Dioscoride et ses blés, de l’Antiquité à la Renaissance
Actif au milieu du Ier siècle de notre ère, Dioscoride bénéficie à la fois des acquis de la science grecque et des possibilités de recherche offertes par le mare nostrum gréco-romain. Son traité de matière médicale (De materia medica), écrit en grec, regroupe en cinq livres les remèdes simples connus à son époque, qu’ils soient d’origine végétale, animale ou minérale. Il est étudié dès l’Antiquité, notamment par Galien, qui en fait l’éloge. Aussi est-ce à travers Dioscoride que les médecins de la Renaissance, sensibles au jugement du prince des médecins et attentifs à connaître les propriétés des aliments et des simples qu’il cite, ont souhaité retrouver les espèces végétales connues de l’Antiquité. Ceci posait d’une part des problèmes généraux de différences des milieux (la Grèce et le Nord de l’Europe n’ont pas le même climat), d’autre part la question de la description des espèces : une espèce cultivée et bien connue, comme le blé, n’est même pas décrite par le pharmacologue grec !
1. Le Dioscoride de Vienne
Fig. 1. Bibliothèque nationale d’Autriche (Vienne), Vind. Med. Gr. 1 (VIe siècle), f. 376v.
Le manuscrit grec Vindobonensis medicus graecus 1 est l’un des plus célèbres manuscrits en onciales de la fin de l’Antiquité. Composé en 512 pour être offert à Juliana Anicia, une princesse byzantine, il comporte une version abrégée, alphabétique et richement illustrée du De materia medica de Dioscoride, ainsi qu’une collection d’autres textes savants. Il est rapporté de Constantinople à Vienne par Ogier de Busbecq après 1562. Il est probable qu’il ait été consulté par Dodoens, de passage à Vienne, pour ses travaux botaniques, dès les années 1570. Ici, pour illustrer le chapitre ??????? (“gruau”), l’illustrateur a choisi une céréale qui pourrait être un blé barbu ou une orge.
2. Le Dioscoride de Naples
Fig. 2. Bibliothèque nationale Vittorio Emanuele III (Naples), Codex ex Vindobonensis Graecus 1 (VIIe siècle), f. 33.
Le Neapolitanus graecus 1 (jadis conservé à Vienne) est une sorte de cousin du manuscrit de Vienne. Copié un siècle plus tard au moins, mutilé au début et à la fin, et illustré avec moins de soin que son cousin, il est possible qu’il ait été consulté par Matthioli pour les dernières éditions des Commentarii publiées de son vivant. Ici (à droite), pour illustrer le ?????? de Dioscoride (qui est sans doute une avoine), l’illustrateur, qui hésitait, a choisi un mariage maladroit entre deux graminées, dont l’une est peut-être une orge (en bas), et l’autre une avoine.
3. Le Dioscoride de Paris
Fig. 3. Bibliothèque Nationale de France (Paris), département des manuscrits, Grec 2179 (VIIIe siècle), f. 96v.
Manuscrit consultable en ligne dans Gallica
Cet autre manuscrit, rédigé sur parchemin en Palestine à la fin du VIIIe siècle, montre que la pratique de l’illustration scientifique est répandue dans tout le bassin méditerranéen. Dans la marge, une des 451 illustrations complète le paragraphe consacré au blé. À la différence des manuscrits de Naples et de Vienne, le Codex Parisinus témoigne d’une tradition qui n’est pas alphabétique mais suit l’ordre des chapitres de l’ouvrage de Dioscoride.
Pour aller plus loin sur les manuscrits du De materia medica de Dioscoride : Cronier, Marie. « Pour une nouvelle édition du De materia medica de Dioscoride : problèmes d’un texte à tradition multiple ». Carnet « Ecdotique ». [URL vérifiée le 8 août 2019].
4.
Fig. 4. Dioscoridis libri octo graece et latine, Paris, 1549, f. 98v-99r.
Bibliothèque municipale de Lyon, 811444 ; exemplaire consultable en ligne dans numelyo
Cette édition de Dioscoride est assurément adressée aux savants humanistes. Il s’agit d’un petit livre maniable, sobre, sans illustrations. La priorité est donnée au texte, présenté en deux colonnes : grec au centre, traduction en latin (de Jean Ruel) à l’extérieur. À la fin du livre, des notes philologiques de Jacques Goupyl relèvent les différences entre les manuscrits et certaines erreurs. Le volume comprend « huit livres » : les cinq livres de la Matière médicale de Dioscoride, auxquels est rattaché le livre pseudépigraphe des Alexipharmaques ; et les deux livres (également pseudépigraphes) des Thériaques. Cet exemplaire a appartenu à Matthieu Bonafous.
5.
Fig. 5a, 5b, 5c et 5d. Pierandrea Matthioli (1500-1577), Commentarii in libros sex Pedacii Dioscoridis Anazarbei de materia medica, Venise, 1583, tome 1, ex-libris, p. 354-355 (double page), p. 356-357 (double page) et table manuscrite en fin d’ouvrage.
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 28370 ; exemplaire consultable en ligne dans Google Books : tome 1 ; tome 2
Cette réédition augmentée des Commentaires latins de Matthioli sur le traité de Dioscoride, édités pour la première fois en 1554 à Venise, a été largement annotée et commentée par deux de ses possesseurs aux XVIIIe et XIXe siècles. Un premier, non identifié, a ainsi associé chaque plante mentionnée à son nom dans le nouveau système de nomenclature botanique établi par Linné, en marge du texte et dans une table de concordance ajoutée manuellement à la fin de chaque tome, la « tabula linneo-matthioliana ». Après lui, l’abbé Jean-Louis Marie Poiret, botaniste et professeur d’histoire naturelle, a vérifié et corrigé tous les noms linnéens, ainsi qu’on peut le lire dans son ex-libris. La question de la fidélité des illustrations est également pointée du doigt par Poiret, qui liste 9 figures inutilisables, au détour d’une remarque sur les manuscrits illustrés du texte de Dioscoride.
6.
Fig. 6a et 6b. Les Six livres de Pedacion Dioscoride translatez de latin en françois, Lyon, 1559, p. 163 et p. 164.
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés A 486489
Le texte de Dioscoride est peu à peu traduit en langue vulgaire. Martin Mathée, médecin, prieur bénédictin et humaniste, en propose une traduction française, faite sur le latin (il ne connaît pas suffisamment le grec pour se risquer à le traduire). Il y ajoute des annotations tirées des commentaires de Matthioli. Les deux illustrations du blé sont très semblables à celles de l’encyclopédie de Fuchs, publiée quelques années avant.
7.
Fig. 7a et 7b. André Thevet (1516-1590), Les vrais pourtraits et vies des hommes illustres, Paris, 1584, tome I, f. 92r et f. 92v.
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 29209 ; exemplaire consultable en ligne dans numelyo : tome 1 ; tome 2
À la Renaissance sont publiées un grand nombre de « Vies » de grands personnages, mises en regard avec de belles illustrations. Parmi les quelque trois cents portraits brossés par Thevet se trouve celui de Dioscoride, ce qui montre son importance à cette époque. Sur cette fine gravure, Dioscoride est montré comme un “arboriste” qui associe le savoir théorique, symbolisé par le livre, et le savoir pratique, symbolisé par les échantillons de plantes.