Représenter le lointain
Un regard européen (1450-1950)

Les dernières conquêtes

A la fin du 18e siècle, les côtes du monde sont globalement connues. Il n’en est pas de même de l’intérieur de beaucoup de continents. En effet, une fois supprimées des cartes les informations imprécises issues de sources jugées trop anciennes, le Nord-Ouest de l’Amérique, la forêt amazonienne, l’Australie, l’Asie centrale, et surtout l’Afrique demeurent des étendues presque blanches. Les monarques financent des expéditions scientifiques dès le milieu du 18e siècle. Première du monde, la Société de géographie de Paris est fondée en 1821 et sera suivie de très nombreuses autres. Proposant des prix, parrainant des expéditions, finançant des publications, elles créent une émulation dans la description des terres inconnues des Européens. Dans un contexte d’affirmation des nations européennes, l’enjeu scientifique est important par le prestige qu’il permet d’obtenir, d’autant qu’une presse plus grand public relaie ces exploits. L’Afrique notamment fait l’objet de nombreux voyages dont les récits forgent la figure romantique de l’explorateur avançant dans une nature à la fois grandiose et dangereuse. Les bulletins de ces sociétés montrent aussi une attention particulière aux possibilités économiques et politiques ouvertes par les explorations : trouver les meilleures routes, connaître les alliés potentiels et les peuples moins « conciliants », supprimer les intermédiaires et définir les possibilités d’exploitation des terres.

Enfin, restent les côtes des extrémités nord et sud de la planète à dessiner. Le passage Nord-Ouest, recherché depuis le 16e siècle, n’est franchi par mer qu’en 1903-1906. Le pôle Nord, situé sur la glace de l’océan Arctique, est atteint par Robert Peary en 1909. Au sud, l’Antarctique est abordé par Dumont d’Urville en 1840. Toutefois, lorsque Roald Amundsen plante le drapeau norvégien sur le pôle Sud en 1911, le tracé des côtes de ce continent montagneux et glacé n’est pas encore totalement arrêté.


L’intérieur de l’Afrique

26. A. PETERMANN (18..-18.. ; cartographe)
Dr H. Barth’s Travels in North and Central Africa, sheet n° 1, general sketch of Africa showing the routes of Dr Barth’s travels 1850-1855 / Les voyages du docteur H. Barth dans le Nord et le Centre de l’Afrique, feuille n° 1, schéma général de l’Afrique montrant les périples du docteur Barth 1850-1855

Dans HEINRICH BARTH (1821-1865), Travels and discoveries in North and Central Africa : being a journal of an expedition undertaken under the auspices of H.B.M.’s government, in the years 1849-1855, Londres : Longman, Brown, Green, Longmans & Roberts, 1857-1858, carte de l’Afrique vis-à-vis de la préface de Heinrich Barth, p. 7.
En 1849, l’Angleterre mandate une expédition en Afrique centrale pour évaluer les possibilités de commercer depuis Tombouctou et mettre fin au trafic des esclaves. L’intérieur du continent, sa géographie physique et son système hydrographique, mal connus des Européens, restent à découvrir. De 1850 à 1855, Barth traverse le Sahara puis explore le sud du Niger et du Mali actuels en ethnographe et en anthropologue. Son récit, de Tripoli à Tombouctou en passant par le lac Tchad et le haut Niger, collationne de nombreuses informations géographiques, ethnologiques et culturelles, historiques et linguistiques, biologiques et médicales. La carte introductive indique son parcours, et celui de Livingstone, autre explorateur anglais qui couvre au même moment le Sud-Est de l’Afrique.

En écho
- « Révolte au bord du Gombé » dans Henry Morton Stanley, Comment j’ai retrouvé Livingstone, 1880.
BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ IG 404/304, p. 173 ; exemplaire consultable en ligne dans numelyo, bibliothèque numérique de Lyon
- « Esclaves libérés ramenés à Franceville » dans Pierre Savorgnan de Brazza, Conférences et lettres sur ses trois explorations dans l’Ouest Africain de 1875 à 1886, 1887. BmL, 103125, en face de la page de titre.
Consultable en ligne dans Google Books


SJ G 101/12 : Paul Vidal de La Blache. Atlas général d'histoire et géographie. 1894 (p. 123 : carte physique de l'Afrique)

BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ G 101/12.
Consultable en ligne dans numelyo

27. Carte physique de l’Afrique

Dans PAUL VIDAL DE LA BLACHE (1845-1918), Atlas général d’histoire et géographie, Paris : Colin, 1894, planche 123.

