AIRS DU TEMPS
Édouard Herriot et la vie musicale à Lyon (1905-1957)

Toute une ville en musique

De la fin du XIXe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale environ, les Lyonnais ont un engouement particulier pour la musique, à l’image du reste du pays d’ailleurs.

En 1883, une lettre est envoyée au préfet du Rhône par le Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, concernant l’engouement de la population pour les pratiques musicales. Dans cette lettre, le Ministère demande les moyens dont dispose le département du Rhône pour cette discipline. Ecoles, sociétés musicales, orphéons et fanfares se créent partout sur le territoire. On trouve fin XIXe jusqu’à 36 sociétés instrumentales et 39 sociétés chorales réparties dans la ville.
En 1935, d’après l’Annuaire musical, on compte 90 sociétés musicales à Lyon.

La musique est présente partout. Au sein de la famille, selon son niveau social, on chante, on joue du piano, de la flûte, de l’accordéon. Tous les styles musicaux sont représentés : de la chanson traditionnelle en passant par le grand air d’opéra, d’une partition de Frédéric Chopin jusqu’au morceau en vogue à ce moment. On achète des partitions chez Max Orgeret, imprimeur et éditeur lyonnais spécialisé, et on les joue en famille et avec les amis. On peut aussi se regrouper au sein d’une société musicale, pour monter une chorale, une fanfare, ou encore se retrouver dans un bar pour un assaut de chant.

On note un réel attrait des Lyonnais pour cette discipline artistique. Chacun fait selon ses moyens et ses capacités : les instruments utilisés ne seront pas les mêmes selon que l’on soit d’une famille modeste ou plus aisée, mais la musique reste accessible à tous. Finalement, pas besoin d’instrument, puisque grâce au chant, le corps est un instrument à part entière.

Et sans les enjeux financiers que peuvent avoir les salles à grands spectacles, la musique dans le cercle intime est pur loisir et simple plaisir, au service de rassemblement, d’animation de moments importants, comme les mariages, les communions, les anniversaires. Au café, on vient écouter et chanter entre amis des chansons fantaisistes ou réalistes, pour oublier les tracas de la vie quotidienne. Au sein des communautés immigrées, nombreuses à Lyon en cette période, on se rassemble dans l’intimité pour chanter et jouer des morceaux qui rappellent de bons souvenirs, pour célébrer des évènements de la vie. Ces mêmes communautés vont apporter dans leurs valises des instruments inconnus qui vont influencer la musique locale.

Même si cette pratique reste plutôt confidentielle, dans un cadre familial ou amical, elle est surveillée de près. Le moindre petit café qui souhaite donner un bal, un concert ou un assaut de chant, même en privé, doit faire viser le programme de la soirée par la censure. L’autorisation est généralement donnée, avec parfois un couplet retiré ou un mot remplacé, jugé trop osé ou politisé. Par exemple, en 1914, dans un texte, on remplace le terme de « bière allemande » par « boisson étrangère », afin de ne heurter les sensibilités ni des uns ni des autres et d’éviter les conflits. Des ligues lyonnaises "pour le relèvement de la moralité publique" demandent régulièrement à la Municipalité de faire interdire des spectacles ou de faire retirer des affiches jugées immorales.

Un arrêté du maire dans le Bulletin municipal officiel du 5 juillet 1931 accède à ses requêtes par le texte suivant :

"Considérant que certains entrepreneurs de spectacles, cinémas, music-halls, etc., n’hésitent pas à exposer des affiches et panneaux-réclames licencieux visibles de la voie publique [...] Considérant que les ligues lyonnaises luttant contre l’immoralité publique se sont émues de ces faits et demandent qu’ils soient énergiquement réfrénés [...] Considérant qu’il est nécessaire de soustraire à la vue du public les affiches et les panneaux-réclames qui peuvent porter atteinte à la moralité publique [...] L’exposition des panneaux-réclames ou affiches ayant un caractère obscène ou licencieux est interdit sur le territoire de la Ville de Lyon notamment à l’entrée des théâtres, cinémas, music-halls, les dits panneaux ou affiches ne devant jamais être visibles de la voie publique.
Signé Edouard Herriot"

On trouve également les plaintes de riverains, assez nombreuses, qui ne souhaitent pas être dérangés le soir. Malgré ses contraintes, les Lyonnais ont continué à faire de la musique et à chanter.

La démocratisation de "nouvelles technologies" comme le cinéma, la radiodiffusion ou le phonographe, vont venir bouleverser peu à peu l’approche de la musique. Le cinéma devient le nouveau loisir à la mode, et les Lyonnais délaissent peu à peu les cafés-concerts, dont la plupart se reconvertira en cinéma ou fermera. La censure se tourne clairement vers ces salles de cinéma.

La démocratisation de la radiodiffusion et du phonographe place la musique au sein du foyer. Désormais, on écoute les concerts chez soi. On fera moins de musique à la maison, puisqu’on peut l’écouter, plus besoin de la jouer soi-même.

Dans les années 1940, on voit apparaître, certes en nombre limité, des clubs de jazz comme le mythique Hot Club, ou des sociétés musicales tournées vers le jazz et le swing comme le Cool Club ou le Swing Club. La musique américaine conquiert les villes françaises.

La fin des mandats d’Édouard Herriot voit arriver le rock’n’roll, les jeunes ont envie de s’exprimer en formant des « groupes » de rock entre copains, où le chant et la musique ne font plus qu’un.