AIRS DU TEMPS
Édouard Herriot et la vie musicale à Lyon (1905-1957)

La presse et la critique musicale lyonnaise

"Je ne crois pas, qu’à part celui de banquier ou d’homme politique, il existe au monde un métier plus tristement inutile que celui de critique", écrit Vincent d’Indy en 1902, au lendemain de la création de Pelléas et Mélisande [1]. Quelques années plus tard, le 30 mai 1911, lorsqu’Antoine Sallès, critique musical en titre du Salut Public, est appelé à siéger pour la première fois à l’Académie de Lyon, il consacre son discours de réception au rôle de la critique lyonnaise au XIXe siècle [2] en affirmant cependant que le jugement péremptoire de Vincent d’Indy est à son sens bien trop "absolu", et que la critique peut rendre de grands services à la musique.

Dans la longue liste des critiques lyonnais qu’il dresse à cette occasion - critique musicale encore marquée par un amateurisme très net -, se retrouve des hommes politiques, comme Antoine Gailleton (1829-1904), des romanciers comme Paul Bertnay (1846-1928), des avocats tel qu’Auguste Pérut (1828-1901) et des médecins, comme le docteur Georges Linossier (1857-1923) qui, rattaché au Salut Public, donne nombre de chroniques musicales appréciées sous le pseudonyme de "Philippe Arthaud". Rares sont cependant les musiciens, et l’on n’en compte sur cette fin de siècle que deux ou trois : les compositeurs Prosper de Sain-d’Arod (1814-1887), au Courrier de Lyon ; Hippolyte Mirande (né en 1862) et Ernest Garnier (1858-1932), au Progrès de Lyon.

La plupart de ces critiques sont encore en activité au début du siècle suivant – et pour certains jusque dans l’après-guerre –, époque faste pendant laquelle se crée, en décembre 1904, le Cercle de la critique de la presse quotidienne lyonnaise qui regroupe, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, les principaux rédacteurs investis de la critique théâtrale et musicale dans chacun des cinq grands quotidiens de Lyon. Ce Cercle est l’équivalent des fameux dîners parisiens dits des "Mille regrets", qui comprenaient dans la capitale les critiques de théâtres et les secrétaires de rédaction, si souvent obligés d’opposer un refus gracieux aux quêteurs de billets. À Lyon, les secrétaires de rédaction ne font pas partie de ce groupe d’élite, raffiné quintette dont le président, le vice-président, le secrétaire et le trésorier alternent chaque mois par roulement. Ils se réunissent lors de séances conviviales, généralement tenues autour d’une bonne table, pour discuter des intérêts du Grand-Théâtre et mènent, de concert, de véritables campagnes pour exiger des directeurs de l’Opéra les améliorations nécessaires au répertoire. On notera au passage que le Grand-Théâtre constitue à cette époque presque toute la musique, si bien qu’il est souvent délicat de faire la part entre ce qui appartient à la critique musicale, à la chronique théâtrale ou dramatique telles qu’on les conçoit aujourd’hui ; un journaliste pouvant s’occuper indifféremment des trois domaines, on ne s’étonnera donc pas de les retrouver dans ce cercle.

Parmi les quelques grands quotidiens lyonnais de la fin du XIXe siècle cités par Antoine Sallès, la plupart existent encore au siècle suivant, au moins jusqu’aux années 1920, et pour certains jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale : L’Express de Lyon, dont la création, sous la direction d’Emmanuel Vingtrinier (1850-1931), remonte à 1883 et se poursuit sous divers titres jusqu’en 1925 ; le Salut Public, le Nouvelliste de Lyon et le Lyon républicain, frappés d’interdiction, cessèrent de paraître à la Libération ; enfin, le Progrès de Lyon, le seul parmi ces quotidiens à avoir traversé le siècle sans trop d’encombres jusqu’à nos jours, exception faite d’une interruption entre 1942 et septembre 1944. Encore faut-il ajouter à ces quelques titres les nouveaux venus, tel que La Dépêche de Lyon, devenu le Sud-Est républicain puis Le Rhône (1920-1925), mais qui n’a pas réussi à s’affirmer durablement, et ceux apparus postérieurement au chaos de la Seconde Guerre mondiale, principalement L’Écho - Liberté, né de la fusion des petites feuilles de la Libération et, dans une moindre mesure, Dernière heure lyonnaise, édition lyonnaise du Dauphiné libéré. Deux quotidiens qui viennent concurrencer le Progrès sur son propre territoire.