Historien mais surtout géographe, Vidal de la Blache est attaché aux études de terrain et enseigne sa discipline en faisant preuve d’innovation. Pour lui, la géographie physique fonde la compréhension d’une région, dont la configuration en montagnes, plaines, fleuves et mers, les niveaux d’élévation et la nature géologique du sol, déterminent les formes de la vie humaine et son organisation. Il est l’initiateur du développement et de la diffusion considérables de sa discipline. La carte de l’Afrique de son Atlas général est une mise en forme de connaissances, récentes à la fin du 19e siècle, à des fins pédagogiques. Un habile code de couleurs met en évidence pour le béotien, comme saisies en un seul coup d’œil, les caractéristiques géographiques du continent, notamment les différences d’élévation.


SJ G 504/15 : Emil Holub. Sieben Jahren in Süd-Afrika. 1881 (cartonnage, plat supérieur).

BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ G 504/15.
Consultable en ligne dans numelyo

28. L’explorateur tchèque Emil Holub contemplant les chutes Victoria sur le Zambèze

Cartonnage d’éditeur en percaline sur EMIL HOLUB (1847-1902), Sieben Jahre in Süd-Afrika. Erlebnisse, forschungen und jagden, Vienne : Hölder, 1881.

Marqué par sa lecture des récits de voyage de Livingstone, et après avoir suivi des études de médecine à Prague, Emil Holub décide de se consacrer à la découverte de l’Afrique australe. Sa troisième expédition en 1875 l’emmène sur les traces de son prédécesseur, le long du fleuve Zambèze. Holub est le premier à établir une carte détaillée de la région des chutes Victoria. Ce cartonnage d’éditeur reliant le récit de ses aventures africaines représente l’explorateur dans une composition convenue : coiffé d’un casque colonial et appuyé sur son fusil, le cartographe contemple Mosi-oa-Tunya, la « fumée qui gronde », de son nom autochtone, l’une des plus importantes chutes d’eau de la planète. La puissance d’attraction de ces reliures aux couleurs chatoyantes n’est pas toujours étrangère aux vocations et rêves de grand départ suscités auprès des jeunes lecteurs européens.


SJ H 783/5 : François Coillard. Sur le Haut-Zambèze. Paris : 1899 (cartonnage ; plat supérieur).

BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ H 783/5.
Consultable en ligne dans numelyo

29. Coucher de soleil sur le fleuve Zambèze depuis la savane

Cartonnage d’éditeur en percaline sur FRANÇOIS COILLARD (1834-1904), Sur le Haut-Zambèze : voyages et travaux de mission, Paris et Nancy : Berger-Levrault, 1899.

Arrivé en Afrique australe en 1857 et soutenu par la Société des missions évangéliques de Paris, le missionnaire protestant François Coillard, plus tard surnommé le « Livingstone français », découvre les rives du Zambèze le 1er août 1878 : « …pour la première fois, nous contemplâmes le cours majestueux du Zambèze, avec ses rives et ses îlots couverts de forêts que dominent […] les baobabs et les palmiers ». Le souvenir de Livingstone, premier Européen à contempler les chutes Victoria en 1855 est partout. Coillard, qui est vu par les autochtones comme son successeur, fait acte d’humilité : « C’est ainsi qu’on chausse au premier missionnaire venu les bottes de ce géant ». Ce cartonnage d’éditeur fait appel aux ressorts de l’exotisme et du dépaysement pour éveiller chez le lecteur européen rêve et curiosité pour un continent dont le vide des cartes finit de se combler.


Les régions polaires

30. LOUIS LE BRETON (1818-1866 ; dessinateur), LEON JEAN-BAPTISTE SABATIER (1827 ?-1887 ; lithographe)
Débarquement sur la Terre Adélie le 21 janvier 1840

Dans JULES DUMONT D’URVILLE (1790-1842), Voyage au Pôle sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée… Atlas pittoresque, Paris : Gide, 1846, tome 2, planche 170.

