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Enluminure David Ă la harpe |
On considère actuellement que la Bible hébraïque ancienne a été écrite entre le XIe et le IIe siècle avant J.-C. Elle se compose d’environ quarante-cinq « livres ». Les traductions anciennes grecques ou latines – et à leur suite, les traductions en français ou dans d’autres langues – conservent cette division en « livres ». Dès les premiers siècles de notre ère, le christianisme ajoute aux livres de la Bible, appelée alors l’Ancien Testament, vingt-sept livres qui composent le Nouveau Testament. Parmi les livres de la Bible, on distingue cinq livres poétiques : le premier d’entre eux est le Livre des Psaumes.
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Psautier, XIVe siècle |
Ce recueil – appelé aussi à l’origine, recueil des « Louanges » – est un ensemble de cent-cinquante poèmes de longueurs très variées. Près de la moitié de ces poèmes sont attribués à David – roi d’Israël au Xe siècle avant J.-C. – et on parle souvent, par extension, des Cent-cinquante Psaumes de David ou simplement des Psaumes de David pour désigner l’ensemble du Livre des Psaumes. Ce volume, quand il est isolé de la Bible, prend souvent le nom de Psautier. Le mot Psaume provient de la version grecque de la Bible qui parle de Psaltérion ou Psalmoï. Ces mots renvoient à un instrument de musique à cordes pincées et il semble que de tout temps, on ait associé les psaumes avec la musique.
Si l’on trouve dans cet ensemble des psaumes de « louange » comme le souligne le titre original, ces cent-cinquante poèmes présentent un très large éventail de thèmes : prières d’appel au secours, de demande de pardon, de confiance en Dieu, etc. mais aussi instructions religieuses. C’est vraisemblablement cette richesse thématique, associée à une présentation poétique, qui a fait le succès particulier de ce livre.
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Portraits de Clément Marot, estampe. |
Le passage de la poésie hébraïque ancienne des « Louanges » à sa traduction en grec puis aux traductions latines et finalement aux traductions en vers français a nécessairement demandé des adaptations. De même, l’interprétation des textes selon les différents sens théologiques a conduit à d’importantes différences dans les versions françaises des psaumes.
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Heures de Nostre Dame translatees de latin en francoys et myses en rime… composez par Pierre Gringore. – Paris : Jehan Petit, [1527] |
Le psautier des Églises réformées est définitivement constitué en 1562. Il s’agit d’un livre comportant les 150 psaumes mis en vers français. Clément Marot a traduit 49 psaumes et Théodore de Bèze (1519-1605) les 101 qui restaient. Ces psaumes sont accompagnés de mélodies composées spécialement par trois musiciens, chantres de l’Église de Genève, Guillaume Franc, Loys Bourgeois et Pierre Davantès.
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Les pseaumes de David, mis en vers français et revus par ordre du synode wallon des Provinces-Unies. Nouvelle édition. - Londres : N. Prevost & compagnie, 1729 |
Ce psautier étant une émanation officielle de l’Église de Genève, à l’initiative de Jean Calvin, on le désigne maintenant en général sous le nom de « Psautier de Genève ».
Les protestants se lanceront dans la rénovation du texte dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. C’est le cas de Jean Diodati dont la version n’a pas eu une très longue longévité. Celle de Valentin Conrart en revanche a été de nombreuses fois réimprimée. Il a en effet rénové le texte tout en gardant le même rythme pour permettre aux fidèles de continuer à chanter les psaumes sur les mêmes airs, tout en intégrant les rénovations textuelles. A sa mort, en 1675, il a achevé la traduction de 51 psaumes. Son ami Marc-Antoine de La Bastide complète son travail et fait paraître en 1679 l’édition complète des 150 psaumes retouchés.
Pour son utilisation liturgique, on dispose d’une table de répartition des psaumes par semaine : l’ensemble du psautier est ainsi chanté en 25 semaines. Au culte, les psaumes sont chantés sous forme mélodique, c’est-à -dire à une voix sans accompagnement : tout le monde chante, hommes, femmes et enfants sur la même mélodie.
L’édition complète de ce livre correspond à une étonnante entreprise d’éditions simultanées dans plusieurs villes. On compte près de 80 éditions différentes pendant les années 1562-1565, aussi bien à Genève qu’à Paris, à Lyon ou en Normandie. Globalement, ces psautiers se ressemblent beaucoup ; néanmoins, les imprimeurs essayent de distinguer leur édition par rapport à celles de leurs concurrents. On trouve ainsi des psautiers réformés dont la musique fait apparaître la « solmisation », c’est-à -dire le nom des notes, ou encore des psautiers avec des oraisons à la suite de chaque psaume. Plus tard, on trouvera des psautiers avec la musique à toutes les strophes, etc.
