Sur les ondes radiophoniques lyonnaises
Le 22 décembre 1921, la première émission de radio en France destinée au public est diffusée à partir de l’émetteur de Radio Tour Eiffel, donnant le coup d’envoi de la radiodiffusion française. Cette station est suivie de nombreuses autres qui constituent au fil des ans un réseau de stations d’État et de stations privées. En l’absence de règles, elles naissent cependant dans un désordre le plus total et se combattent afin de faire voter les lois et imposer un statut qui soit favorable à l’un ou l’autre camp. Dès ses débuts, la radiodiffusion représente en effet un double enjeu, d’abord économique, puis politique.
L’industrie radioélectrique - à l’exemple de l’usine de lampes des établissements lyonnais Radio-Visseaux à Vaise - participe activement à cette grande aventure qui prend une place de plus en plus importante dans la vie sociale, culturelle et politique du pays. Malgré les querelles, la télégraphie sans fil grandit ; les stations sortent des villes pour que leurs émissions gagnent en puissance. Leurs programmes connaissent aussi une évolution rapide et, dès 1940, toutes les formes d’expression radiophoniques sont quasiment inventées.
Pendant tout l’entre-deux-guerres, et sur un territoire relativement restreint, l’agglomération lyonnaise va donc voir la création non pas d’une, mais de deux stations : la première, Lyon-La Doua, hérite d’installations qui s’insèrent dans le vaste réseau que l’État est en train de construire dans l’après-guerre à travers toute la France ; la seconde, Radio-Lyon, fruit d’une entreprise privée, est définitivement installée le 1er avril 1925.
Avec des moyens qui leur sont propres, elles développent un programme qui ne varie guère de l’une à l’autre sur la forme : un "speaker", dont on étudie la voix joliment timbrée et la diction irréprochable, est chargé de lire les papiers des journalistes, d’annoncer les programmes et de passer la parole aux divers intervenants. Journal parlé, prévisions météorologiques, cours de la bourse, retransmissions musicales et sportives en extérieur ou auprès de partenaires, mais aussi "causeries" ou plus rarement conférences, s’y succèdent ainsi à un rythme soutenu, souvent entrecoupés d’intermèdes en compagnie des artistes invités dans ses studios, quand il ne s’agit pas de l’orchestre maison lui-même... Du milieu des années 1920 à la Seconde Guerre mondiale, on peut dire que la radio semble avoir été inventée pour la musique. Elle va progressivement régner sur l’ensemble des ondes, occupant dès les années 1930 plus de la moitié des programmes.
Lyon-La Doua (poste d’Etat)
L’histoire de l’ancienne station de radio de Lyon-La Doua commence militairement. Au début de 1914, le principal émetteur est celui situé au sommet de la Tour Eiffel, mais l’autorité militaire, pressentant l’imminence d’un conflit avec l’Allemagne, cherche un second lieu plus éloigné des frontières. Au nord-est de Lyon, sur la commune de Villeurbanne, le Génie a retenu un grand terrain plat de 40 hectares prélevé sur le domaine militaire du Grand Camp où jadis les cuirassiers allaient manœuvrer. Le général Gustave Ferrié (1868-1932) [1] est chargé par le gouvernement d’y construire une nouvelle station afin de communiquer avec les alliés russes. Il confie au capitaine François Péri (1870-1938), chef du service de radiotélégraphie d’Indochine, et à l’ingénieur Émile Girardeau (1882-1972) [2] la construction de la nouvelle station de La Doua. À cette fin, du matériel de la Société française radioélectrique initialement destiné à Saïgon et Tombouctou est réquisitionné au dernier moment sur les quais du port de Marseille et rejoint les bords du Rhône pour prendre du service dans les plus brefs délais. Fin août 1914, alors que le front s’avance dangereusement de Paris, la solution semble en effet être la bonne et le poste est opérationnel dès le 16 septembre. Avec ses huit pylônes de 125 mètres, ses treize câbles de 750 mètres et sa puissance de 150 kilowatt, la nouvelle station de Lyon est construite en un temps record et réussit parfaitement sa première liaison avec la lointaine Russie avant de communiquer avec le reste du monde au même titre que l’émetteur de la Tour Eiffel.