On n’oubliera pas également la presse hebdomadaire ou mensuelle, quelquefois spécialisée : La Chanson (1902-1914), publication des sociétés chansonnières dirigée par Camille Roy ; L’Express musical (1903-1914) de Maurice Reuchsel, supplément de L’Express de Lyon et organe du mouvement artistique et orphéonique de la région lyonnaise (1903-1914) ; la Revue musicale de Lyon de Léon Vallas qui, sous différents titres et avec quelques interruptions, couvre la période de 1903 à 1929 ; la revue Spectacles (1929-1939) de Jules et Jean Clère, offrant d’intéressants articles et quantité d’anecdotes sur la musique populaire. Enfin, quelques publications de la presse culturelle ou littéraire qui accordent une place importante aux petites scènes lyonnaises et à ses acteurs : La Vie Lyonnaise, fondée en 1914 par Gabriel Berthillier (1871-1947) ; le Tout Lyon, revue mondaine de Paul Duvivier (1869-1956) ; le Passe-Partout placé sous la direction de Jean Desmeurs (1854-1928) et le Cri de Lyon, de Guy Aroud (1895-1978).

Bien que fortement datée, la communication d’Antoine Sallès est aujourd’hui d’autant plus précieuse qu’elle reste l’un des rares documents à mettre en valeur l’influence de la critique lyonnaise sur l’évolution du goût musical. Outre les documents d’archives, la documentation sur le rôle de la presse en région et son influence sur l’opinion lyonnaise est en effet très lacunaire. De manière très générale, nous ne disposons aujourd’hui que de quelques annuaires, des mémoires restés pour la plupart confidentiels et une poignée d’articles. En tout et pour tout, quelques dizaines de documents épars sur le Progrès, sur le Nouvelliste de Lyon, sur les journaux de la Libération... Si ce ne sont quelques recueils de souvenirs, nous ne disposons de quasiment rien sur les journalistes actifs à Lyon entre 1900 et 1960, et encore moins sur la critique musicale lyonnaise pendant cette période. On se prend alors à imaginer les dizaines de volumes que formerait la compilation des dizaines de milliers d’articles écrits presque quotidiennement dans la presse lyonnaise sur ce sujet. Une anthologie qui reste à constituer...


Membres de la critique musicale lyonnaise au XXe siècle

L’astérisque (*) signale un renvoi sur cette même page.

 

Raoul Cinoh (1859-1923)

Originaire de la Drôme, Raoul Chion, plus connu sous le pseudonyme de Raoul Cinoh, fait ses débuts dans le journalisme au Tintamarre de Paris vers 1877. Entré comme rédacteur au Progrès de Lyon (1880), il passe ensuite par la rédaction du Courrier de Lyon, avant de prendre la critique musicale et dramatique du Lyon républicain (1886), poste qu’il ne devra plus quitter jusqu’à la ses "adieux au public", le 5 octobre 1921. Historiographe passionné des deux grandes scènes municipales et échotier spirituel de la vie musicale lyonnaise, il y donne pendant trente-cinq ans ses "Feuilles volantes", y tient successivement les rubriques "En passant", les "Propos d’un Gone" et le "Carnet de la quinzaine". Comme auteur dramatique et revuiste, Raoul Cinoh fait jouer quelques pièces au Casino et aux Célestins, seul ou en collaboration avec ses confrères Victor Gourraud (1848-1919)* et Antoine Deschavannes (1863-1931), jusqu’à s’associer à Francisque Verdellet, directeur du nouveau théâtre de L’Eldorado. Parmi celles-ci, on notera Ah ! la Gui... la Gui... la Guillotière !, fameuse revue locale produite par ce théâtre à partir du 27 juillet 1894 et qui connaît un énorme succès avec plus d’une centaine de représentations. Raoul Cinoh compte parmi les cinq membres fondateurs du Cercle de la critique lyonnaise dont la première réunion est l’objet d’une drôlatique "Feuille volante" (Lyon républicain, 22 janvier 1905). Également membre de l’association des journalistes de la presse quotidienne lyonnaise ; il en est le secrétaire avant d’en assurer la présidence deux ans avant sa mort en remplacement du journaliste Louis Clapot (1849-1922).