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle – et encore au XIXe siècle dans de nombreuses Églises réformées – ce psautier constitue par excellence le recueil de chants pour le culte.
Contrairement aux réformés, qui ont pris l’habitude, depuis le milieu du XVIe siècle, de chanter les psaumes pendant le culte, les catholiques ne peuvent faire de même puisque la messe est récitée ou chantée intégralement en latin. Dans les milieux catholiques, la lecture ou le chant des psaumes en langue vernaculaire ne se fait donc que dans le domaine privé.
Les premières paraphrases des 150 psaumes par des auteurs catholiques n’apparaissent qu’à la fin du XVIe siècle. C’est surtout au XVIIe siècle qu’est publiée la majorité de ces éditions complètes. On en compte plus d’une vingtaine entre 1588 et 1800. Deux noms méritent d’être évoqués.
Tout d’abord, le poète de Cour Philippe Desportes (1546-1606) commence à donner quelques paraphrases de psaumes à la fin de ses Premières œuvres en 1587, mais ce n’est qu’en 1603 que sont publiés les 150 psaumes à Paris et à Rouen. Ce livre, qui se présente comme un recueil poétique, sans musique, aura un succès considérable et sera réimprimé très régulièrement jusqu’en 1626.
L’autre poète dont le nom mérite d’être retenu est Antoine Godeau (1605-1672). Il se fait connaître très rapidement dans les salons parisiens en particulier par sa facilité à composer des vers de qualité. Néanmoins, il quitte assez vite ce monde pour devenir prêtre puis évêque. Il est nommé à Grasse puis à Vence, où il s’installe jusqu’à son décès. Malgré une activité pastorale considérable, il reste en contact avec la vie littéraire parisienne et, lors de la fondation de l’Académie française en 1634, il en devient l’un des premiers membres.
Après un premier essai de six psaumes publiés en 1633, la première édition complète sans musique voit le jour en 1648. Dans sa préface, Antoine Godeau encourage les musiciens à composer des mélodies sur cette paraphrase qui pourraient en faire le pendant catholique du Psautier des Églises réformées.
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Portrait de La Fontaine, dessiné par Hyacinthe Rigault et gravé par Étienne Jehandier dit Desrochers. [BML : Fonds portraits, s.c.] |
A côté de la soixantaine de poètes qui ont donné une traduction complète en vers de l’ensemble des 150 psaumes, plus de 250 noms peuvent être cités pour la paraphrase de quelques psaumes seulement.
Dans la première moitié du XVIIe siècle, on observe une certaine émulation autour d’Antoine Godeau et de Valentin Conrart. Leurs amis, qu’ils soient catholiques ou réformés, qu’ils siègent ou non dans la toute nouvelle Académie française, traduisent un petit nombre de psaumes. L’imprimeur Jean Camusat donne de magnifiques éditions in-quarto de ces textes destinés à être rassemblés en recueil.
Par la suite, des recueils réunissent, en un ou plusieurs volumes de petit format, une sélection de psaumes ou de poésies religieuses de plusieurs auteurs. On connaît par exemple les Poésies chrétiennes et diverses, publiées en 1671 et provenant des milieux jansénistes parisiens. Jean de La Fontaine a eu un rôle important dans la confection de ce recueil qui rassemble aussi bien des pièces d’auteurs catholiques que réformés ; le premier tome associe 22 psaumes à un grand nombre de poésies religieuses.
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Portrait de Malherbe, estampe, XVIIe siècle. |
Les Oeuvres de Mre François de Malherbe. |
Dans le culte catholique, qu’il s’agisse de la messe ou des offices des religieux, le chant se fait en latin : il s’agit du chant grégorien. Dans les Églises réformées, au moins jusqu’aux années 1670, le chant des psaumes, lors du culte, est un chant à une voix sans accompagnement d’instrument. Dans ces conditions, le chant des psaumes en vers français à plusieurs voix ou accompagné d’instruments relève du domaine privé. Il s’agit « de se divertir saintement par le chant des Pseaumes et des Cantiques spirituels ».
Au XVIe siècle, le Psautier de Genève est très tôt mis en musique à quatre voix et le principal nom qui reste associé à cette entreprise est celui de Claude Goudimel, décédé à Lyon en 1572. Ces éditions à quatre voix ont parfois été « réduites » pour être jouées au luth ou pour être chantées avec un accompagnement de cet instrument.
Le dernier quart du XVIIe siècle est marqué par l’apparition des tragédies lyriques de Jean-Baptiste Lully. Les airs remarquables de cette forme première de l’opéra français deviennent des « timbres » musicaux qui peuvent alors servir de support mélodique au chant de psaumes traduits en vers : l’abbé Pellegrin propose en 1705 un psautier complet selon ce principe.
