le plat de résistance, de même dans la Bibliothèque municipale de Lyon, largement ouverte à tous, et où tous les travailleurs intellectuels viennent, de plus en plus nombreux, se ravitailler librement, le Fonds Lacassagne représente, on peut le dire, le mets du jour et l’un des plats de résistance.
Son donateur a donc fait une œuvre éminemment utile, non moins que désintéressée. Il est à souhaiter que pareil exemple suscite des imitateurs qui, mettant ainsi leurs efforts individuels au service de la collectivité, donneront en même temps une forme tangible et pratique à ces trois vertus civiques si intimement unies qu’elles n’en font qu’une : la solidarité, l’altruisme et la philanthropie.
Contact : Fonds ancien