Jules Clère (1875-1966)

Avocat de profession, inscrit à la Cour d’appel de Grenoble (1896) puis de Paris (1898), Jules Clère est à vingt ans le secrétaire et l’ami du conseiller d’État et préfet d’Empire Louis Herbette (1843 -1921), qui joue un rôle important, à la fin du XIXe siècle, dans la politique extérieure du pays, notamment au Canada et au Portugal. Né le 9 avril 1875 à Mâcon, Jules Clère est un assidu des salons parisiens, prenant une part active au mouvement littéraire de la fin du XIXe siècle, notamment auprès de Juliette Adam (1836-1936) dont il est le secrétaire. Il collabore ainsi régulièrement, par quelques études et comptes rendus sur les lettres, l’art dramatique et la musique, à La Nouvelle revue fondée par la romancière, fréquente également les grands boulevardiers et les personnalités célèbres issues du monde du théâtre et des lettres telles que Sarah Bernhardt, La Duse, Henry de Régnier, Edmond Rostand, Jean Mounet-Sully ou Paul Mounet. Installé dans l’ancienne capitale des Gaules et inscrit au barreau de cette ville depuis 1909, il fonde à la fin des années 1920 la revue artistique Spectacles (1929-1939), avec la complicité de ses deux fils, Jean (1906-1980)* et Pierre, dit "Perry-L." (1896-1988), revue à laquelle doit bientôt se joindre Maurice de Person (1907-1969), critique théâtral exilé du Salut Public. Avec son numéro de novembre 1934, cette publication se distingue par son supplément de quelques pages, sorte de gazette illustrée sur le théâtre intitulée "L’Opéra à Lyon". Elle contiend des biographies d’artistes ; des analyses détaillées, avec extraits musicaux, des grandes reprises et créations de la saison ; des articles techniques sur la mise en scène, illustrés de croquis, de décors et de costumes ; des anecdotes des coulisses, etc. Jules Clère était président d’honneur de l’association de la presse cinématographique lyonnaise et membre du conseil de gérance du poste de radiodiffusion de Lyon-La Doua.

Jean Clère (1906-1980)

Né le 21 juillet 1906, Jean Clère débute à l’âge de 20 ans dans le journalisme, en participant à l’aventure de Radio-Lyon par l’écriture de pièces, l’adaptation de romans et la création du premier "magazine sonore" (1937) qui le conduisent à devenir le parolier des plus grandes vedettes de l’époque, telles que Marie Dubas, Jean Lumière, Lys Gauty ou Rina Ketty, pour des partitions dont la musique est fréquemment signée par Jean Lenoir. Avec des musiciens réputés, il écrit également des mélodies - au total plus d’une centaine d’oeuvres - qu’interprètent les plus grand noms de l’art lyrique : Alice Raveau, Germaine Féraldy, Ninon Vallin... Parmi ses chansons on peut citer : La Guinguette (musique de Mario Gautherat), Trois Matelots (musique de Jean C. Vincent) ou Chant des gars de batterie (musique de Paul Fontaine et Jacques Métehen). Il est enfin l’auteur de plusieurs chansons pour des musiques de films et des Trois chants de l’Hurluberlu (édité en disque), qui connaît de beaux succès dans les music-halls parisiens. Parallèlement, Jean Clère se passionne pour Guignol et le folklore lyonnais, pour lesquels il livre encore plusieurs chansons, jusqu’à diriger avec son père la revue Spectacles. Avec son frère Pierre, il apporte enfin sa collaboration au Progrès de Lyon dès 1945, journal où il va demeurer jusqu’à sa retraite en 1972. Jean Clère n’est pas à proprement parlé un critique musical, mais sa place est ici marquée pour le rôle qu’il joua pendant une dizaine d’années à la rédaction de la revue Spectacles, bien qu’il soit aujourd’hui difficile de distinguer la part qui lui revient réellement, dans le domaine musical, au sein de cette publication artistique. Le Fonds Orgeret, conservé à la Bibliothèque de Lyon, renferme aujourd’hui un certain nombre de ses créations.

Emile Ducoin (1855-1943)

Journaliste, Emile Ducoin entre en 1885 à la rédaction du Nouvelliste de Lyon où il est d’abord chargé des informations politiques avant de se consacrer à la critique théâtrale et musicale, domaines dans lesquels il fait autorité pendant près d’une trentaine d’années. Officier de réserve, incorporé comme sous-intendant de 2e classe à l’intendance militaire de la 14e région pendant la Première Guerre mondiale, il abandonne volontairement la profession pour une carrière militaire et devient, à ce titre, le président du Cercle des officiers de la garnison. Emile Ducoin était membre associé de l’académie Delphinale (depuis 1894) et du comité de la Société lyonnaise des Beaux-Arts.

