Guignol polymorphe
Selon René Giri, on recenserait plus de 150 titres de presse satirique à Lyon sur la seule seconde moitié du XIXe siècle. Parmi ces titres, un personnage présente une récurrence : Guignol. En effet, entre 1865 et 1978, soit sur un peu plus d’un siècle, on dénombre une trentaine de titres différents de « journaux de Guignol ». Ils sont le plus souvent édités sur des périodes courtes (à l’exception de celui de Lorge), parfois simultanément, tour à tour interdits, en manque de ressources ou dont les équipes se sont déchirées. Leur succession dans un mouvement presque ininterrompu ne doit pourtant pas être vue comme une suite égale ou unitaire mais comme un ensemble de voix liées bien que discordantes.
La polyphonie s’exprime d’abord à travers les personnages même du Guignol, jouant sur leur personnalité propre. Stanislas Charnal, quitte le premier Journal de Guignol dès le numéro 12 et fonde un très internationaliste Journal de Gnafron - les Gnafrons seront toujours plus radicaux. Le plus souvent Guignol garde toutefois le rôle « titre ». Des noms tels Guignol, Guignol illustré, Journal de Guignol et autres dérivés sont constamment repris entre 1871 et 1900. André Steyert, l’illustrateur tutélaire de Guignol, jusqu’aux années 1880, veille à une constance du personnage qui n’est jamais dévoyé. Les traits, l’esprit et le caractère propre aux marionnettes de Mourguet sont respectés, affirmés, renforcés même. Néanmoins, dans cette véritable « bataille » de titres, Guignol s’affirme comme un personnage multiple, objet d’appropriations politiques, de disputes, de procès...
Une distinction entre ces titres se fait par la façon dont Guignol est employé pour défendre un propos. Guignol exprime ainsi une large diversité d’opinion : révolutionnaire et anarchiste (Gnafron, Le Carillon de Saint-Georges, Chignol et Gnafron, ou Guignol dans les années 1970), républicain fervent (Journal de Guignol de 1876-78, Le Guignol de Lyon, Guignol, etc.), ou très modéré voire conservateur (L’Ancien Guignol, Le Journal de Guignol de 1898, Allo Lyon… ici Guignol), nationaliste au cours des grands conflits (Guignol illustré en 1871, Guignol en 1914 et 1940). Cette satire participe toujours d’un mouvement politique actif. Et tous les différents Guignols prennent racine dans un substrat politique plus ou moins appuyé.
Les discours adverses attribués à Guignol au XIXe et XXe siècle contribuent à la construction d’un symbole (identitaire) à l’âge du droit à la propriété. Guignol est ce type sociologique, ce personnage mythique, l’incarnation d’un esprit, un objet partagé dont certains ont revendiqué l’exclusivité et la propriété, mais aussi l’authenticité contre le Guignol des autres. Ces revendications ont été morales avant que d’être des revendications de droit… Le titre de presse est au final déposé en 1976 par J.L.J. Bertin, et vaut, deux ans plus tard, un procès à Roland Rolland (pseudonyme de Christian Crouton). Cette contestation est exacerbée par les divergences d’opinions. Elle aboutit à la disparition du dernier Allo Lyon... ici Guignol. Depuis la fin des années 1970, plusieurs journaux satiriques sont parus ou paraissent sur Lyon : Les Potins d’Angèle, Le Clairon, Acide ou Foutou’art mais ces titres ne peuvent plus contenir le nom de Guignol, bien qu’ils en revendiquent tous l’esprit en l’héritage.
Résurrection des crânes
Reproduction d’après gravure d’après F. Vigne
Publiée in. Le Journal de Guignol, 1 mars 1896, p.1
Bibliothèque municipale de Lyon, 6807
En février 1896 la tension entre les modérés et le gouvernement radical de Léon Bourgeois est à son comble. La Chambre des députés étant acquise au gouvernement, les modérés essaient de renverser le gouvernement par plusieurs votes au Sénat - une première ! Un débat juridique passionné s’ouvre sur les pouvoirs du Sénat.
Série de vignettes réunies et commentées par Steyert à l’appui de son procès en revendication de la propriété du Journal de Guignol illustré.
Dessins à l’encre d’André Steyert
Lyon, Musée Gadagne, 2009.7
André Steyert est un des principaux animateurs et l’illustrateur des "Journaux de Guignol" entre 1865 et 1876. En 1875, il s’associe avec un certain M.C. chargé du cautionnement du Guignol illustré ; il est rapidement évincé. Le litige se règle devant le Tribunal, en défaveur de Steyert qui n’est pas reconnu comme "associé" mais comme "employé". Steyert continue en vain une procédure pour faire reconnaître ses droits sur le Journal de Guignol.
Page d’annonces et de publicité du Réveil lyonnais
Publiée in. Le Réveil lyonnais, 26 mars 1882, p.4
Bibliothèque municipale de Lyon, 5486
Cette page publicitaire témoigne de la concurrence entre les journaux de Guignol : ici, l’Ancien Guignol et Le Journal de Guignol illustré. Le Réveil lyonnais est une des nombreuses feuilles d’opinion nées à la suite de la loi sur la liberté de la presse de juillet 1881. Avec son rédacteur Tony Loup (1851-1891) elle est politiquement engagée au côté des radicaux.
Carlos de Gaullos à Mexico
Reproduction d’après gravure d’Alain Saraillon
Publiée in. Guignol, 23 mars 1964, p.1
Bibliothèque municipale de Lyon, 950633
Du 16 au 19 mars 1964, le général de Gaulle effectue un voyage officiel au Mexique sur l’invitation du président Mexicain Lopez Mateos, il dénoncera là-bas l’hégémonie américaine et soviétique. Le voyage a été soigneusement préparé : il a été annoncé à la télévision y compris dans l’émission pour enfants Bonne nuit les petits : avant de partir lui aussi au Mexique, Nounours vient embrasser une dernière fois ses amis puis durant son séjour, Nounours dira chaque soir "Bonne nuit aux petits Mexicains".
Guignol & Gnafron
Collectif La Coulure
Planche de bois découpée et peinture
Le Collectif d’artistes La Coulure s’est intéressé à Guignol à l’occasion de l’exposition "Guignol revisité" organisée par le fanzine libertaire Foutou’art fin 2013. Le choix d’une exposition sur ce thème a été dicté par les événements politiques, notamment la reprise du personnage de Guignol sur les affiches du mouvement identitaire lyonnais, et plus largement par l’usage commercial fait de la célèbre marionnette. Ce choix est révélateur de l’actualité du personnage de Guignol et de la volonté des différents groupes d’opinion de se l’approprier.
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Manchette du Journal de Gnafron
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Gna de grabuge !..
Reproduction d’après gravure de L. Bonnard. Publiée in. Guignol, 21 août 1915, p.1
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Page de titre en forme de bouteille
Publiée in. Almanach des amis de Guignol, 1922
Edité à Lyon par La Société des amis de Lyon et de Guignol -
Le Procès de Guignol
Reproduction d’après gravure de Kist
Publié in. Guignol, 22 avril 1971, p.1