AIRS DU TEMPS
Édouard Herriot et la vie musicale à Lyon (1905-1957)

Léon Vallas (1879-1956)

Enfant du Forez, né le 17 mai 1879 à Roanne (Loire), Léon Vallas fait ses études à l’Institution Sainte-Marie de Saint-Chamond où il est le condisciple d’Émile Vuillermoz (1878-1960) [1] qui devait devenir, comme lui, un fameux musicographe et l’un des princes de la critique musicale. Membre de la fanfare comme tambour, il s’y initie à l’art musical puis part pour Lyon en 1897 pour y poursuivre, sans grande conviction, des études de médecine qu’il finira par abandonner au profit de la musique. Très vite introduit dans les cénacles musicaux, il conserve cependant des liens étroits avec sa ville natale et profite d’un passage à Roanne du compositeur Vincent d’Indy (1851-1931), venu présider un jury de concours musical en 1898, pour l’approcher et discuter avec lui.

À Lyon, il rencontre Georges Martin Witkowski (1867-1943), de douze ans son aîné, avec lequel il fonde en 1902 la Schola cantorum locale, société d’amateurs fervents destinée à organiser des concerts et faire connaître et apprécier la musique des nouveaux compositeurs. C’est également à ses côtés qu’il organise la Société des Grands Concerts dont il est nommé secrétaire le 18 mars 1905. Ce nouvel ensemble devant trouver un point de chute, Léon Vallas s’associe encore à G. Martin Witkowski afin d’obtenir la construction de la Salle Rameau, première grande salle privée de concerts de Lyon dont la première pierre est posée le 19 mai 1907.

Dans le même temps, il commence sa carrière de critique musical. En 1903, Paul Duvivier lui ouvre ainsi les colonnes de l’hebdomadaire mondain Le Tout Lyon, complétées par celles du Lyon universitaire où il tient le sceptre de la critique sous le pseudonyme de "Fasolt". Mais elles ne lui suffisent pas et, dès octobre de l’année suivante, Léon Vallas abandonne Le Tout Lyon… où il ne reviendra qu’en septembre 1948. Âgé d’à peine 24 ans, il fonde alors la Revue musicale de Lyon, un instrument de réflexion et d’observation de l’activité musicale de la cité dont il poursuit la publication jusqu’en 1912 avant de la faire renaître sous le titre de Revue française de musique (1912-1914), puis sous celui de Nouvelle revue musicale (1920-1925 ; 1928-1929). En son sein, il s’entoure de quelques-unes des plus brillantes plumes de l’époque et y réunit les meilleurs spécialistes – les journalistes Antoine Sallès et Edmond Locard pour la "Chronique lyonnaise", les compositeurs G.M. Witkowski, Vincent d’Indy, Claude Debussy, et tant d’autres -, avant d’en assurer seul la direction et la rédaction. C’est également dans le cadre de cette revue qu’il crée dans l’après-guerre les Petits Concerts de Lyon, dévolus à la mélodie et à la musique de chambre, où se produit régulièrement la claveciniste et cantatrice Paule de Lestang dont il suit la carrière et qui deviendra plus tard son épouse [2].

Dès le début du XXe siècle, il s’engage dans des études universitaires de musicologie qui allaient se conclurent, le 22 décembre 1908, par la soutenance d’une première thèse devant la faculté des Lettres de l’Université de Lyon sur La Musique à Lyon au XVIIIe siècle, couronnée onze ans plus tard par une thèse de doctorat d’Etat ayant pour sujet Un siècle de musique et de théâtre à Lyon, 1688-1789 (1919). Publiée avec adjonctions en 1932 par Masson, cette dernière reste un modèle comme une référence en la matière.

Parallèlement, ses recherches musicologiques et ses références universitaires lui ouvrent la voie de l’enseignement, d’abord à l’Université de Lyon où il est chargé jusqu’en 1911 d’un cours libre d’histoire de la musique, puis au Conservatoire national de musique de Lyon, poste de professeur sur lequel il est titularisé en décembre 1912 et qu’il conservera jusqu’en juin 1931. Si ses titres universitaires auraient dû lui ouvrir la voie d’une carrière plus prestigieuse, Léon Vallas devra cependant faire face à plusieurs désillusions. En 1924, le poste de directeur du conservatoire, laissé vacant par la démission de Florent Schmitt (1870-1958), lui échappe ; Edouard Herriot lui préférant Georges Martin Witkowski, ce qui n’arrangera en rien, évidemment, les relations entre les deux hommes. En 1941, il ne sera pas plus heureux suite au départ en retraite de son ancien ami et rival, puisque sa candidature est écartée au profit d’Ennemond Trillat (1890-1980). La même année, il pose également sa candidature à la Chaire d’histoire musicale du Conservatoire national de Musique de Paris mais, ayant postulé hors délais, elle est finalement pourvue par Norbert Dufourcq (1904-1990) [3].