Après deux circumnavigations effectuées entre 1822 et 1829, Dumont d’Urville rêve d’une troisième expédition océanienne. Louis-Philippe lui en donne l’opportunité en y ajoutant la mission de pousser jusqu’en Antarctique. Le capitaine de vaisseau accepte, même s’il préfère « trois années de navigation sous le ciel embrasé des contrées équatoriales à deux mois de séjour dans les régions glaciales ». Partis en 1837, les équipages de l’Astrolabe et la Zélée aperçoivent le 20 janvier 1840 des points noirs dans la neige, promesse d’une terre ferme. Le lendemain, louvoyant parmi les icebergs dont les « murailles droites dépassaient de beaucoup nos mâtures », deux canots abordent le Rocher du débarquement dans un spectacle « tout à la fois grandiose et effrayant ». En hommage à son épouse Adèle, d’Urville nomme Terre Adélie le dernier territoire terrestre encore inexploré.


128037 : Robert Edwin Peary. La découverte du Pole Nord en 1909... 1911 (photographie « Le triomphe »).

BmL, 128037.

31. Le Triomphe – Le Pôle est enfin conquis, après trois siècles d’efforts. Peary et ses compagnons poussent des hurrahs de victoire.

Dans ROBERT EDWIN PEARY (1856-1920), La découverte du Pôle Nord en 1909, sous le patronage du Club Arctique Peary, Paris : P. Lafitte, 1911, planche hors texte entre les p. 288 et 289.

Seules régions inexplorées à la fin du 19e siècle, les deux pôles suscitent une rude compétition, à la fois scientifique, géopolitique, impérialiste et sportive. À son retour en 1909, le succès de Robert Peary, contesté, est définitivement reconnu sur la base de la documentation qu’il rapporte. En réalité, le pôle Nord est un point mathématique sans support physique, situé à 90 degrés de latitude et une longitude indifférente. L’exploit est immortalisé, dûment enregistré par une photographie qui sert de preuve et sera maintes fois reproduite. L’image est prise, et bien sûr composée, dans une zone arbitrairement choisie dans les 18 miles autour du point calculé. À cet endroit, le géographe flamand Gérard Mercator (1512-1594) plaçait en 1569 un hypothétique rocher entouré de mers ouvertes.


130154 : Roald Amundsen. Au Pôle Sud : expédition du "Fram" 1910-1912. 1913 (carte finale : trajet suivi par Amundsen).

BmL, 130154.

32. VICTOR HUOT (1867-1915 ; cartographe)
Région antarctique (carte d’ensemble) – La découverte du pôle Sud par Roald Amundsen

Dans ROALD AMUNDSEN (1872-1928), CHARLES RABOT (1856-1944 ; traducteur), Au Pôle Sud : expédition du "Fram" 1910-1912, Paris : Hachette, 1913, carte en fin d’ouvrage.

Le Pôle Sud est désigné comme la cible principale des expéditions par la Conférence internationale de Géographie qui se tient en 1895. Sa conquête reste encore à réaliser en 1909, malgré de nombreuses tentatives. Pour son expédition menée en secret, Amundsen choisit d’arriver sur le continent antarctique par la Mer de Ross et accoste dans la Baie des Baleines. Après avoir passé l’hiver à préparer le chemin en répartissant des stocks de provisions et un balisage fiable, une équipe de cinq hommes choisis se lance. Le 14 janvier 1911, ils entreprennent l’ascension vers le plateau polaire à plus de 2800 mètres d’altitude et atteignent le Pôle le 14 décembre 1911. Ils rejoignent leur camp de départ le 25 janvier 1912. Le dernier défi est vaincu et la terre désormais considérée comme totalement explorée.


Le monde connu par les Européens en 1950

154148 : Atlas mondial. 1956 (mappemonde).

BmL, 154148.

33. Mappemonde physique

Dans EUGENE TH. RIMLI (19..-....), LOUIS VISINTIN (1892-1958), Nouvel Atlas mondial géographique et économique de tous les pays..., Zurich, Paris, Francfort : Stauffacher, 1956, f. 3-4.

Au milieu du 20e siècle, les Européens ont accumulé un immense savoir géographique qui couvre toutes les parties du monde. Cette mappemonde éditée en 1956 reflète avec exactitude le découpage de la surface terrestre et ne laisse pas de place à l’inconnu. Au sein de la nomenclature, on relèvera l’emploi de la dénomination Antarctide à la place de celle beaucoup plus fréquente d’Antarctique. Le choix de la forme bi-hémisphérique rattache la carte à une longue tradition remontant à la Renaissance et perpétue l’opposition – qui n’a de sens qu’au regard de l’histoire européenne – entre un Ancien et un Nouveau Monde.