Lyon et région - chantiers
Saint jean le temps d’un échafaudage
1981
© Jacqueline Salmon
La nuit du 31 décembre 1980, nous découvrions, Jean - Jacques Romagnoli et moi, l’imposante structure éphémère de l’échafaudage de la cathédrale Saint - Jean.
Construction parfaitement ordonnancée, ses proportions portaient au rêve, et témoignaient de l’ambition humaine.
Aux lumières du soir, elle semblait une plate forme de lancement pour on ne savait quel astronef.
Aux lumières du matin, une vaste embarcation.
Parfois, je voyais là, réalisée, une de ces villes nouvelles,
projets pour l’an 2000 des architectes de mes vingt ans.
Travailler sur ce chantier était un privilège : être le témoin, l’archiviste d’un moment d’histoire, à la charnière des temps passés et à venir.
Comme si l’on pouvait rajeunir, il s’agissait là de défier le temps.
Une multitude de gestes pour perpétuer le passé ; investir le futur.
Je me surprenais à constater que telle était ma vie ; à la poursuite des bonheurs déjà vécus.
Je m’interrogeais : quelle peur de l’inconnu ?
Quelle lutte acharnée contre le vieillissement !
8 rue Juiverie
1983
© Jacqueline Salmon
En 1536, le receveur général de Bretagne Antoine Bullioud commande à Philibert de l’Orme un ouvrage destiné à relier entre eux trois corps de bâtiment qu’il vient d’acquérir, 8 rue Juiverie.
Philibert, jeune architecte lyonnais fils de maître maçon, a vingt six ans. Il revient d’Italie où il a étudié les antiques et les modernes. Il est sous la protection du cardinal du Bellay, ami d’Antoine Bullioud.
Il va réaliser son premier ouvrage d’architecture, et ce faisant, découvre « le trait » de la voûte d’une trompe particulièrement subtile qu’il construit pour soutenir le cabinet sud de sa galerie. Il publiera en 1567 le premier traité d’architecture français : Inventions pour bien bâtir à petits frais.
Au milieu du XVIe siècle, à la suite des épidémies de pestes et des guerres de religion, les banquiers quittent la ville. Le quartier se paupérise.
La municipalité décide en 1977 un programme de logements sociaux qui inclut l’hôtel Bullioud.
J’habite alors l’hôtel Paterin aux 4 rue Juiverie. Concernée personnellement par les réhabilitations qui s’engagent rue juiverie, je regarde l’hôtel Bullioud comme un théâtre où se jouent à la fois l’histoire de l’architecture, l’histoire de notre société, des histoires individuelles, ma propre histoire…
Objectif-monuments
1983
© Jacqueline Salmon
Ma première commande d’état a été celle de la mission du patrimoine photographique pour le cent-cinquantenaire de la nomination de Prosper Mérimée aux fonctions d’inspecteur général des Monuments historique. Nous étions 7 photographes pour 7 régions de France pour retourner sur les lieux de la mission héliographique de 1851. C’est ainsi que j’ai commencé mon travail sur le couvent de Le Corbusier à Evreux et que j’ai photographié à Lyon, la halle de Tony Garnier, le temple du Change, le palais de justice, l’hôtel de ville et à Vienne, Le temple d’Auguste et de Livie.
Lônes
1989
© Jacqueline Salmon
« L’art a besoin de s’instruire sur des reflets, la musique a besoin de s’instruire sur des échos. C’est en imitant qu’on invente. On croit suivre le Réel et on le traduit humainement »
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves
Comment savoir qu’un travail est terminé ? Quels critères objectifs pour cette certitude intuitive ? J’en suis venue à cette réponse : le travail est terminé non seulement lorsque le sujet est traité dans les multiples dimensions que je lui accorde, mais lorsque qu’une connivence avec un peintre, un écrivain, un philosophe, un s’est établie et que soudain a surgi une image qui en est l’évidence.
Imaginant la vie propre des ombres, Edgar Poe cité par Gaston Bachelard a inspiré mon regard.
Kazimir Malevitch était là lorsqu’un nuage noir et carré est entré dans mon objectif.
Traboules blues fête du 8 décembre 1989
1990
© Jacqueline Salmon
Nous avons lancé l’idée d’un parcours spectacle sur les pentes de la Croix- Rousse avec Yves Devraine. C’est le lieu de mon enfance, des escaliers et des traboules. Les circulations transversales à travers des espaces privés mais ouverts, couloirs, cours et escaliers, y rendent la vie plus facile. Les habitants de ce quartier en sont le reflet ; intellectuels, artistes, vieux ouvriers de la soie un peu anars ou immigrés, ils se côtoient et aiment ce frottement quotidien des différences.
Aujourd’hui, à l’heure où la ville décide de sa réhabilitation, il lutte pour garder sa différence, j’aime cette lutte et lorsque nous avons imaginé faire un spectacle de lumières dans ce quartier, j’ai voulu que les habitants en soient les acteurs.
En multipliant un élément d’architecture j’invente une architecture éphémère qui va devenir un décor. Dans les cours sur les places d’autres projections, montraient la vie du quotidienne, Yves Devraine avait installé des orchestres, des projections laser, des porches de lumières. La musique de jazz s’entendait tout au long du parcours qui passait par la cour des Voraces. Sur les grands portraits projetés chacun se reconnaissait ou reconnaissait son voisin, l’ambiance était celle d’une vraie fête populaire. Le 8 décembre, les lyonnais sortent traditionnellement dans la ville à la tombée du jour, mais pour la première fois on les a entraînés sur les pentes. On ne sait pas si 20 000 ou 30 000 personnes sont venues mais pour la plupart d’entre eux c’était la première fois.
Le spectacle a été produit par la SERL.
Le Grenier d’abondance
1991-1993
© Jacqueline Salmon
Il s’agit d’un bâtiment majestueux construit au XVIIIe par de Cotte- architecte du roi- pour engranger et préserver les nourritures de l’armée réhabilité pour devenir le siège de la Direction Régionale des Affaires Culturelle.
Une phase clé du chantier est cet instant charnière entre démolition et reconstruction, où la structure architectonique d’origine apparaît, dévoilant ainsi le dessin de l’architecte avant que de nécessaires aménagements l’enfouissent sous un corps nouveau.
J’utilise le chantier comme une métaphore.
Le chantier est en effet un théâtre ; Dans cette unité de temps, d’action et de lieu, se joue le devenir de l’architecture. De même que l’architecte concrétise son projet contemporain à partir d’une connaissance approfondie de la structure architectonique de la construction du XVIIIème ; c’est par la connaissance de nos racines culturelles que nous pouvons appréhender le monde de la création.
La photographie est cette rencontre imprévisible, entre un état des lieux, une pensée, un désir façonné par la mémoire.
J’ai visité ce lieu pour la première fois en I989, une gendarmerie était installée là, avec ses bureaux, son cachot, mais aussi les nombreux et petits appartements de. Je terminerai ce travail fin I993, l’espace sera à nouveau cloisonné, les architectes auront eu le souci de préserver des visions de colonnades, ils auront inventé d’autres harmonies, mais du dessin de de Cotte, et de l’ampleur de son projet il ne restera que les photographies comme un moment où l’histoire et la mémoire auraient fait alliance avec le présent pour tenter d’abolir le temps.
Edition Ministère de la culture 1993, textes de Jean-Jacques Lerrant, Jacques Lang et de nombreux artistes de la région Rhône-Alpes.