Les sociétés musicales
Après la Révolution française de 1848, qui met fin à la Monarchie de Juillet et voit naître la Deuxième République, la musique se démocratise et n’est plus seulement réservée aux classes sociales les plus élevées. Le peuple s’empare de cette discipline artistique et de nombreuses sociétés musicales voient le jour un peu partout dans les communes françaises.
Brûlants d’un sentiment patriotique exacerbé par le contexte politique, les Français, dans un premier temps, vont surtout se tourner vers la musique militaire, en créant des orchestres d’harmonie, des orphéons (chœurs composés exclusivement d’hommes) et des fanfares. Ces associations rencontrent un franc succès parmi les classes ouvrières et dans les campagnes. Les instruments joués sont essentiellement des cuivres et des bois.
À Lyon, entre 1900 et 1950, les sociétés musicales sont nombreuses, avec un pic d’activité durant l’Entre-deux-guerres. En 1935, on compte jusqu’à 90 sociétés musicales (fanfares, chorales, amicales diverses). Les Lyonnais trouvent dans ces associations le moyen de se retrouver entre amis, de décompresser, de sociabiliser, et de se former à la musique. Ces associations sont surveillées par la préfecture de police qui demande à chacune d’entre elles la liste des morceaux étudiés et joués, et en élimine s’ils sont jugés subversifs politiquement ou moralement.
Jusqu’à la fin de la Grande Guerre, Édouard Herriot finance au coup par coup les sociétés musicales, et concentre les moyens sur les plus importantes, qui programment des évènements d’envergure nationale. Puis, après la Guerre de 1914-1918, la Municipalité étoffe son budget dédié aux associations, et en finance un grand nombre, allant des associations d’anciens combattants et mutilés de guerre au regroupement de dentistes. Les sociétés musicales vont bénéficier de ces subventions et être intégrées aux politiques de soutien à la vie culturelle lyonnaise à partir de 1920. Le but principal de ce financement pour Edouard Herriot est la démocratisation de la culture musicale et l’éducation à la musique des jeunes Lyonnais.
D’après l’Annuaire musical de 1935, répertoriant tout l’univers musical lyonnais, on se rend compte que tous les genres musicaux sont représentés : de la chanson populaire lyonnaise avec le Cercle Pierre Dupont à la grande musique symphonique avec la Société des Grands Concerts » fondée par Georges Martin Witkowski, en passant par toutes sortes d’associations comme l’Orphéon des poulettes ou le Patronage des bigophones.
Celles qui bénéficient d’une aide importante de la Municipalité font la promotion de la musique symphonique ou lyrique, et non pas de la musique populaire. Edouard Herriot considère la musique comme facteur d’élévation sociale et d’éducation des masses.
Pour autant, dans une conférence qu’il donne à la Salle Rameau le 9 décembre 1928 et retranscrite dans une édition du Tout-Lyon, Edouard Herriot rend hommage à Pierre Dupont, ce poète et chansonnier lyonnais disparu en 1870, montrant son intérêt pour la chanson populaire et politisée. Il dira même :
"J’ai la conviction qu’en France et même à Lyon, nous n’avons pas fait à Pierre Dupont la place qui lui revient [...] On chante toujours Les Boeufs ou Les Louis d’Or ou Le Chant des Transportés ou La Vigne. Mais est-il bien sûr que toute bibliothèque lyonnaise possède, comme elle le devrait, le recueil de Chants et Chansons paru de 1851 à 1854 ou le recueil des Chants et Poésies ?"
La Société chorale mixte Lugdunum
La Société Chorale Mixte Lugdunum, née trois ans après la Grande-Guerre, est particulièrement remarquable par sa longévité. Un fonds très important comprenant à la fois les statuts, les remaniements, les correspondances, photographies et programmes des concerts, est consultable aux Archives de Villeurbanne/Le Rize.