En revanche, la Sorbonne lui confie le cours libre d’histoire de la musique française contemporaine (1928-1930). Depuis 1925, Léon Vallas fréquente en effet assidûment la capitale [4] où il a fondé avec G. Bender les conférences dites de "La Musique vivante", causeries dialoguées avec le public qui font connaître ses qualités de conférencier, d’homme de lettres et d’érudit. Elles sont le point de départ à une série de conférences organisées aux États-Unis sous les auspices de l’Alliance française et du French Institute in The United States de New-York (1929-1935). Aussi, sa contribution à la diffusion de la culture aux États-Unis lui vaut l’attribution de la Légion d’honneur au titre du Ministère des Affaires étrangères (21 juillet 1934) [5].

Au lendemain de la Grande Guerre [6], âgé d’une quarantaine d’années, c’est surtout comme journaliste que Léon Vallas va marquer la grande et la petite histoire lyonnaise. Entre mars 1919 et 1924, il devient le critique musical attitré du quotidien Le Salut Public, succédant ainsi à Antoine Sallès, titulaire de la rubrique depuis 1897 sous le pseudonyme de "Amaury". Aussi étrange que cela puisse paraître, il est également appelé, la même année, à tenir la tribune musicale au sein de la nouvelle équipe du Progrès de Lyon, sans pour autant signer ses articles selon la tradition du journal où "pendant près de quarante ans (sauf quelques brèves interruptions) il rendit compte de toutes les manifestations lyriques et de tous les concerts" [7]. Chaque samedi, il y tient en "rez-de-chaussée" la chronique intitulée "La Musique", alternant réflexions générales et comptes rendus des activités artistiques. Très vite, il se fait remarquer par ses jugements prompts et son style alerte, d’une vivacité parfois corrosive, qui sont ceux d’un polémiste-né. Des jugements sans concession, d’une violence et d’une férocité que l’on ne voit plus guère dans la presse d’aujourd’hui, qui lui valurent d’ailleurs de solides inimitiés, en particulier de la part de Witkowski scandalisé par les critiques de son ami à l’égard de ses concerts.

Dès le milieu des années 1930, Léon Vallas est de retour à Lyon de façon définitive. Depuis 1936, il est le secrétaire des Émissions de Lyon National, poste qu’il occupera jusqu’en 1941 date à laquelle il est nommé – mais pour peu de temps – secrétaire général des émissions musicales à la direction de la Radiodiffusion nationale. En 1938, alors qu’il convoite la direction artistique du poste Radio-Lyon P.T.T. , il fait jouer ses relations parisiennes – notamment celles qui le lient à son compatriote Vuillermoz – afin que celles-ci intercèdent en sa faveur auprès du ministère des Télécommunication. À la fin de la guerre et malgré les vicissitudes de l’époque, Léon Vallas profite d’une semi-retraite pour reprendre ses notes et achever la rédaction de son ouvrage sur Claude Debussy. En 1946 paraît également le premier tome de son Vincent d’Indy dont le second volume n’est publié que cinq ans plus tard.

Léon Vallas décède à Lyon le 9 mai 1956. Il repose au cimetière de Sainte-Foy-lès-Lyon où le rejoindra son épouse, la claveciniste Paule de Lestang. Depuis 1958, une plaque commémorative signale l’immeuble qu’il habita de 1935 à sa mort au numéro 286 de la rue Vendôme (Lyon 3e).

Philippe Rassaert - BM de Lyon.