Charles Ducoin (1886-1915)

Docteur en droit, c’est en raison de sa compétence en matière de sociétés que Charles Ducoin est placé à la tête du contentieux de la Chambre syndicale des agents de Change de Lyon. Amateur des arts et des belles-lettres, en particulier de la musique, il supplée quelque fois son père, Emile Ducoin (1855-1943)*, au Nouvelliste de Lyon, journal auquel il donne des articles de critique musicale. Incorporé comme sergent au 42e régiment d’infanterie coloniale pendant la Première Guerre mondiale, il meurt lors de la bataille de Champagne.

Henry Dumoulin (1915 ?-1996)

Critique musical, fils spirituel du musicologue Léon Vallas (1879-1956)* qui le désigne en 1956 à sa succession au Progrès de Lyon, Henry Dumoulin se double aussi d’un fin pédagogue en tant que conférencier, puis comme professeur de la classe d’art lyrique du conservatoire de région où il régne pendant une trentaine d’années. Spécialiste de l’art lyrique, il avait lui-même tâté de la vie d’artiste et sa voix de ténor le désigna dans sa jeunesse pour chanter le rôle de mime dans la Tétralogie de Wagner au Grand-Théâtre de Lyon. Henry Dumoulin est devenu une figure incontournable de la vie musicale lyonnaise de l’après-guerre à tel point que Jean-Guy Mourguet en a fait l’une des marionnettes de son Théâtre de Guignol.

Henry Fellot (1881-1944)

Violoniste et musicologue, la carrière de journaliste d’Henry Fellot commençe au début du XXe siècle aux rédactions du Tout Lyon et de L’Express de Lyon où ses chroniques musicales sont fort suivies. Parallèlement, de 1903 à 1910, il collabore à la Revue musicale de Lyon de son confrère Léon Vallas (1879-1956)*. Après un bref passage de deux années au Nouvelliste de Lyon, Henry Fellot supplée ce dernier en 1924 en poursuivant sa carrière dans les colonnes du Salut Public et enfin dans diverses revues telles que La Vie Lyonnaise et Notre Carnet où il seconde Pierre Giriat (1886-1979)* en s’occupant plus spécialement du théâtre lyrique. Ardent défenseur du wagnérisme, il s’intéresse dans le même temps aux ensembles vocaux, crée l’Ensemble vocal des Heures ainsi que la Chorale de Lyon-La Doua, jusqu’à prendre la direction des chœurs de l’Opéra de Lyon suite à la transformation de l’institution en régie municipale (1942). Henry Fellot est l’un des membres du Cercle lyonnais de la critique. À sa mort, Edouard Millioz (1872-1957)* lui succède au Salut Public, de janvier 1944 jusqu’à la suppression de ce journal à la Libération.

Alexandre Fréval (1860-1921)

Fondé de pouvoirs de l’Imprimerie Benoît Arnaud, Alexandre Fréval prend en charge la critique musicale de la Dépêche de Lyon. En 1920, après la fusion de ce titre avec le journal Le Rhône, il continue d’exercer les mêmes fonctions au sein du nouveau journal, Le Sud-Est républicain. Alexandre Fréval rejoint le Cercle de la critique de la presse quotidienne lyonnaise qui regroupe, de 1905 jusqu’en 1914, les principaux rédacteurs investis de la critique théâtrale et musicale dans chacun des grands quotidiens de Lyon, à savoir : Henri Delaroche, Victor Gourraud* et Félix Desvernay pour Le Progrès de Lyon ; Raoul Cinoh* du Lyon républicain ; Emile Ducoin* du Nouvelliste de Lyon ; Henry Fellot* et Marc Mathieu* de L’Express de Lyon ; Antoine Sallès* (Amaury) du Salut Public, et Alexandre Fréval* de La Dépêche de Lyon.

Pierre Giriat (1886-1979)