La guerre passée, la station est cédée à l’administration des Postes, télégraphes et téléphones (P.T.T). En 1922, elle y organise les premières expériences de radiophonie à destination du public et, dès l’année suivante, la station entre dans une phase de fonctionnement à peu près régulier. Un puissant alternateur haute fréquence réalisé à Belfort remplace l’émetteur à arc initial. Tournant à 3000 tours, il émet sur une fréquence de 20.000 hertz qui propulse Lyon-La Doua au premier rang des radios françaises même si les moyens manquent encore pour proposer aux tout nouveaux auditeurs des programmes de qualité. En effet, ils ne se composent que d’un concert de phonographe suivit des nouvelles et du cours des valeurs, données en soirée de 20 heures à 22 heures. Mais dès l’année suivante, à partir du 7 avril, Lyon-La Doua propose un concert quotidien qui est diffusé de 16 heures à 18 heures pendant toute la durée de la Foire.
Parallèlement, deux constructeurs lyonnais, Adrien Cheney (1895-1951) et Martin, montent dans leurs locaux 44, rue de Sèze, un petit poste qui rentre en service le 1er juillet 1923 sous le nom de Radio Sud-Est. Leurs émissions comprennent essentiellement des lectures, mais à partir de décembre, un second poste leur permet de donner des concerts avec le concours des meilleurs artistes de la Ville tels que l’organiste Marcel Paponaud (1893-1988) ou le violoniste Raoul Barthalay (1906-1985). Malgré des essais encourageant, et s’agissant d’un poste privé, les P.T.T. appellent ses animateurs au respect de la réglementation. Ceux-ci mettent fin à leurs essais, ou plutôt se limitent désormais strictement à des émissions réalisées dans un but scientifique. Ces pionniers décident donc, comme tant d’autres dans la région, d’apporter leur soutien à la radio des P.T.T. et participent ainsi à la création en 1924 d’une association d’auditeurs désintéressés, "Les Amis de La Doua", destinée à gérer financièrement le nouveau poste et à en organiser le programme des auditions.
Dans les premiers temps de la station, un studio est aménagé dans une petite pièce du Conservatoire de Lyon avec l’aide de la Maison Béal et du Grand Bazar de Lyon qui prêtent piano et matériels afin de préparer la salle à sa nouvelle destination. Officiellement inauguré par Édouard Herriot le 16 mai 1925, le studio déménage en mai 1929 dans un local que l’administration des P.T.T. possède 57, quai Jules-Courmont. Mais il faut attendre le début des années 1930, pour qu’elle se décide à monter une station plus puissante et, le 22 juillet 1933, on donne le premier coup de pioche de la nouvelle station de radiodiffusion de Lyon P.T.T. située sur la commune de Tramoyes, petit village du plateau des Dombes à une vingtaine de kilomètres des Échets. En mai de l’année suivante, l’installation des appareils commence pendant que se poursuit l’aménagement technique des studios dotés d’un équipement moderne au 47, cours Gambetta. L’inauguration de la station de radiodiffusion de Lyon-P.T.T. à Tramoyes et de son studio lyonnais n’a lieu que bien plus tard dans le cadre de la 8e Exposition de T.S.F et de Photographie tenue à Lyon en septembre 1936 [3].
À Lyon-La Doua la musique occupe une part importante de la programmation. La station possède ainsi un orchestre qui pourra comprendre jusqu’à quarante-trois musiciens placés jusqu’en 1938 sous la direction de Jean Waersegers (1895-1938) [4], également chef d’orchestre du Grand-Théâtre de Lyon. La station donne également des retransmissions réalisées en collaboration avec l’Harmonie du Rhône, l’une des toutes premières formations musicales de la région placée depuis 1931 sous la direction de Gaston Billet (1894-1961) ou bien encore avec la Société des Grands Concerts pour la musique de chambre et avec le Grand-Théâtre de Lyon pour l’art lyrique.
Radio-Lyon (poste privé)
Dans l’agglomération lyonnaise, la grande aventure de la radio commencée pour raisons militaires avec l’émetteur national de Lyon-La Doua en activité à Villeurbanne dès les premiers mois du conflit mondial de 1914-1918, s’est poursuivie à Lyon dans l’après-guerre suite à la parution du décret réglementant l’établissement et l’usage des postes radios-électriques privés (24 novembre 1923). Dorénavant, radios d’État et radios privées – les radios-libres du moment – peuvent coexister dans un système qui est à cette époque unique au monde.