Le fonds Vallas à la Bibliothèque municipale de Lyon

En 1991, le Conservatoire national de région de Lyon fait don à la Bibliothèque de Lyon des archives rassemblées par Léon Vallas au cours de sa longue carrière. On y retrouve tout le matériel lié à ses propres publications : tapuscrits, manuscrits, premières éditions annotées ou corrigées ; études inédites ; articles de critique musicale rassemblés au jour le jour ; etc. À cet ensemble déjà conséquent, s’ajoute également une bonne part de sa documentation personnelle, mais aussi un ensemble d’archives permettant d’éclairer ses "autres" carrières au Conservatoire de Lyon et à la Sorbonne ou à la radio Lyon P.T.T. : correspondances diverses (active et passive) ; albums de photographies ; programmes de concerts ; etc. Enfin, une part non négligeable de ce fonds concerne son épouse, la claveciniste et cantatrice Paule de Lestang, dont il a suivi avec passion toute la carrière.

Notes

[1Écrivain, musicographe et compositeur, E. Vuillermoz (Lyon, 23 mai 1878 – Paris, 2 mars 1960) a collaboré à un très grand nombre de périodiques et revues. Si sa carrière fut essentiellement parisienne – suivant en cela l’exemple d’un Henri Béraud – il n’en oublia pas pour autant ses attaches lyonnaises, en collaborant par exemple aux pages "TSF Tribune" du Nouvelliste de Lyon. Également critique de cinéma dès les années 1930, notamment au quotidien Le Temps (Paris), c’est surtout dans la critique musicale qu’il excella. Émile Vuillermoz fut ainsi un spécialiste reconnu de Debussy, de Ravel et de Gabriel Fauré sur lesquels il laisse trois études. Il collabora encore de façon régulière, de 1954 à sa mort, à la revue lyonnaise Résonances dirigée par Régis Neyret. Deux importants ouvrages ont été publiés chez L’Harmattan sur la double activité d’Émile Vuillermoz : Le Temps du cinéma, Émile Vuillermoz, père de la critique cinématographique 1910-1930, par Pascal Manuel Heu (2003), et Critique musicale, 1902-1960 : au bonheur des soirs, texte établi par Jacques Lonchampt (2013).

[2Léon Vallas annonça la création de la Société des Petits Concerts dans le Salut Public du 9 avril 1919 : "Malgré la modestie de leur titre, les Petits Concerts ont des visées très ambitieuses puisqu’il prétendent à jouer, en ce qui concerne la musique de chambre, un rôle analogue à celui que remplit si brillamment, en matière de musique orchestrale, la Société des Grands Concerts. La musique de chambre, dans la nouvelle institution, sera comprise en son acceptation la plus large : toute la musique qui n’est pas écrite pour l’orchestre ou pour les grandes masses chorales. Son domaine est immense, pour ainsi dire, dans l’espace artistique [...]". La première séance des Petits Concerts qui s’est tenue le 30 novembre 1919 était entièrement consacrée à la musique française : oeuvre du XVIe siècles (Goudimel, Costeley, Jannequin) chantées à quatre voix ; œuvres du XVIIe et XVIIIe siècles (Marois, Couperin, Rameau, Caix d’Hervelois) jouées sur clavecin et violes ; œuvres du XIXe et du XXe siècles (Saint-Saëns, Fauré, Albéric Magnard, Debussy et Ravel) pour chant, piano et quatuor vocal. On pouvait y entendre Paule de Lestang et son quatuor vocal, Jean Riddez, baryton et professeur de chant au Conservatoire, Alexis Ticier, violiste, et le pianiste Ennemond Trillat.

[3Norbert Dufourcq rédigea la notice nécrologique de Léon Vallas publiée dans la Revue française de musicologie de décembre 1956 (non conservée).

[4À l’automne 1928, Léon Vallas trouve et aménage à Paris un appartement en location pour Paule de Lestang. Lui-même s’installe dans un studio au 21 du quai Voltaire (Paris 7e), adresse qu’il donne pour siège de la Nouvelle revue musicale.

[5Dossier nominatif de la Légion d’honneur. Paris, Arch. Nat. (19800035/0216/28390).

[6La Première Guerre mondiale voit Léon Vallas revenir à sa vocation initiale. Mobilisé pendant toute la durée du conflit, d’abord comme caporal, puis comme médecin auxiliaire de l’hôpital temporaire n°38 du Mont-Dore (Puy-de-Dôme), au 113e régiment d’artillerie (1916) et enfin au 309e régiment d’artillerie lourde (1918), il est mis à disposition du médecin-chef du camp de Sathonay le 4 février 1919, et placé en congé illimité à Lyon à partir du 1er mars.

[7Le Progrès de Lyon, 10 mai 1966.