Musicien, compositeur et critique musical, Pierre Giriat est attiré très jeune par la composition musicale, la direction d’orchestre et par toutes les disciplines littéraires et artistiques. Après un passage éclair par le Conservatoire de Bruxelles, il suit, de 1909 à 1914, le cours d’harmonie et de composition de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de la rue Saint-Jacques à Paris. C’est là qu’il acquière, en plus d’une solide maîtrise de la composition, une admiration pour l’oeuvre de César Franck et qu’il se lie d’amitié avec les compositeurs Albert Roussel (1869-1937) et Louis Vierne (1870-1937). Revenu à Lyon au lendemain de la Grande Guerre, il succède en 1924 à César Geoffray (1901-1972) à la tête des "Fêtes du Peuple", pupitre qu’il anime pendant plus de trente ans. Grâce à lui, cette chorale qui réunit jusqu’à deux cents amateurs prend à Lyon une part considérable dans la diffusion populaire de la musique. Parallèlement, il enseigne la théorie supérieure au Conservatoire de Lyon et révèle aux mélomanes lyonnais, par l’intermédiaire de ses "Quarts d’heure" sur les ondes de Radio Lyon, maintes partitions classiques et contemporaines. Après avoir signé la rubrique musicale de la Revue fédéraliste, Pierre Giriat prend en charge la chronique des concerts de la revue Notre Carnet dirigée par Tancrède de Visan. Il est surtout, après la Seconde Guerre mondiale, un critique musical averti au sein de plusieurs publications, plus particulièrement à la Dernière heure lyonnaise dont il est l’un des premiers collaborateurs – une rédaction qu’il ne quittera que peu de temps avant sa mort – et au Tout Lyon où il assure la critique hebdomadaire de l’Opéra. Comme compositeur, il laisse plusieurs partitions de musique de chambre et des mélodies, notamment sur des textes de son ami, le poète lyonnais Louis Pize (1892-1976). Peu joué dans sa propre ville, Pierre Giriat a cependant vu son drame lyrique, Le Cyclope, d’après Euripide, créé à l’Opéra de Lyon en 1943 sous la direction de Georges Lauweryns avec Henry Dumoulin* en tête de distribution, et sa Dévotion à la Croix, d’après Calderón, interprété le 15 décembre 1957 salle Rameau par l’orchestre philharmonique.

Victor Gourraud (1848-1919)

Né à Draguignan le 28 février 1848, Victor Gourraud débute tout jeune dans la carrière de journaliste. Dès 1872, il collabore au Courrier de Lyon, avant de passer, en 1884, à la rédaction du Petit lyonnais. Deux ans plus tard, il entre au Progrès de Lyon, journal dans lequel il fait l’essentiel de sa carrière. Éprit de littérature et d’art, il est tour à tour un reporter pittoresque, un chroniqueur littéraire et artistique, et un critique dramatique averti. À partir de 1897, il signe également, sous le pseudonyme de "Jacques Mauprat", nombre de chroniques dans le Progrès illustré, supplément littéraire du Progrès de Lyon. Membre (1897) puis vice-président de l’Association des journalistes de la presse quotidienne lyonnaise, Victor Gourraud est enfin l’un des membres fondateur du Cercle de la critique.

Léon Gourraud (1881-1953)

Fils de Victor Gourraud (1848-1919)*, ancien critique dramatique et doyen des journalistes du Progrès de Lyon, Léon Gourraud est le condisciple au lycée Ampère d’Henri Delaroche (18..-1936), futur directeur du Progrès, où ils goûtent, dit-on, l’enseignement d’un certain Édouard Herriot alors jeune professeur agrégé de rhétorique. Sur les traces de son père, Léon Gourraud entre naturellement au Progrès à l’âge de vingt ans. Il y fera toute sa carrière, occupant successivement à peu près tous les postes jusqu’à en assurer le secrétariat général à partir de 1929. Journaliste de valeur et musicien averti, il publie à son tour des chroniques dramatiques et musicales très remarquées. Avant la Grande Guerre, Léon Gourraud a également rempli les fonctions de secrétaire pour la presse au Grand-Théâtre alors placé sous la direction du baryton Gaston Beyle (1860-1932).

Albert Gravier (1895-1982)

Né à Lyon le 3 décembre 1895, Albert Gravier fait ses études à l’École Chaponnay, puis à l’École normale d’instituteurs où il devient professeur de mathématiques spéciales, profession qu’il exerce également dans diverses institutions, notamment dans la classe d’architecture de l’École des Beaux-Arts de Lyon. Mais sa vocation profonde est ailleurs. Excellent pianiste lui-même, conférencier disert, animateur radiophonique et membre, depuis 1931, du comité d’enseignement du Conservatoire, Albert Gravier est un passionné de musique. Il consacre une grande partie de son activité à la défendre dans la presse lyonnaise, particulièrement au quotidien L’Écho - Liberté, et prend une part active aussi, comme collaborateur permanent de la revue Résonances dirigée par Régis Neyret. En dehors des nombreuses études qu’il publie dans les revues spécialisées, Albert Gravier laisse deux ouvrages de vulgarisation parus dans la collection "Nos amis les musiciens" des Éditions du Sud-Est, l’un sur Robert Schumann (1958), l’autre sur Ludwig van Beethoven (1963).