Elle est créée par Auguste Bon en 1921 et perdure jusqu’en 1993, ce qui permet d’avoir une vision large de la vie d’une association musicale tout au long du XXe siècle. Elle compte à ses débuts 25 exécutants. Trois ans plus tard, elle compte 92 membres actifs, ce qui entraîne un remaniement des statuts et un caractère plus officiel.
L’article premier des statuts stipule :
« La société a pour but l’étude de la musique vocale et l’exécution de chœurs d’ensemble, pour son agrément et pour son intérêt s’il y a lieu ; la participation à des œuvres de bienfaisance par des concerts.
Elle a pour but également l’éducation populaire musicale publique et gratuite.
Elle pourra à l’occasion prendre part à des concours ou à des festivals toutes les fois qu’elle en aura pris la décision sur la proposition du conseil. »
Auguste Bon, son créateur, était un médecin lyonnais renommé, et ce sont au départ surtout ses amis et connaissances qui vont participer à cette aventure, donc nous ne parlons pas ici de musique « populaire » au sens de musique du peuple, mais plutôt d’un rassemblement de gens de haute société lyonnaise qui souhaitent faire ce que l’on nomme de la Grande musique.
En 1931, elle participe à un premier concours à Saint-Étienne et va remporter un énorme succès en gagnant plusieurs prix ; à partir de cette date, elle multiplie les concours et les concerts, à raison d’un concert par mois, à Lyon ou à l’extérieur.
Dans les échanges entre les membres du bureau et les adhérents qui viennent chanter, on remarque la très grande rigueur demandée aux membres : des lettres d’expulsion de la société sont envoyées aux membres trop peu assidus et pas assez sérieux dans leurs exercices. La société n’est pas un simple lieu d’échanges et de détente, c’est une association très exigeante avec ses membres, qui demande un bon niveau en musique. Et elle doit certainement son succès et sa longévité à cette exigence et à une organisation rigoureuse.
Dans les statuts, il est indiqué que le « Conseil d’administration sera exclusivement composé de messieurs », alors qu’en 1924, la société compte 32 hommes et 61 femmes ! Reflet d’une époque où les femmes avaient le droit de participer, mais certainement pas de donner leur avis…
Cette société musicale est emblématique des associations que soutenait Edouard Herriot, grâce à son côté « éducation populaire » cher au maire. Elle se produisait souvent Salle Rameau, deux fois par an à partir de 1928, ainsi que dans les kiosques, particulièrement places Morand et Bellecour. Une tenue spécifique est imposée aux participants : du blanc pour les femmes et du noir pour les hommes. Cette tenue, chic et sobre à la fois, plaît beaucoup aux Lyonnais.
Entre 1938 et 1950, son activité diminue. Elle cesse d’ailleurs complètement entre 1939 et 1941. Le conflit mondial emmène les hommes loin de leur foyer et le cœur n’est certainement pas aux loisirs. Puis à partir de 1950, elle reprend ses activités mais sur un rythme moins soutenu, avec moins de concerts donnés, et ne retrouvera d’ailleurs jamais cette audience et le succès rencontrés plus tôt. A partir des années 1950, la musique est vraiment rentrée dans les foyers avec la démocratisation des technologies nouvelles comme la radiodiffusion ou le gramophone : on sort moins pour écouter de la musique, on éprouve moins le besoin de se rassembler en associations pour en faire. Le rock est arrivé, et avec lui les groupes de jeunes gens qui se retrouvent entre copains dans un garage pour jouer et chanter ensemble. Les Lyonnais ont envie de liberté et d’indépendance…
L’exemple de la Société chorale mixte Lugdunum est vraiment intéressant à cause de cette longévité, qui permet de suivre au travers de ses archives les évènements qui ont marqué Lyon durant 72 ans, et l’évolution de la société.
Sources :
- Archives municipales de Villeurbanne-Le Rize
- Sibylle Chassaigne, Mémoire de maîtrise "La société chorale mixte Lugdunum", Archives municipales de Villeurbanne-Le Rize