Impressions premières
La page en révolution de Gutenberg à 1530

Du modèle manuscrit au modèle imprimé

Si l’imprimerie s’est rapidement diffusée dans l’Europe de la seconde moitié du XVe siècle, l’architecture de la page imprimée, en revanche, est restée longtemps tributaire du modèle du livre manuscrit. Ces deux phénomènes font appel à des logiques et à des temporalités différentes.

Les avantages techniques et économiques de l’imprimerie lui permirent de s’imposer sans tarder comme le mode de duplication privilégié, puis quasi-exclusif, des œuvres écrites. Vers 1480, le livre imprimé est devenu un objet courant dans les milieux lettrés ; les ouvrages les plus utilisés dans le monde universitaire et savant (manuels de langue, bibles, traités de théologie, de droit, de philosophie…) sont d’ores et déjà disponibles sous forme imprimée. En forte baisse, la production de manuscrits se cantonne désormais à des réalisations individuelles : les manuscrits de luxe continuent ainsi à être appréciés par les collectionneurs à la recherche d’objets exceptionnels ; dans ce domaine, la production se maintient jusqu’au premier quart du XVIe siècle.

La page imprimée ne se libéra des conventions du manuscrit qu’au terme d’une évolution culturelle qui, en lien étroit avec le développement de l’humanisme, vint modifier le rapport au texte et instaurer de nouvelles habitudes de lecture. Le passage du modèle manuscrit au modèle imprimé s’opéra donc de manière progressive. Passé 1500, la décoration peinte a tendance à disparaître de la page. C’est une première prise de distance. Il faut toutefois attendre les années 1520-1530 pour que le livre imprimé acquiert véritablement son autonomie, comme en témoignent de multiples signes convergents.

Dans les années 1520, les ouvrages en langue française commencent à être imprimés en caractères romains. Si la lettre gothique ne disparaît pas immédiatement, la généralisation des caractères venus d’Italie (romains et italiques) est amorcée et s’avère presque totale dans les années 1540. On observe ici une différence entre les espaces francophones et les pays germaniques : dans ces derniers, les caractères gothiques furent couramment utilisés jusqu’au milieu du XXe siècle, pour les textes en langue allemande.

La structure de la page devient moins compacte : le texte se desserre et s’organise progressivement en paragraphes distincts. La page de titre devient définitivement le lieu d’identification du livre : l’achevé d’imprimé figurant à la fin de l’ouvrage demeure la seule trace du colophon. La ponctuation se développe et se normalise. Enfin, la pagination remplace peu à peu la foliotation, faisant de la page une unité clairement identifiable.

Le livre prit ainsi son aspect moderne : les éléments qui se fixèrent aux environs de 1530 sont toujours présents dans les ouvrages imprimés au début du XXIe siècle. C’est aujourd’hui une autre révolution du livre qui s’accomplit sous nos yeux et qui nous aide sans doute à comprendre plus facilement les mutations consécutives à l’invention et à la diffusion de l’imprimerie. Si les outils numériques se sont imposés dans notre quotidien, l’aspect de la page consultable sur écran est encore largement conditionné par les codes de la page imprimée. À chaque étape décisive de son évolution, le livre traverse une période de transition qui lui permet de se renouveler en profondeur, tout en conservant certains éléments du passé.

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