Grinchu (1873-1921)

Très peu de renseignements nous sont parvenus sur ce journaliste autodidacte, passionné d’opéra qui, sous le pseudonyme de "Grinchu", a signé quelques critiques "finement troussées" au Lyon-Sport dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale. Pendant longtemps, certains ont cru reconnaître sous le voile de l’anonymat un certain Georges Trombert (1874-1949), célèbre en son temps pour avoir remporté le titre de champion d’Europe d’escrime. Mais c’est à Léon Vallas que l’on doit d’avoir révélé la véritable identité de ce critique dans la première édition des départements du Progrès de Lyon en date du 23 mars 1921 : "Avant la guerre paraissait régulièrement en les colonnes azurées du Lyon-Sport, des chroniques théâtrales et musicales signées du pseudonyme Grinchu, chroniques judicieuses, fort développées, mais alertes et pleines d’humour. L’auteur déclaré, officiel, en était un escrimeur connu. Oncques pourtant l’homme d’épée ne tint la plume de critique. À Charles Guichard seul était imputable une paternité flatteuse, dont très modestement, grâce à une entente amicale il laissait le mérite à un autre." Comme le remarque Léon Vallas au sein des archives aujourd’hui conservées à la Bibliothèque de Lyon (Ms Vallas 51, vol.II, f.42), cette révélation fut supprimée dans les autres éditions du Progrès par crainte des foudres du manieur d’épée, auteur déclaré des articles de Guichard-Grinchu.

Edmond Locard (1877-1966)

Médecin légiste, ancien élève des professeurs Léopold Ollier et Alexandre Lacassagne, fondateur en janvier 1910 puis directeur pendant plus de quarante ans du laboratoire de police technique dans les combles du Palais de Justice de Lyon, Edmond Locard est un touche-à-tout de génie, traitant avec autant d’aisance et de talent de criminologie, d’herboristerie, de philatélie ou de musique (liste non exhaustive). Il collabore ainsi très jeune au Tout Lyon où il prend en charge la chronique musicale. Le 6 octobre 1921, il succède à Raoul Cinoh (1859-1923)* comme critique musical du Lyon républicain et commence dès le mois suivant une collaboration hebdomadaire à la luxueuse revue La Vie lyonnaise par une constatation tout en nuances : "Je n’irai pas jusqu’à dire que tout Lyonnais soit musicien, comme il est mystique. Il y a ici, comme partout, des gens fermés à cet ordre de joies, mais il n’y en a nulle part aussi peu" (1re chronique in : La Vie Lyonnaise, 12 nov. 1921). Edmond Locard est par ailleurs le membre actif de nombreuses sociétés locales, parmi lesquelles se trouve l’amicale des "Fervents de l’Opéra" dont il assure plusieurs années la présidence d’honneur aux côtés d’un autre critique, Henry Fellot*.

Marc Mathieu (1856-1942)

Docteur en médecine, Marc Mathieu est un critique musical redouté, d’abord au Nouvelliste de Lyon, puis à L’Express de Lyon (ca 1881-1908) où il signe ses articles par l’initiale de son surnom : "L.". En décembre 1907, sa plume acide lui vaut d’alimenter la rubrique des faits divers suite à son agression par l’un des ténors du Grand-Théâtre, Victor Garnier (dit Granier) ; une sombre histoire, certes anecdotique, mais qui est détaillée en 1950 par Léon Vallas* au cours d’une série de "causeries" radiophoniques à Radio-Lyon. Marc Mathieu a publié en 1897, avec la complicité de son confrère Antoine Sallès*, du Salut Public, une brochure réunissant les articles écrits dans leurs journaux respectifs à l’occasion de la première représentation en France des Maîtres chanteurs de Nuremberg au Grand-Théâtre de Lyon. Collaborateur de la Revue musicale de Lyon, il publie également en 1906 le recueil des articles qu’il a rédigé dans cette revue sur le Répertoire lyrique. À sa mort, ses héritiers lèguent à la Ville de Lyon, pour son Grand-Théâtre, une petite collection de partitions de chefs d’orchestre qu’il avait lui-même réunie.

Georges Michet (1894-1982)

Ancien secrétaire à la Chambre syndicale des agents de change de Lyon, Georges Michet se tourne vers le journalisme en assurant la critique musicale du Progrès de Lyon de 1931 à 1948. En 1924, Georges Michet épouse Suzanne Favier (1899-1980), qui fut pendant de nombreuses années la critique théâtrale et littéraire attitrée du Progrès et de la revue Résonances. Les archives de Suzanne Michet sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque municipale de Lyon.