C’est ainsi que de 1923 à 1926, est créée une dizaine de radios privées locales à travers toute la France, à l’initiative d’amateurs, de techniciens, d’ingénieurs, mais aussi de groupements économiques ou d’industriels. Bénéficiant de cette nouvelle législation, l’installation de la société Radio-Lyon Émissions se fait dès 1924, sous l’impulsion de la Compagnie française de radiophonie (C.F.R.), déjà propriétaire de Radiola à Paris. Le projet d’un poste lyonnais est porté par deux passionnés, Jean-Claude Dubanchet et Hippolyte Trolliet, négociants en métaux et articles de quincaillerie, nouveaux représentants de la C.F.R. à Lyon, et avec le soutien d’amateurs locaux et du patronat lyonnais. La nouvelle société prend possession de deux locaux contigus loués sis 39, rue de Marseille et 66, rue Béchevelin, en plein cœur du quartier de la Guillotière, qui sont officiellement inaugurés le 1er avril 1925.
À ses débuts, Radio-Lyon vit surtout des adhésions au Radio-Lyon journal, petite feuille d’annonces spécialisée à parution hebdomadaire diffusant les programmes des quelques stations françaises existantes, mais aussi des dons des auditeurs, de ses promoteurs (syndicats agricoles, sociétés de presse, commerçants et soyeux) et d’un peu de publicité. Du côté des programmes, la station lyonnaise tient à s’affirmer rapidement par des initiatives qui lui sont propres, en lançant par exemple son journal parlé dès septembre 1926. De 19 heures 15 à 21 heures, bulletins d’informations, prévisions météorologiques, chroniques et reportages se succèdent ainsi, en alternance avec des morceaux d’orchestre diffusés en direct depuis ses studios de la rue de Marseille. Tous les mardis, à 20 heures 45, la troupe du théâtre du Passage de l’Argue présente également le "vrai guignol lyonnais", tandis que, le mercredi, les "causeries" de la Mère Cottivet – alias Élie Périgot-Fouquier (1871-1971) – réjouissent tous les vieux Lyonnais.
Dès ses débuts, Radio-Lyon est parvenue à s’entourer d’une équipe de fidèles collaborateurs. La plupart sont d’ailleurs issus de la presse écrite ou des signatures reconnues dans leur domaine de spécialité respectif. Du milieu des années 1920 à la fin années 1930, on y rencontre ainsi : Pétrus Sambardier (1875-1938), journaliste du Salut Public et spécialiste des questions locales (chronique lyonnaise) ; Georges Champeaux (1892-1952), critique dramatique au Progrès de Lyon (chronique théâtrale et music-hall) ; Henry Fellot (1881-1944), journaliste au Salut Public (critique musicale) ; Francillon Chazallet (1865-1932), rédacteur au Nouvelliste et directeur de La Gazette agricole de Lyon (questions agricoles) ; Paul Creyssel (1895-1975), figure du barreau de Lyon qui fut par ailleurs le critique littéraire et dramatique du Lyon Républicain (chronique du Palais) ; Joanny Dupraz (1907-1995), rédacteur politique au Salut Public et à Lyon-Soir (chronique littéraire) ; Georges Pouchot (1880-1953), professeur de chimie à l’école de La Matinière (cours d’esperanto qu’il fonda lui-même dans ladite école) ; Paul Garcin (1897-1954), faits-diversier et critique littéraire du Lyon républicain (chronique sportive) ; Henri Moro (1880-1929), spécialiste des questions sociales, économiques et financières (chronique économique) ; Philippe Rivière, issu d’une célèbre famille de botanistes lyonnais (chronique horticole) ; André Sapin, dit Sap (1883-1967), rédacteur au Lyon-Sports ; André Rouchouze (1874-1945), directeur des œuvres du diocèse de Lyon (causerie religieuse) ; etc.
Malgré des débuts prometteurs, les difficultés financières ne tardent pas à s’annoncer. Radio-Lyon trouve son salut et un nouvel essor… en changeant de mains : en 1928, Pierre Laval (1883-1945), ancien ministre, futur président du Conseil puis chef du gouvernement de Vichy, dont on connaissait le goût pour les médias depuis le rachat du grand quotidien régional Lyon républicain, rival du Progrès en terres lyonnaises, flaire là une bonne affaire de presse et fait l’acquisition, en sous-main et par l’intermédiaire d’un prête-nom, de la majorité des actions du poste d’émission. Après avoir nommé un directeur général des programmes en la personne du journaliste Adolphe Anglade, ancien animateur de Radio-Toulouse, son but avoué est d’obtenir un poste digne de la deuxième ville de France qu’il puisse gérer depuis son bureau parisien, au 120 de l’avenue des Champs-Élysées. Au début des années 1930, Radio-Lyon s’installe donc définitivement dans le paysage lyonnais en multipliant les retransmissions en extérieurs : manifestations officielles, galas artistiques ou de charité, soirées lyriques et théâtrales sont radiodiffusées depuis les hauts-lieux du spectacle en région (salle de Charbonnières, Palais d’hiver, etc.)… et même au-delà. Dès lors, toutes les vedettes du moment participent à ses émissions : de Rachel Meller à Jeannette Mac Donald, en passant par Mistinguett, Gilles et Julien, Damia et tant d’autres. Et l’expansion suit, car dès novembre 1934, Radio-Lyon est autorisée à transférer son émetteur en dehors de l’agglomération et à augmenter sa puissance.