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Les Pseaumes de David, traduits litteralement en vers francois, par Monsieur Ranchin… et mis en musique par Monsieur Le Maire,… – Paris : chez Florentin ; Pierre Delaune, 1700 [BML : 307055] |
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Les pseaumes de David mis en musique à quatre et cinq parties par Claude Le Jeune... et rime Françoise de Cl. Marot et Theod. de Beze. - Leyde : chez Iustus Livius, 1636 [BML : Rés FM 804652] |
L’illustration des psautiers, lorsqu’elle n’est pas totalement absente, se réduit en général à la page de titre. Dès le XVIe siècle, quelques imprimeurs remplacent leur marque sur la page de titre du livre par un bois gravé représentant David jouant de la harpe. Un tel motif sera souvent le seul ornement des ouvrages contenant des psaumes.
Le développement de l’usage de la gravure à partir du XVIIe siècle permettra de déplacer le motif de David à la harpe : il passe de la page de titre à une gravure en pleine page placée en frontispice du livre. D’autres thèmes peuvent également figurer au titre ou en frontispice des psautiers réformés comme par exemple l’allégorie de la « Religion Chrétienne »
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Allégorie de la « Religion Chrétienne ». Les pseaumes de David... – Paris : [Pierre Haultin] pour Antoine Vincent, 1566 [BML : Candaux R 69] |
Quelques très rares ouvrages font tout de même la part belle à l’illustration. On peut citer par exemple les cinq gravures de Gérard Audran (1640-1703) figurant dans l’édition des psaumes du jésuite Charles Le Breton (c.1603-après 1676) en 1660. Néanmoins c’est surtout l’Essay de Pseaumes et Cantiques mis en vers et enrichis de figures (1694)qui constitue une exception. L’auteur des 21 psaumes et 5 cantiques est Elisabeth-Sophie Chéron (1648-1711), née réformée mais convertie au catholicisme. Outre ses qualités de poétesse, elle est connue comme une excellente peintre – membre de l’Académie de peinture à 24 ans – et une musicienne de talent. Presque chaque pièce du volume est précédée d’une gravure due au talent de Louis Chéron (1660-1723), le propre frère de l’auteur, demeuré réformé et réfugié à Londres.
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Essay de pseaumes et cantiques mis en vers, et enrichis de figures. Par Mademoiselle *** [Élisabeth-Sophie Chéron]. - Paris : Michel Brunet, 1694 [BML : Candaux B 15] |
Pour son usage profane, le psautier ne se distingue guère des ouvrages classiques de son époque, la reliure peut être à la demande en basane (mouton), en veau ou en maroquin selon la fortune du possesseur.
Son usage religieux est plus caractéristique : destiné à être régulièrement manipulé, le psautier est toujours revêtu d’une reliure solide, le plus souvent en parchemin jusqu’au XVIIe siècle, parfois en basane ou en veau. A la fin du XVIIe siècle, certaines reliures dites « de Charenton » comportent un décor assez luxueux et raffiné dit « aux petits fers » ou « au pointillé », mais le plus souvent le psautier est recouvert d’un épais chagrin noir avec des cornières et des fermoirs en argent gravés aux initiales ou au nom du possesseur.
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Tranches et fermoirs. [BML : Candaux G 12, G 21, G 4, N 4, J 47, J 42, J 36, J 49, J 26, N 6, J 63, J 51] |
BOVET, Félix, Histoire du psautier des Églises réformées, Neuchâtel-Paris : [s.n.], 1872 [BML FA rel 01 D]
DOUEN, Emmanuel-Orentin, Clément Marot et le psautier huguenot… - Paris : Imprimerie nationale, 1878-1879. [BML : FA rel 01 D]
PIDOUX, Pierre, Le psautier huguenot, Bâle : Baerenreiter, 1962-1969 [BML : A 063068]
Psaume [Revue], Paris : Pandémonium pour l’étude et la prospection du psautier, 1987 [BML : 954410]
CANDAUX, Jean-Daniel Le psautier de Genève 1562-1865 : images commentées et essai de bibliographie [catalogue de l’exposition (12 mars-15 juin 1986)], Genève : Bibliothèque publique et universitaire, 1986 [BML : FA rel 01 D]
Psaumes : chants de l’humanitĂ© : [catalogue de l’exposition, MĂ©diathèque Jean LĂ©vy de Lille, 12 janvier-3 avril 2010, organisĂ©e en collaboration avec l’UniversitĂ© catholique de Lille et l’UniversitĂ© de Lille 3] / Danielle Delmaire, Marie-Aurore Haingue, CĂ©cile Martini... [et al.] Villeneuve-d’Asq : Presses universitaires du Septentrion, 2009 [BML : FA rel 01 D] Â