Edouard Millioz (1872-1957)

Docteur en médecine (1909), Edouard Millioz commence sa carrière professionnelle à la direction de l’assistance et de l’hygiène publiques où il est spécialement chargé du service des épidémies. Ses connaissances du monde musical lyonnais l’amène par ailleurs à prendre une part active à la Revue musicale de Lyon dès sa création en 1903 par Léon Vallas*. Par la suite, il collabore pendant plusieurs décennies à divers titres de la presse quotidienne lyonnaise, notamment au Sud-Est républicain à partir de 1920, puis au Nouveau Journal et au Nouvelliste de Lyon où il assure indifféremment la chronique théâtrale et musicale. De 1941 à 1944, sa signature apparaît en dernier lieu dans les pages du Salut Public avant son retrait définitif de la vie musicale en sa terre natale de Savoie. En 1935, son mariage avec la cantatrice et professeur de chant Marie-Louise Rambaud, connue à Lyon sous son nom d’artiste Rollan-Mauger (1884-1952), lui ouvre les portes du conservatoire de musique de Lyon où sa longue expérience dans le domaine musical lui vaut en outre une nomination au sein du jury des concours de fin d’année (vers 1937-41). Avant tout excellent musicien, familier de la musique de chambre et connaissant admirablement le répertoire lyrique, notamment les oeuvres wagnériennes, Edouard Millioz est un fauréen de goût et l’une des dernières grandes figures de cette époque musicale lyonnaise.

Maurice Reuchsel (1880-1968)

Deuxième fils du compositeur et organiste Léon Reuchsel (1840-1915), Maurice manifeste très tôt des dispositions pour la musique. Violoniste précoce, il donne ses premiers concerts dès la fin des années 1880. Après des études au Conservatoire de Paris, il revient rapidement à Lyon, ville où il est pendant une dizaine d’années l’organiste de la Paroisse du Bon-Pasteur avant d’occuper la tribune de l’église de la Rédemption de 1915 à 1950. Avec son frère, le pianiste Amédée Reuchsel (1875-1931), il organise des concerts de musique de chambre où les exécutions d’œuvres anciennes et modernes sont généralement précédées d’une conférence et crée la Société lyonnaise des instruments anciens, un ensemble fort critiqué par Léon Vallas* qui se fait un plaisir à lancer des attaques contre le "clan" Reuchsel. À l’aube du XXe siècle, Maurice Reuchsel prend le sceptre de la critique du quotidien L’Express de Lyon, jusqu’à fonder un supplément bimensuel, L’Express musical, "organe du mouvement artistique et orphéonique de la région lyonnaise", qui continue à paraître jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Au milieu des années 1930, il seconde de temps à autre Henry Fellot* au Salut Public, avant de prendre en charge, de 1936 à 1944, la nouvelle rubrique hebdomadaire des "Échos radiophoniques". Outre les articles écrits presque quotidiennement depuis 1900, à L’Express de Lyon, au Nouveau journal ou au Salut Public, Maurice Reuchsel laisse enfin une œuvre abondante comme compositeur. Écrivain prolixe, il est l’auteur de quelques ouvrages sur la musique, particulièrement sur les instruments à cordes, tels que La musique à Lyon (1903), L’école classique du violon (1906) ou bien encore Les instruments à cordes et à archet (1935).

Antoine Sallès (1860-1943)

Avocat à la Cour d’appel de Lyon (1887), adjoint du 2e arrondissement puis conseiller municipal de Lyon, Antoine Sallès est dès 1886 le critique théâtral, le chroniqueur littéraire et artistique de diverses feuilles lyonnaises, en particulier du Salut Public, journal où, depuis 1894, il signe ses articles soit sous son nom, soit sous le pseudonyme "Amaury". Il abandonne cette charge en février 1919 au profit de son confrère Léon Vallas (1879-1956)*, tout en poursuivant une carrière politique jusqu’à la députation en 1928. Antoine Sallès est l’un des membres fondateurs de l’académie des Pierres-Plantées, sous le pseudonyme de Tony Bonrencontre, et membre de la Société littéraire et de l’Académie de Lyon (1909-1943). Ancien sociétaire du Cercle lyonnais de la critique, il succède à Raoul Cinoh (1859-1923)* à la présidence de l’association des journalistes de la presse quotidienne lyonnaise suite au décès de ce dernier. Sa passion pour les questions se rapportant au passé de Lyon, au théâtre et à la musique - il est notamment un intime du compositeur polonais Ignacy Paderewski (1860-1941) -, l’amène à publier de nombreuses études musicales : Les chansons de Pierre Dupont (1904), L’Opéra italien et allemand à Lyon au XIXe siècle (1906), Liszt à Lyon (1911), L’évolution de la musique française au XIXe siècle (1915), Les premiers essais de concerts populaires à Lyon, 1826-1876 (1919), Camille Saint-Saëns à Lyon (1922), Le Grand-Théâtre et le public lyonnais (1923), Le Freischütz de Weber au Grand-Théâtre de Lyon (1914) ou bien encore L’Enseignement de la musique à l’école, discours prononcé à la chambre des députés le 6 décembre 1928.

