AIRS DU TEMPS
Édouard Herriot et la vie musicale à Lyon (1905-1957)

Ennemond Trillat (1890-1980)

"Il n’a aucun sens publicitaire, ignore tout de la technique du commis-voyageur en musique, si fréquente aujourd’hui, ne parle même pas de ses œuvres, encore moins de ses concerts et abomine plastronner dans une salle d’auditions". Ainsi s’exprime en 1951 le critique musical Robert de Fragny en évoquant Ennemond Trillat (1). Juste hommage de la part de l’un des plus fidèles et clairvoyants observateurs de la vie musicale lyonnaise. Hommage aussi au directeur du conservatoire, au compositeur, à celui qui a occupé le devant de scène musicale pendant plus d’un demi-siècle.

Né le 5 décembre 1890, dernier des quatre enfants de l’organiste lyonnais Paul Trillat (1853-1909), le jeune Ennemond s’initie très tôt au clavier. Sous le patronage de l’organiste Charles-Marie Widor (1844-1937), il entre étudier l’orgue au conservatoire, d’abord à Lyon, puis à Paris où il arrive en 1904, seulement âgé de 14 ans. A Paris, le jeune homme travaille le piano avec Georges Falkenberg (1854-1940), puis avec les pianistes et pédagogues Isidor Philipp (1863-1958) et Edouard Risler (1873-1929), avant d’étudier l’harmonie et le contrepoint avec Louis Vierne (1870-1937), titulaire des grandes orgues de Notre-Dame. Il y découvre les maîtres russes et les contemporains : Claude Debussy et Maurice Ravel.

Muni d’un Premier Prix de piano du Conservatoire de Paris en 1908, il évolue dans le milieu musical parisien, partageant ses activités de concertiste et de professeur entre Paris et Lyon. Revenu définitivement à Lyon suite au décès de son père, il devient professeur de piano supérieur au Conservatoire de Lyon de 1919 à 1942 où il succède à Antoine Mariotte (1875-1944), lui-même nommé à de plus hautes fonctions à la direction du Conservatoire d’Orléans.

Il consacre ainsi à la formation des jeunes artistes lyonnais tout le temps que lui laisse une carrière de virtuose international. Comme soliste, Ennemond Trillat accomplit d’innombrables tournées sur les rives de la Méditerranée, en Syrie, en Egypte et en Afrique du Nord, ainsi qu’en Europe, en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Suisse, en Autriche ou en Tchécoslovaquie.

Dès 1921, il forme le "Trio Trillat" avec la violoniste Hortense de Sampigny (18..-1969) et le violoncelliste Jean Witkowski (1895-1953), ensemble avec lequel il donne maints concerts, révélant par exemple à Nice l’intégrale des trios de Beethoven. Il joue également avec Georges Enesco, Francis Poulenc et Vincent d’Indy, ou accompagne quelques voix illustres comme celle de Ninon Vallin. Parallèlement, il se produit bien volontiers dans sa propre ville, lors de concerts-conférences donnés aux "Heures" de Madame Grignon-Faintrenie où il crée un genre nouveau, alternant anecdotes, souvenirs et intermèdes musicaux, ou bien encore aux "Petits concerts" de Léon Vallas, où il accompagne notamment Paule de Lestang, par ailleurs épouse du brillant et redoutable critique musical.

Mais le praticien et le pédagogue se double aussi d’un chercheur. Il aime à découvrir, exhumer et restituer les partitions du passé, puissant dans l’inépuisable fonds de l’ancienne Académie des Beaux-Arts conservée à la Bibliothèque de Lyon. Ainsi, il fait renaître Rameau et Leclair, mais surtout restitue l’oratorio d’Alessandro Scarlatti, Le Martyre de Saint-Ursule, à partir de la partition manuscrite conservée dans les collections de la ville.

En 1941, Ennemond Trillat est nommé directeur du Conservatoire de Lyon, poste sur lequel il succède à Georges Martin Witkowski, atteint par la limite d’âge, et qu’il occupera jusqu’en 1962. Celui que l’on nomme familièrement Papamond dans les couloirs du bâtiment de la rue de l’Angile va profondément marquer l’enseignement de l’institution et plusieurs générations d’élèves.

Devenu l’un des piliers de la vie musicale lyonnaise, il préside encore avec Maurice Jacob à la naissance du Cercle d’études musicales universitaires qui allait devenir, après guerre, la section lyonnaise des Jeunesses musicales de France, puis participe en 1949 au lancement du Festival de Lyon-Charbonnières et s’investit dans la création de la Société de musique de chambre (1953), avant de se retirer de la vie publique en 1963. Ennemond Trillat continua cependant des recherches personnelles en musicologie jusqu’à sa mort survenue le 9 juillet 1980. Quelques mois auparavant, en janvier 1980, âgé de 90 ans, il assistait une dernière fois à la reprise du Martyre de Sainte-Ursule interprété par d’anciens élèves de la Maison de la rue l’Angile, sous la direction de Michel Lombard, nouveau directeur d’un conservatoire qu’il avait lui-même dirigé pendant de nombreuses années.

Philippe Rassaert - BM de Lyon.

A lire en ligne

Derail (Lore), "Ennemond Trillat, théoricien et praticien" in Gryphe, revue de la Bibliothèque de Lyon, n°18, décembre 2007.