Une première traduction française : Louis Meigret, 1540
Une première traduction française de Columelle, partielle, est publiée à Paris vraisemblablement à la fin de l’année 1540. Elle est l’œuvre du Lyonnais Louis Meigret (« Loys Megret »), né vers 1500, qui a étudié le droit à Poitiers avant de s’installer à Paris, où, après avoir été mêlé aux tracas subis par plusieurs de ses frères acquis à la Réforme, il commence à réaliser des travaux de traduction pour l’imprimeur-libraire Denis Janot, tout en cherchant à contribuer à la réflexion qui s’engage alors sur la grammaire et l’orthographe de la langue française. Il publiera en 1542 un Traité touchant le commun usage de l’escriture françoise et en 1550 un Tretté de la grammere francoeze. Les autres traductions de Meigret pour Janot portent sur des extraits de Pline l’Ancien et de Polybe et sur le Livre du monde attribué alors à Aristote. Meigret poursuivra ensuite ses travaux auprès de l’imprimeur-libraire Chrétien Wechel, qui acceptera de le suivre dans ses propositions orthographiques.
1.
Fig. 1a. Columelle, Le tiers et quatriesme livre, 1540, page de titre.
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 398352 ; exemplaire consultable en ligne dans Google Books
Fig. 1b. Columelle, Le tiers et quatriesme livre, 1540, page de titre.
British Library (Londres), C.40.b.24
La BML possède un des deux exemplaires conservés de cette édition, à l’adresse du libraire parisien Vincent Sertenas ; l’autre exemplaire, conservé par la British Library, est à l’adresse de Denis Janot lui-même. Ce dernier a pris un privilège à son nom le 22 septembre 1540 et il a assuré l’impression de cet in-8° de 124 feuillets, partageant la mise en vente avec Vincent Sertenas. Le titre de l’édition précise que la traduction est partielle (« tiers et quatriesme livres de Lucius Moderatus Columella ») mais la logique de cette sélection (« touchant le labour ») n’est pas clairement présentée : il s’agit en réalité des deux livres consacrés par Columelle à la vigne, comme le précise seulement l’extrait du privilège attribué à Janot (« une petite copie, intitulée Columella du labour des vignes »).
2.
Fig. 2a, 2b et 2c. Columelle, Le tiers et quatriesme livre, 1540, sig. A3r-A4r (« Loys Meigret aux Francoys »).
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 398352 ; exemplaire consultable en ligne dans Google Books
Louis Meigret fait précéder sa traduction d’une importante adresse « Aux Francoys », signée de sa devise latine « Soli Deo Honor & gloria » (« seul à Dieu honneur et gloire »). Défendant un principe de complémentarité entre « l’experience » et le « bon ordre inventé par rayson », il justifie ainsi, de manière implicite, la production intellectuelle concernant l’agriculture et, de manière plus explicite, son propre geste de traducteur : la « grande quantité de vignoble dont abonde la France » et l’ancienneté des pratiques de « messieurs les Francoys » ne doivent pas les empêcher de s’intéresser aux « inventions » de Columelle, que ce soit pour les « ensuivre » ou pour chercher à faire aussi bien « selon la nature de nostre contrée ». On retrouve ici l’écho des idées qui structurent la pensée linguistique de Meigret : la nécessité de se fonder sur l’« ordre » et la « raison » pour servir la communauté nationale dans la perspective d’un progrès.
3.
Fig. 3. Columelle, Le tiers et quatriesme livre, 1540, sig. H2r (manchette).
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 398352 ; exemplaire consultable en ligne dans Google Books
La traduction de Meigret, qui n’est pas toujours limpide et qui sera supplantée à partir de 1551 par celle, complète, de Claude Cotereau, ne cherche jamais à adapter le texte de Columelle aux réalités viticoles françaises. Le traducteur n’a pas non plus eu l’idée de traduire les passages du livre V dans lesquels Columelle évoquait les vignobles hors d’Italie. Une seule fois, à propos d’une manière de repiquer les boutures à l’aide d’un instrument nommé pastinum (qu’il traduit par « fourchette »), Meigret éprouve le besoin de commenter, en manchette, la différence entre les pratiques décrites par l’auteur latin et celles qu’il connaît : mais il le fait avec réticence, sans chercher à passer pour un spécialiste.
4.
Fig. 4a, 4b et 4c. Columelle, Le tiers et quatriesme livre, 1540, sig. A6v, sig. C7v-C8r (double page), sig. Q5r.
Bibliothèque municipale de Lyon, Rés 398352 ; exemplaire consultable en ligne dans Google Books
L’exemplaire conservé à la BmL a été lu et annoté par un lecteur anonyme du XVIe siècle. La traduction permettait à ce lecteur, visiblement en quête d’informations précises au sujet de la viticulture, d’accéder à des détails techniques rédigés dans sa propre langue. Il souligne les passages qui lui paraissent importants ; complète les manchettes imprimées en recopiant en marge certains mots du texte pour se repérer plus facilement ; ajoute exceptionnellement un commentaire lexical (« crocettes que nous appellons chappons », sig. C8r – deux équivalents français attestés au XVIe siècle du malleolus de Columelle, le « mailleton », branche nouvelle en forme de maillet ou de crosse utilisée pour faire les boutures) ; enfin, sur la dernière page du livre, il réunit plusieurs de ses observations sous la forme d’une liste.