Henri Verpillat (1877-1928)

Ancien employé des chemins de fer et président de l’Union des agents de la voie Paris-Lyon-Méditérannée (P.L.M.), Henri Verpillat occupe également le poste de secrétaire général de l’une des plus anciennes fanfares de la Ville de Lyon, la Fanfare lyonnaise, fondée en 1857 par Joseph Luigini (1822-1898), ancien chef d’orchestre du Grand-Théâtre de Lyon. Par l’intermédiaire de cette société, il consacre une grande part de son activité au développement des sociétés musicales. Ses connaissances étendues en la matière l’amènent à collaborer à plusieurs journaux lyonnais. Il publie ainsi dans La Dépêche de Lyon - journal où il seconde le critique Alexandre Fréval* -, des chroniques orphéoniques appréciées par les sociétaires de chorales et de fanfares de la région.

Robert Proton de La Chapelle (1894-1982)

Né à Lyon en septembre 1894, Robert Proton de La Chapelle mène à la fois une carrière de musicologue, de compositeur, d’animateur et de romancier. Adjoint au Maire de Lyon en charge des Beaux-Arts dès 1941, puis de nouveau sous les mandatures de Louis Pradel entre 1965 et 1977, Proton de La Chapelle veille de fait sur l’ensemble des affaires culturelles de la Ville. On lui doit notamment la création du Festival international de Lyon, la construction de l’Auditorium Maurice-Ravel (aujourd’hui orchestre national), du Théâtre du 8e (actuelle Maison de la Danse), de la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu, du Musée de la civilisation gallo-romaine, ainsi que du Conservatoire national de région à Fourvière. Sans oublier qu’il poursuit également une carrière d’industriel et d’écrivain... Mais c’est surtout comme critique musical - sous le nom de plume de Robert de Fragny et sous la signature "R. de F." - que son nom est connu du grand public. Son activité journalistique commençe en 1920 au Nouvelliste de Lyon où il signe notamment des articles de la page hebdomadaire "T.S.F. Tribune" consacrée à ce nouveau média, jusqu’à se poursuivre après la Seconde Guerre mondiale à L’Écho - Liberté puis au Journal Rhône-Alpes. Pigiste en charge de la critique musicale de L’Écho - Liberté - en alternance avec Albert Gravier (1895-1982)* -, il crée en 1954, avec Régis Neyret, la revue culturelle Résonances où musique et théâtre tiennent une place importante. Compositeur de pièces pour piano, de messes, d’opérettes et d’oeuvres pour orchestre, R. Proton de La Chapelle se double d’un fin musicologue. Il laisse deux livres d’histoire de la musique, l’un sur Maurice Ravel qu’il a fort bien connu, l’autre sur la cantatrice Ninon Vallin qui lui avait confié ses souvenirs. Quelques mois avant sa mort, paraît le recueil de ses propres souvenirs sur Cinquante ans de vie culturelle à Lyon.

Philippe Rassaert - BM de Lyon.

Document(s) annexe(s)

- Cinoh (Raoul), "Feuilles volantes [ : Le Cercle de la critique lyonnaise]" in Lyon républicain, 22 janvier 1905 (BM Lyon, 950007).

- "Cinquante ans de critique musicale : les dangers de la critique", Causerie de Léon Vallas à Radio-Lyon, le 13 juillet 1950 (BM Lyon, Ms Vallas, 38bis).

Notes

[1Indy (Vincent d’), "À propos de Pelléas et Mélisande (essai de psychologie du critique d’art)" in L’Occident, no.7, juin 1902. Repr. in Revue musicale de Lyon, no.25, 5 avril 1908, p.705-713. [En ligne] : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k57556725/f1 (consulté le 15-11-2017).