Pathologisation
L’hystérie
Le sexe féminin est conçu comme essentiellement faillible. En 1812, le Dictionnaire usuel des sciences médicales ne consacre pas moins de 107 pages à la rubrique « maladies de femmes » qui n’ont pas d’équivalent masculin. Les femmes partagent quasiment tous les maux des hommes mais sont de surcroît sujettes à d’autres qui leurs sont propres. Le sexe féminin dont « le cervelet est communément plus petit que celui des hommes » pose problème et sa « constitution morale […] dérive de la faiblesse innée de ses organes ». Les femmes « se tiennent plus près de leur nature que nous de la nôtre, la civilisation semble fortifier leurs penchants tandis qu’elle tend à diminuer les nôtres ». Femmes, êtres de nature, hommes, êtres de culture.
Les maladies génitales, nerveuses et mentales caractérisent les femmes. D’ailleurs, dans le Dictionnaire médical, les quatre figures de la folie que sont la mélancolie, la fureur, l’idiotie et la démence sont illustrées par quatre visages de femme. Certains comportements désignés comme pathologiques sont considérés depuis l’Antiquité comme des affections de l’utérus. En 1815, Jean Baptiste Louyer-Villermay attribue encore « l’hystérie » à une sorte d’engorgement de l’utérus ; en 1830, Frédéric Dubois d’Amiens estime qu’il s’agit d’une surexcitation de la matrice. La femme est donc sous la domination de son sexe. Cette conception a toutefois pour contrepartie de reconnaître l’existence d’un désir sexuel, éminemment stigmatisé, chez les femmes.
Traité des maladies nerveuses ou vapeurs, et particulièrement de l’hystérie et de l’hypocondrie
Jean-Baptiste LOUYER-VILLERMAY (1775-1837)
Traité des maladies nerveuses ou vapeurs, et particulièrement de l’hystérie et de l’hypocondrie
Paris : Méquignon l’aîné père, 1816, in-12
Lyon, bibliothèque municipale, 402029
Iconographie photographique de la Salpêtrière
Charcot, « maître » de l’hystérie et médecin de l’hospice de la Salpêtrière, a en quelque sorte tenté de rendre homogènes diverses manifestations de corps trop expressifs en leur appliquant une explication unique : l’hystéro-épilepsie. Désiré-Magloire Bourneville et Paul Régnard, élève de Charcot, publient en 1878 un album de photographies pour illustrer la « folie », réduite à l’expression de l’hystérie et de l’épilepsie.
Désiré-Magloire BOURNEVILLE (1840-1909), Paul REGNARD (1850-1927)
Iconographie photographique de la Salpêtrière
Paris : Delahaye, 1878-1880, in-4
Lyon, bibliothèque municipale, 394586
Désiré-Magloire BOURNEVILLE (1840-1909), Paul REGNARD (1850-1927)
Iconographie photographique de la Salpêtrière
Paris : Delahaye, 1878-1880, in-4
Lyon, bibliothèque municipale, 394586
Luisance
À partir des photographies, des dessins de la Salpêtrière, de l’iconographie d’extases religieuses, Alban Richard réinvente la théâtralisation de ces femmes dites hystériques et redonne vie à des corps figés et imaginaires. Les deux danseuses répètent en série les positions, insistent sur les gestes des bras, le regard, les contritions faciales et se livrent à une sorte d’introspection dans une pâle lumière.
