À l'occasion du bicentenaire de sa naissance, la Bibliothèque de Lyon rend hommage à Honoré Daumier, en présentant quelques oeuvres-clés de son activité. À côté de nombreuses estampes issues de la donation Gonnet-Gattefossé, figurent quelques pièces récemment acquises ainsi que des sculptures, en l'occurrence cinq bustes des Célébrités du Juste milieu, et certaines lithographies exceptionnelles prêtées par le Musée des Beaux-Arts de Lyon ou provenant d'autres établissements.
Né à Marseille le 26 février 1808, ce grand dessinateur et caricaturiste a imprimé son nom et son style à l'illustration du XIXe siècle, avec une vigueur qui ne cesse de séduire.
Par ailleurs peintre et sculpteur talentueux, il nous laisse une œuvre graphique impressionnant, où il attaque tant le pouvoir politique que les mœurs et les misères du quotidien d'une société entière.
C'est grâce à la lithographie, technique souple et efficace, que son trait incisif et moqueur inonde les pages de journaux satiriques pendant près d'une cinquantaine d'années, parvenant ainsi à toucher et sensibiliser un public très large.
L'exposition de la Bibliothèque permet d'approcher quelques moments clés de l'activité multiforme de Daumier, selon un parcours en étapes qui suit la vie de l'artiste, ses propos, ses cibles et ses prédilections.
Le quotidien illustré Le Charivari, fondé à Paris en 1832 par le Lyonnais Charles Philipon, introduit dès le départ le visiteur au cœur de l'espace de travail d'Honoré, un vaste chantier où s'est affiné progressivement, en images, son regard critique et sa position en faveur du camp républicain. À travers les portraits-charges, lithographies inspirées de ses précédents bustes sculptés, il explore sans concession les défauts physiques et moraux des personnalités attachées à la Monarchie de Juillet : parmi eux, les Lyonnais Fulchiron, député du Rhône, et Prunelle, maire de la ville. La lutte politique, dans laquelle il s'est engagé à coups de crayon, le conduit à écoper de six mois de prison ferme en 1832. Néanmoins, ce fâcheux incident ne l'empêche pas de produire de véritables chefs-d'œuvre, situés entre la caricature acerbe et le tableau d'histoire, tels les parlementaires figés du Ventre législatif ou les révolutionnaires abasourdis de 1830 dans C'était bien la peine de nous faire tuer ! (1834-1835).
Armé d'un dessin de plus en plus créatif, il tire parti de la presse lithographique pour jouer en finesse de nuances.
L'artiste enrichit son langage de parodies de la peinture ancienne ainsi que d'images symboliques, du roi Louis-Philippe en poire à l'incarnation féminine de la République.
Toutefois la censure, revenue en 1835, interdit le sujet politique dans la presse mais ouvre à Daumier un filon d'inspiration inépuisable : la vie ordinaire de la bourgeoisie parisienne.
En observateur expert des mœurs, il se moque des situations et des attitudes grotesques, raconte le revers de sentiments amoureux et familiaux ou, encore, se gausse des femmes écrivains, émancipées en "intellectuelles" (Les Bas-bleus, 1844).
Ses estampes sont le fruit d'une expérimentation en continu d'effets techniques : nouveaux cadrages, dégradés et touches de lumière, intempéries (pluie, neige) rendues grâce aux rayures et grattages réalisés sur la pierre lithographique.
L'univers de Daumier révèle aussi ses "héros" comme l'emblématique Robert Macaire, escroc bourgeois qui profite de toute situation avec son fidèle et dupe compagnon Bertrand.
Dans cette saga de cent estampes (Caricaturana, 1836-1838), l'artiste dénonce la société malhonnête et sans scrupules qui règne sous la monarchie de Juillet, touchée par un progrès non plus innocent mais porteur d'inconvénients. C'est ainsi qu'il pointe sur l'urbanisation sauvage de Paris ou les désagréments causés par les chemins de fer.
Au fil de cet itinéraire humain et artistique, Honoré Daumier nous invite donc à redécouvrir toute une époque avec ses préoccupations et ses transformations. Son regard inquisiteur et ironique transparaît dans chaque détail des lithographies exposées.
Claudio Galleri
Collection d'estampes, BM Lyon
L'exposition Le Crayon et la griffe s'attache à mettre en lumière
la richesse de la donation faite à la Bibliothèque en 2007 par la
famille Gonnet-Gattefossé, collection exclusivement consacrée à
Daumier, approchant le nombre de 3 000 pièces lithographiques.
Parmi les impressions récupérées dans les journaux, on découvre
la présence de nombreuses épreuves réalisées sur papier
blanc, dont quelques raretés "avant la lettre", c'est-à-dire avant
la rédaction de la légende au bas de l'image.
Cette collection fut l'œuvre de Charles Gonnet (1875-1953),
médecin accoucheur des Hôpitaux de Lyon originaire du
Beaujolais. Amoureux des vieux livres, il avait un faible pour les
caricatures de Daumier, qu'il prenait soin de classer par thèmes
et par séries. Beaucoup de ces estampes "sur blanc", y compris
la série complète des Robert Macaire, ont été coloriées à la main
selon un usage apprécié à l'époque par les amateurs.