Représenter le lointain
Un regard européen (1450-1950)

L’évolution de la cartographie du 14e au 20e siècle

La cartographie est une pratique universelle des communautés humaines et n’est certes pas limitée au regard européen. Néanmoins les documents présentés ici illustrent ce point de vue sur le monde. En Europe, la cartographie est héritière des savoirs antiques et médiévaux. Bien que la forme sphérique de la Terre soit bien connue au Moyen Âge, les trois parties du monde habité sont souvent schématisées sous la forme de mappemondes dites « en T-O ». Peu à peu, des cartes plus détaillées intègrent également l’océan Indien, et accordent plus de place à l’Afrique et à l’Asie.
Les cartes portulans apparaissent à la fin du 13e siècle. Fondées sur des mesures de distance et les directions de la boussole, elles représentent les côtes de la mer Méditerranée et de la mer Noire, et progressivement les autres espaces maritimes du monde. Conçues comme outils de navigation, elles sont aussi dès le 14e siècle des ouvrages précieux enluminés.
La Géographie de Claude Ptolémée (2e siècle), connue et adaptée dans la cartographie arabe, n’est traduite en latin qu’au début du 15e siècle. L’ouvrage pose les principes théoriques de la projection cartographique et de la disposition des toponymes selon une grille de coordonnées en latitude et longitude.

Au milieu du 15e siècle, l’essor de l’imprimerie et des techniques de gravure modifie les conditions de reproduction et de diffusion des cartes. De plus, les grandes explorations européennes permettent d’intégrer de nouveaux espaces aux planisphères. Le 16e siècle est une époque d’expérimentations très riches dans la cartographie manuscrite et imprimée, à partir des modèles combinés des mappemondes médiévales, des cartes portulans et du système hérité de Ptolémée. D’autres formes de cartographie sont proposées : cartes locales, plans de villes et de forteresses. En 1569, Gérard Mercator met au point sa célèbre projection et en 1595, il intitule Atlas son livre de cartes imprimées du monde entier. Avec le Théâtre du Monde d’Abraham Ortelius, il connaît un succès éditorial formidable.

Au 17e et au 18e siècle, des cartes manuscrites sont composées par des pilotes et cartographes au service des rois, et sur terre par des ingénieurs dans le cadre d’opérations militaires. Les cartographes « de cabinet » compilent des informations historiques et géographiques pour composer des cartes du monde ou des cartes régionales les plus détaillées possibles. Les techniques de triangulation sont perfectionnées : la famille des Cassini compose une carte de France à l’échelle 1/86 400 en 180 feuilles, la plus précise jamais dessinée jusque-là. C’est aussi une période de grandes expéditions scientifiques et d’explorations. Un concours international est lancé pour améliorer le calcul de la longitude en mer. John Harrison l’emporte avec la mise au point d’une horloge marine.

Le 19e siècle marque l’apogée de la colonisation française et britannique. Des sociétés de géographie sont fondées dans de nombreux pays occidentaux avec pour objectif de compléter les "blancs de la carte" et obtenir ainsi une couverture la plus exhaustive possible des espaces terrestres. Peu à peu l’intérieur de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique sont cartographiés, accompagnant les entreprises de colonisation et de création d’infrastructures (ponts, chemin de fer, télégraphe). Mais la cartographie ne se limite pas à la surface de la Terre. Les progrès techniques permettent l’exploration des fonds sous-marins et du ciel. Au siècle suivant, la cartographie évolue avec le développement de l’aviation et de la photographie aérienne. Avec la conquête spatiale, c’est l’ensemble de la sphère terrestre qui devient accessible d’un seul coup d’œil. Le lointain devient vertical, la Lune le prochain objet de conquête. Les mondes souterrains et maritimes font aussi l’objet de descriptions cartographiques.

Après les années 1960, la production des cartes, en Europe et ailleurs, se fait plus critique. On prend conscience que les espaces terrestres, objets de conquête depuis des siècles pour les Européens, sont aussi des espaces habités et fragiles. Les cartographes explorent de nouvelles techniques photographiques et numériques. C’est aussi la fin des colonies et d’un certain regard hégémonique européen sur le monde.

Axelle Chassagnette et Emmanuelle Vagnon-Chureau