Avec son installation à Dardilly, non loin de la Tour-de-Salvagny, tous les records sont battus : le terrain étant acheté le 1er avril 1935, on commande l’émetteur le 7, et les travaux peuvent commencer le 22 du même mois. En un peu moins de sept mois, l’architecte lyonnais Gabriel Deveraux (1887-1977) édifie le moderne et puissant ensemble du poste émetteur de Radio-Lyon dont les premiers essais sont réalisés le 9 octobre 1935. Plus crédible, Radio-Lyon devient une entreprise commerciale prospère et voit affluer la publicité qui transforme en profondeur ses programmes dont la plupart est patronné par les grandes marques de l’époque telles que les pâtes alimentaires Milliat ou Lustucru, la chicorée Leroux ou bien encore Banania. Elle continue ainsi d’émettre de 1940 à 1944, tout en conservant son studio d’enregistrement de la rue de Marseille. Au fil des ans, le poste est devenu une affaire rentable : "Radio-Lyon, qui, en 1928, fut acheté 400.000 francs, avait reçu en 1944, d’un des groupements les plus importants de France, une offre d’achat de 55 millions", avouera Adolphe Anglade en 1948. Avec la Libération et le sabotage de l’émetteur par les troupes allemandes, Radio-Lyon est réquisitionnée, comme toutes les stations émettant sur le territoire français. Et le monopole d’État reprendra ses droits.
Propriété de la Fondation de Chambrun – au même titre que les archives privées de Pierre Laval -, le bâtiment de l’émetteur de Radio-Lyon à Dardilly, dernier témoin des grandes heures de la radiodiffusion en région lyonnaise, est classé à l’inventaire des Monuments historiques depuis le 16 janvier 1990.
Philippe Rassaert - BM de Lyon.
Document(s) annexe(s)
"Cinquante ans de critique musicale : la radio en 1925", Causerie de Léon Vallas à Radio-Lyon, le 23 juillet 1950 (BM Lyon, Ms Vallas, 38bis).
Notes
[1] Originaire de Savoie, le général Ferrié fut un pionnier de la radiodiffusion, mettant la TSF au service de l’armée puis d’un grand nombre d’auditeurs civils. Sur le général Ferrié, voir : Le général Ferrié et la naissance des transmissions et de la radiodiffusion / Michel Amoudry, 1993.
[2] Polytechnicien, ingénieur en télécommunications et pionnier de la radio privée en France, Émile Girardeau fonda en 1910 la Société française radioélectrique (SFR) qui est réquisitionné pendant la Grande Guerre et mise à disposition du général Ferrié.
[3] L’inauguration fut faite par Édouard Herriot et Robert Jardillier (1890-1945), ministre des P.T.T. sous le Front populaire, musicien lui-même... et membre du Conseil de gérance de Lyon-La Doua. Sur l’Exposition de la T.S.F. de 1936, voir notamment les comptes rendus que lui consacre la revue La Vie lyonnaise dans ses numéros des 19 et 26 septembre 1936.
[4] Premier prix de violon et d’harmonie du Conservatoire royal de Bruxelles, Jean Waersegers fut membre du quatuor à cordes belge "Pro Arte" puis soliste des concerts Defaux et Ysaye, du Kursaal et du Théâtre royal d’Ostende (Belgique). Comme chef d’orchestre, il dirigea notamment à Ostende, Nîmes, Toulouse, Casablanca et Aix-les-Bains, avant de rejoindre le Grand-Théâtre de Lyon sous les direction Valcourt et Carrié (1926-1938). Parallèlement, il dirigea de nombreuses années l’orchestre de la station lyonnaise de radiodiffusion Lyon-P.T.T. À sa mort survenue le 12 juin 1938, le critique musical lyonnais Henry Fellot prit l’initiative de la fondation d’une Association des amis Jean Waersegers.