Edmond Locard (1877-1966)
Edmond Locard est né le 13 décembre 1877 à Saint-Chamond. Il passe ses premières années à Allevard (Isère) puis fait ses études à Oullins, au collège dominicain Saint-Thomas d’Aquin. L’éducation y est inspirée par le catholicisme libéral du père Lacordaire. Il prépare là-bas un double baccalauréat de mathématiques et de philosophie qu’il réussit à 16 ans. Il se dirige ensuite vers la faculté de médecine où il est l’élève de Léopold Ollier et Lacassagne. Il prépare également une licence de droit.
Edmond Locard est surtout connu pour son œuvre de criminologue. C’est à son instigation qu’est créé en 1910, le premier Laboratoire de Police scientifique à Lyon. La littérature qu’il a écrite sur le sujet fait encore référence aujourd’hui.
Edmond Locard, « honnête homme » curieux, cultivé et plein humour est aussi, cela est moins connu, l’un des grands animateurs de la vie culturelle lyonnaise de la première moitié du XXe siècle. Son œuvre de publiciste est impressionnante. Il est directeur littéraire des Reflets de vie lyonnaise et du Sud-Est et d’Androclès, deux revues de la vie intellectuelle lyonnaise. Il est également chroniqueur musical, notamment pour ce qui concerne l’opéra dont il est un « Fervent », dans Reflets de vie lyonnaise et Le Lyon Républicain (les deux à partir de 1921) mais aussi dès 1904 dans la Revue musicale de Lyon fondée par Léon Vallas, au Tout Lyon, dans le Mois de Lyon... et se prête même après-guerre à des causeries radiophoniques.
Edmond Locard a pratiqué le piano dès l’enfance et voue une passion pour la musique, en particulier pour Wagner. Encore doctorant, il donne, pour le Cercle Musical Universitaire, une conférence salle Rameau sur le musicien allemand. Il consacre également un essai au Crépuscule de Dieux après un voyage à Bayreuth. Sa passion pour la musique l’amène à siéger comme membre du jury au Conservatoire au côté d’Ennemond Trillat.
Edmond Locard donne de même plusieurs conférences aux « Heures ». Il est un proche ami d’Irma Grignon-Faintrenie qui le consultait sur les programmes à établir et les artistes à inviter.
Président des Amis de Lyon et de Guignol en 1941, Il crée l’Académie du Merle blanc en janvier 1949.
Il décède le 4 mai 1966 à Caluire-et-Cuire. Il est inhumé à Oullins.
« Lyon, ville des brumes, capitale mystique, cité d’art musical. Car la musique est la langue de l’imprécis, du rêve et de l’inexprimable. Et plus une musique est abstraite, plus elle sera goûtée ici. Il n’y avait qu’à voir dimanche dernier, de quelle mine effarouchée les fidèles de Witkowski ont accueilli « Espana » pour être sûr que les rythmes carrés, les fandangos ardents, les fanfares et les castagnettes ne vont point au cœur des Lyonnais. Ce qui émeut leur sensibilité, ce sont les musiques intellectuelles, riches de pensées, incitatrices de méditations, lentes à pénétrer et mélancoliques ou recueillies. De sorte que le public lyonnais est tout précisément l’opposé diagonal du public parisien.
Le Parisien apporte à la musique ce goût du divertissement qui l’oblige à sortir chaque soir de chez-lui. Mais ce furieux besoin de spectacle se satisfait à bon compte, et sauf une élite très courte, il n’est pas de meilleur public. Tout est bon à son indulgence gouailleuse : ne prenant rien au tragique, il accepte d’un même sourire le chef-d’œuvre et la plus vile platitude. S’il est en veine d’un de ces emballements qui le prennent par crises récidivantes, il fera la fortune, au hasard d’un refrain de café-chantant œuvre nouvelle, étrangère souvent, qu’il n’aura pas étudiée, qu’il aura peu comprise et qu’il oubliera demain. « Pelléas » a suscité un enthousiasme du même aloi que « En revenant de la Revue ». Mais, avec une politesse charmante, il acceptera sans protester les œuvres les plus faibles, les interprétations les plus lâchées, les chanteurs les plus manifestement hors d’usage. C’est le plus faiblement critique des peuples et le plus accueillant pour les médiocrités.