Luisance, 2008
Conception, chorégraphie : Alban Richard ; Assistante chorégraphique :
Daphné Mauger ; Interprètes : Céline Angibaud, Laurie Giordano ; Musique
Johann Sebastian Bach ; O Haupt voler Blut BWV 244 : Transcriptions et arrangements par Léopold Stokowski ; Enregistrements de 1936, Léopold Stokowski dirige le Philadelphia Orchestra (Maestro Célèbre History) ; Lumière :
Valérie Sigward ; Son : Félix Perdreau ; Costumes : Corine Petitpierre
Durée 20min
Production déléguée centre chorégraphique national de Caen en Normandie
Coproduction ensemble l’Abrupt, Forum du Blanc-Mesnil avec le soutien du Département de Seine-Saint-Denis
L’hypersexualisation
Deux conceptions de la sexualité féminine vont s’affronter à l’aube du 20e siècle : la première selon laquelle la femme est frigide, la seconde selon laquelle le corps féminin est « saturé par la sexualité ». Les savants se focalisent sur l’absence ou l’excès de la sexualité et créent une différenciation à l’intérieur même du groupe des femmes ; c’est-à-dire tout corps féminin qui ne serait pas réductible à la reproduction et qui mettrait en crise la représentation dominante de la féminité. Le sexe et le plaisir sont éradiqués, criminalisés et considérés sous l’angle de la pathologie. Le clitoris, les lèvres seront « dits » allongés lors de pratiques jugées lascives ou licencieuses. Masturbation et lesbianisme en font partie mais pas uniquement. Les femmes africaines dont les femmes « hottentotes » et les Boshimanes, connues par le biais des récits de voyage, des gravures, de quelques dissections pratiquées en Europe ou encore par des expositions au Jardin zoologique, entretiennent l’imaginaire exotique et colonial français. Les écrits ne manquent pas pour évoquer des pratiques de « débauche », un tempérament plus chaud et donc des organes génitaux et des caractères secondaires plus développés.
Joseph et la femme de Putiphar
L’histoire de la femme de Putiphar, dont Joseph repoussa les avances et qu’elle accusa en retour d’assaut intempestif, présente le désir féminin comme inquiétant et anormal. La version impudique qu’en propose Rembrandt donne à voir la monstruosité de cet appétit, tout en laissant peu de doutes sur le caractère prétexte de l’épisode biblique et le dessein érotique de l’artiste.
REMBRANDT
Joseph et la femme de Putiphar, 1634
Eau-forte et pointe sèche ; 91 x 115 mm
Lyon, bibliothèque municipale, N17REM002106
Histoire naturelle des mammifères
Les références aux caractéristiques physiques des femmes « hottentotes » et des Boshimanes – la stéatopygie (hypertrophie fessière) et le tablier (élongation des lèvres génitales) – parsèment les ouvrages sur les races humaines et sur l’Afrique jusqu’au milieu du 20e siècle. L’organe génital de ces femmes est souvent comparé à la morphologie animale, que ce soit à la caroncule de la dinde chez Julien-Joseph Virey ou au sexe de la guenon chez Raphaël Blanchard. Ces comparaisons contribuent à les déshumaniser et à marquer les différences qu’il existerait entre elles et les Européennes.
Geoffroy SAINT-HILAIRE (1772-1844) et Frédéric CUVIER (1773-1838)
Histoire naturelle des mammifères
Paris, 1824, in-fol.
Lyon, bibliothèque municipale, Rés 28664
Valérie Oka, Tu crois vraiment que parce que je suis noire je baise mieux
Prônant un « féminisme noir », Valérie Oka dénonce dans cette œuvre les stéréotypes coloniaux qui continuent à faire des femmes noires des corps fantasmés, objets de désirs sexuels. Le titre de la création, sous la forme d’une phrase, percutante, rappelle aux visiteurs et aux visiteuses que le corps féminin noir est toujours un enjeu politique.
Valérie OKA
Tu crois vraiment que parce que je suis noire je baise mieux, 2015
Néon, 300 x 85 x 50 cm
Paris, Fondation Francès
Grand dictionnaire universel du XIXe siècle
« Les femmes, comme les hommes, de la race nègre sont portées à la lascivité beaucoup plus que les femmes blanches. La nature semble avoir accordé aux fonctions physiques ce qu’elle a refusé aux fonctions intellectuelles de cette race. Les négresses, en effet, sont fortement constituées. Elles ont une gorge très volumineuse, bientôt molle et pendante, et elles sont réputées meilleures nourrices que les femmes blanches. Leurs organes sexuels offrent, en outre, une disposition particulière qu’on ne rencontre qu’exceptionnellement ailleurs. Les petites lèvres et le clitoris présentent un tel développement que, dans plusieurs contrées, on en pratique l’excision. »
Citation : Pierre LAROUSSE
Grand dictionnaire universel du XIXe siècle
Paris : Larousse, 1866