Discours de Martin Luther King prononcé à la Bourse du Travail de Lyon

Le 29 mars 1966, Martin Luther King s’adressa aux lyonnais à la Bourse du Travail.

"C’est un grand réconfort pour moi d’être en France, berceau des libertés et des idéaux, pour réfléchir avec vous sur les problèmes que nous affrontons. Nous sommes réunis ce soir, motivés par le souci de faire disparaître les barrières. Aux États-Unis, qui constituent une sorte de condensé du monde d’aujourd’hui, nous connaissons des difficultés spécifiques provenant de l’incomplète assimilation des différents groupes ethniques qui composent la Nation. Anglais, Français, Allemands, Italiens, Grecs, Orientaux, etc. ont gardé leurs cultures respectives.

La première arrivée des Noirs, contre leur volonté, date de 1619. Pendant 200 ans, l’Afrique va être dépecée, ses peuples et ses royaumes déstabilisés, ses populations noires traitées de façon inhumaine.

Ce n’est que 244 ans plus tard que prendra fin l’esclavage. En théorie seulement.

Obtenue par la violence, cette liberté ne supprime pas la discrimination et la ségrégation. C’est si vrai qu’en 1896, est officialisée la doctrine de séparation dans l’égalité : écoles, travail, loisirs, quartiers résidentiels et même les cimetières sont séparés. De plus en plus de discrimination, de moins en moins d’égalité !

En 1954, la Cour Suprême renverse la vapeur et offre la possibilité d’une révolution non violente.

De 1955 à 1964, ce sera la campagne des Noirs contre la discrimination raciale. Petit à petit, des Blancs (églises, université, syndicats) les rejoignent.

En 1964, on peut dire que les États-Unis ont condamné la discrimination raciale assimilée à une subversion de la vie nationale. Aucune ville du Sud ne peut désormais prétendre légalement renforcer la discrimination. Quoiqu’il y ait encore beaucoup d’incidents, souvent mineurs, on peut dire que la Nation américaine a témoigné d’une extraordinaire capacité à admettre cette révolution.

Nous étions alors sur le point de renoncer à la bataille lorsqu’une bombe tuant un dimanche matin 4 petites filles d’une école religieuse nous a montré amèrement qu’elle n’était pas terminée.

En lançant le slogan « ?un homme, une voix ? » qui a pénétré au plus profond des états du Sud, nous sommes parvenue à obtenir l’inscription des Noirs sur les listes électorales.

Aujourd’hui, nous devons faire face à un autre problème : celui des profonds écarts de salaires entre les deux communautés. Le chômage s’accroît rapidement, se transformant en chaudron dans lequel bouillent l’amertume sociale, le désenchantement, le désespoir et nous devons lutter contre l’exploitation économique mais aussi contre une police complice qui, matraquant les opposants, devient le symbole de l’oppression.

A Chicago, 41 % des logements Noirs sont insalubres. Ce qui n’empêche pas leurs loyers d’être 10 % plus élevés que ceux des Blancs, alors qu’ils ne bénéficient que seulement de deux tiers des services collectifs de la ville. A Chicago, il y a 100 000 chômeurs, hommes et femmes, dont 70 % de Noirs. Ce qui nous permet de dire que l’exploitation systématique des Noirs est encore plus révoltante dans le Nord que dans le Sud, sachant que de telles disparités ne se limitent pas aux seuls États-Unis et que le monde entier est confronté à ce combat.

Si, en ce moment, nous luttons pour mettre fin au colonialisme interne qui interdit aux Noirs d’avoir accès au développement économique et les confine dans un ghetto de pauvreté, nous n’ignorons pas que cette lutte contre les forces de domination politique appartient à l’histoire de notre temps et concerne l’univers tout entier.

En privant un homme de son travail, on le prive de son humanité et c’est une forme encore plus générale de l’esclavage.

C’est pourquoi note combat est un immense encouragement pour le reste du monde car il contribue à faire naître l’aurore d’un monde nouveau où tous, communistes, capitalistes, noirs, blanc, jaunes, catholiques, protestants, riches, pauvres pourront se respecter réciproquement et coexister dans la paix.

Ce jour viendra où l’on fera un soc de charrue avec les épées et où les nations ne se dresseront plus les unes contre les autres. Ce sera le jour où le lion et l’agneau pourront se tenir l’un près de l’autre sans s’effrayer l’un et l’autre.

Ce jour approche.

Vous me permettrez de dire en terminant, combien j’apprécie le soutien moral et financier que vous apportez au combat que nous menons. En le faisant, vous reconnaissez que toute menace contre la justice, quelque part dans le monde, est une menace partout dans le monde.

Assuré de votre aide et de votre prière, je me sens d’autant plus fort pour chanter avec vous : We Shall Overcome.
Nous triompherons un jour."

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