Qu’il en est peu de même ici ! Le Lyonnais apporte à l’audition musicale une ardeur concentrée. Il déserte les salles où on lui propose des œuvres qui ne correspondent pas à ses goûts. Mais si la composition est adéquate à son caractère, si l’interprétation lui plaît, il manifestera sa joie par le silence et le recueillement : il jouit à petit bruit et n’applaudit guère. Mais, si les rappels multipliés et le délire des ovations ne sont guère connus sur les bords du Rhône, la fidélité y atteint des limites inconnues ailleurs. Un artiste qui s’est fait aimer trouvera des auditeurs au-delà des temps où la nature permet à une créature humaine de s’exhiber décemment en public. Fût-il centenaire, le ténor qui a incarné un certain idéal conservera son prestige. De même pour les chanteuses, alors que les Parques cruelles refusent de leur filer un dernier vestige de voix. Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, on remarque que certains noms ont figuré sur les affiches du Théâtre depuis un nombre étonnant de lustres et que les Grands Concerts ont un personnel de vedettes qu’il ne semble pas y avoir lieu de renouveler jamais.
Je n’irai pas jusqu’à dire que tout Lyonnais soit musicien, comme il est mystique. Il y a ici, comme partout, des gens fermés à cet ordre de joies, mais il n’y en a nulle part aussi peu. Et ce n’est pas une question de classe sociale. De très humbles ont au cœur une ferveur concentrée ; ils ont même parfois une compétence que leur envierait un critique. Ceux qui furent les « frères des quatrièmes » n’étaient pas là pour les contre-ut. Il suffisait de les voir, ramassés sur eux-mêmes, accroupis sur le parquet raboteux, le menton dans les poings et les coudes aux genoux, les soirs où se déroulait un drame wagnérien, pour être sûr que dans ces cerveaux passionnés nul leitmotiv ne passait sans être reconnu, et que la mort d ‘amour d’Yseult ou l’immolation rédemptrice de Brunnhilde étaient des symboles dont ces mystiques pénétraient toute la profondeur. Cherchez parmi les smoking de l’immense beuglant qu’est l’Opéra, des spectateurs semblables !
Par rayonnement, autour de ce noyau, un immense mouvement s’est fait. Des œuvres, que l’on eût pu croire trop nombreuses se sont fondées : toutes ont réussi. Je parle de celles où il s’agit d’art pur. Les Grands-Concerts ont un tel nombre d’abonnés qu’il devient difficile d’y trouver place si l’on n’est pas de la maison, et que Witkowski va se trouver forcé de donner des concerts supplémentaires. Mme Grigon-Faintrenie, qui a toutes les audaces, et nous annonce un programme musical prestigieux, ne sait plus où caser ses hôtes. On sait le succès constant des Petits-Concerts de Léon Vallas. Et nous avons encore le quatuor Crinièrela partie musicale des Petites conférences de Mme Bach-Sisley, sans compter les artistes de passage.
Pour un tel ensemble de manifestations, il était nécessaire que la « Vie Lyonnaise » ouvrit dans ses colonnes une rubrique nouvelle. Cette chronique sera désormais l’écho de tout effort artistique dans l’ordre musical. Et il n’est aucun point où la décentralisation n’ait donné jusqu’ici des effets plus marqués. Lyon, ville de musiciens, a réalisé plus que tout autre centre français : n’oublions pas que c’est ici que furent créés les « Maîtres Chanteurs » ; pensons que nos compositeurs lyonnais Witkowski, Savard, Mariotte, Neuville, sans parler des jeunes et n’hésitons pas à soutenir et à défendre l’élite qui travaille pour notre gloire et notre plaisir.Cette dernière semaine a marqué la reprise de la part des Sociétés musicales. Les Grands-Concerts ont ouvert la saison dimanche, avec une très brillante interprétation de la « Question de Dieu » extraite du « Saint-Christophe », de d’Indy, la création d’une « Sarabande » intéressante d’un jeune compositeur lyonnais, M. Ferroud, et le concours de Mme Féart, qui a chanté avec une technique admirable et un goût parfait les « Ballades de Villon » de Debussy, et le final « d’Armide ».
Aux Heures, pour la rentrée, après une conférence d’Edouard Herriot, audition de l’excellent pianiste Fernando Via, un des meilleurs interprètes actuels de Chopin et le meilleur exécutant de Granados et d’Albeniz, et de Mme Doriani, qui a surtout plu dans une interprétation très dramatique du « Roi des Aulnes ». Mardi, récital du pianiste Ciampi.Mme Mauvernay a donné cette semaine la première de ses Intimités, avec la collaboration de Mme Bathory : elle a projeté de faire entendre cet hiver, à Lyon, les compositeurs les plus célèbres qui viendront eux-mêmes exposer au public leurs idées sur la musique, ce qu’ils ont voulu faire et comment ils désirent être interprétés. Nous entendrons ainsi Ravel, Florent Schmitt, de Bréville, Roussel, Georges Hue, Rhené Bathon, sans compter les représentants du groupe révolutionnaire des Six.
L’année s’annonce bien. »
Edmond Locard, première « Chronique musicale » de la Vie Lyonnaise, 1921.