Sillonner le globe
Entre 1600 et 1800, les explorateurs européens parcourent la Terre en tous sens et repoussent considérablement les limites du monde connu.
A la recherche d’un vaste continent supposé, les Européens prêtent une attention toute particulière aux régions australes. Au 17e siècle, les navigateurs néerlandais reconnaissent une partie des côtes de l’Australie. Abel Tasman démontre son caractère insulaire et aborde la Nouvelle-Zélande en 1642. Dans la seconde moitié du 18e siècle, sur fond de rivalité politique, les voyageurs britanniques et français (Wallis, Bougainville, Cook, La Pérouse…) sillonnent le Pacifique sud et identifient de nouvelles îles (Tahiti en 1767, la Nouvelle Calédonie en 1774…). James Cook explore l’océan Antarctique mais sans atteindre la terre ferme. Ces expéditions ruinent définitivement l’hypothèse de l’existence d’un grand ensemble continental au sein de l’hémisphère Sud.
L’Arctique suscite également un vif intérêt. Willem Barents avait découvert le Spitzberg dès 1596. Au cours du 18e siècle, à l’initiative des Russes et des Britanniques, des expéditions sont conduites en Alaska, sur les côtes sibériennes et dans le nord du Canada.
En même temps que leurs horizons s’étendent vers le sud et le nord, les Européens poursuivent l’exploration intérieure des continents, tout particulièrement celle de l’Amérique du Nord où leur implantation progresse fortement et débouche même, en 1776, sur la formation d’un nouvel Etat, celui des Etats-Unis d’Amérique.
La représentation des régions lointaines s’affine sous l’effet de ce vaste mouvement exploratoire. Elle bénéficie également des progrès de la cartographie européenne qui ne cesse de gagner en précision. L’apparition du blanc de la carte, au 18e siècle, constitue une évolution importante. Alors que les espaces inconnus du globe étaient jusque-là comblés par des terres ou des figures imaginaires, ils apparaissent désormais comme des zones vides.
De la Magellanie au vide antarctique

BmL, 802105.
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17. JODOCUS HONDIUS (1594-1629 ; graveur) ?
Description de la terre soubs-australe
Dans PIERRE BERTIUS (1565-1629), Tabularum geographicarum contractarum libri septem..., Amsterdam : Jodocus Hondius, 1618, p. 82.
Les découvertes faites à l’extrême fin du 15e siècle bouleversent les connaissances géographiques européennes. Magellan ouvrant le passage vers le Pacifique aperçoit la Terre de Feu. Celle-ci est regardée comme l’extrémité nord d’un immense continent austral encore inconnu, parfois appelé Magellanie. Pierre Bert commente ainsi cette carte de terres australes hypothétiques : « (…) quand à ce qu’elles sont dépeintes (…) en forme de continent, c’est plutôt par conjecture du peintre que par une connaissance parfaite (…) ».
18. Planisphère, ou carte générale du monde
Dans PIERRE DUVAL (1618-1683 ; cartographe), ROBERT CORDIER (16..-16.. ; graveur), Recueil de cartes dont la plupart sont extraites de Le Monde, ou la Géographie universelle, contenant les descriptions, les cartes et le blason des principaux païs du monde, 1676.
Un demi-siècle après Pierre Bert, Pierre Duval publie dans sa Géographie universelle une mappemonde qui laisse voir de nombreuses zones d’ignorance cartographique. Elle signale des territoires dont l’intérieur est vierge d’exploration, leurs contours inachevés, incertains, ou inconnus. Ainsi de la Nouvelle-Zélande, incomplète, qui semble rattachée à la Magellanie, de la « Nouvelle Hollande » (l’Australie) au contour interrompu, et au nord, de l’Alaska et des côtes de la Sibérie. La carte mentionne encore des « Terres antarctiques dites australes et magellaniques » ou des « Terres australes et inconnues » au sud de l’Amérique, du Pacifique, de l’Afrique et de l’Asie. Ce continent est imaginé comme étant très vaste, s’avançant dans les mers chaudes au-delà du cercle polaire.

BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ BD 714/145.
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19. Mappemonde sur le plan de l’équateur, Hémisphère méridional
Dans RIGOBERT BONNE (1727-1795), NICOLAS DESMARETS (1725-1815), GASPARD ANDRE (17..-1800 ; graveur), Atlas encyclopédique, contenant la géographie ancienne, et quelques cartes sur la géographie du Moyen âge, la géographie moderne, et les cartes relatives à la géographie physique, Paris : Hôtel de Thou, 1787-1788, planche 23.
Alors que les Hollandais (1ère moitié du 17e siècle) et les Anglais (fin du 18e siècle) explorent en tous sens les mers australes, James Cook allant jusqu’à dépasser le cercle polaire antarctique par trois fois entre 1772 et 1775, la réalité du continent austral s’évanouit. Peu de terres sont trouvées et reconnues dans les latitudes les plus au sud en dehors de quelques îles battues par des vents violents et des mers glaciales. L’Australie, dont les contours sont peu à peu circonscrits, est la plus vaste. Aussi, à la veille de la Révolution française (en 1787), Rigobert Bonne, géographe et cartographe du roi de France, et Nicolas Desmarets, géologue, géographe et encyclopédiste, ne dessinent plus la Terra australis tant recherchée dans cette mappemonde vue d’au-dessus du pôle Sud laissé vide.
L’exploration du grand océan

BmL, 309034.
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20. Descripsion de la grande mer du Sud monstrant par quel chemin Guillaume Schouten a navigué et quelles isle et terres il a descouvertes en icelles
Dans WILLEM CORNELISZ SCHOUTEN (158.-1624), Journal ou relation exacte du voyage de Guill. Schouten dans les Indes : par un nouveau destroit, & par les grandes mers australes qu’il à descouvert, vers le Pole Antartique, Paris : Gobert, 1618, carte entre les p. 56 et 57.
La navigation sur l’océan Pacifique fait partie des grandes découvertes du 16e siècle, notamment lors des voyages de Magellan et de Drake. En 1615, des marchands de la ville de Hoorn chargent le navigateur hollandais Willem Schouten de découvrir un nouveau passage maritime vers la Terre australe par l’ouest, afin de contourner le monopole maritime détenu par la Compagnie des Indes (VOC). En hommage à ces promoteurs, Schouten le baptise le cap Horn. La carte, extraite du carnet de bord publié en 1618, montre comment, au large de la Terre de Feu, il contourne la pointe Sud du Chili puis le long trajet hasardeux au milieu d’un chapelet d’îles jusqu’aux Moluques, archipel indonésien producteur d’épices, sous contrôle de la VOC. Lors de son périple, il passe au nord de l’Australie et manque le continent.

BmL, 158494.
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21. WILLIAM HODGES (1744-1797 ; dessinateur), WILLIAM WOOLLETT (1735-1785 ; graveur)
Monumens dans l’isle de Pâques
Dans JAMES COOK (1728-1779), Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi [sic], l’Aventure, & la Resolution, en 1772, 1773…, Paris : Hôtel de Thou, 1778, tome 2, planche 28.
Perdue dans le sud-est de l’océan Pacifique et découverte le dimanche de Pâques 1722 par le navigateur hollandais Jakob Roggeveen, l’île de Pâques est le lieu habité le plus isolé de la Terre. James Cook est le troisième Européen à aborder les rivages de Rapa Nui, de son nom polynésien, en mars 1774. William Hodges, peintre de paysages engagé par l’Amirauté comme artiste de bord, est frappé comme le reste de l’équipage par les alignements de moais, statues monumentales représentant les ancêtres divinisés des insulaires. A cette époque, un grand nombre d’entre eux sont déjà à terre, probablement en raison des nombreux séismes de cette zone tectonique. Dans une composition pré-romantique, Hodges les représente accompagnés d’un squelette, en écho à la découverte d’ossements sur les lieux par les marins, laissant croire par erreur à une fonction funéraire du site.
22. BRADDOCK MEAD, alias JOHN GREEN (1688 ?-1757 ; cartographe), THOMAS JEFFERYS (1719 ?-1771 ; cartographe) South America with the adjacent islands in the Southern Ocean and South Sea / Amérique du Sud avec les îles proches dans l’Océan du Sud et la Mer du Sud
Dans THOMAS JEFFERYS (1719 ?-1771), American atlas, Londres : Robert Sayer et John Benett, 1776, carte 3.
La « grande mer du Sud », autre nom du Pacifique, occupe la majeure partie de cette carte. Les années 1770 marquent l’apogée des premières explorations européennes du plus vaste océan du monde. La Nouvelle-Zélande voit l’une de ses premières représentations précises, grâce au premier voyage de Cook. Sous des noms différents d’aujourd’hui, plusieurs des nombreux archipels qui parsèment le Pacifique sont situés. Toutefois, si Thomas Jefferys, géographe officiel du roi Georges III d’Angleterre, et John Green sont réputés pour la qualité de leurs compilations, ils n’échappent pas aux limites de leurs sources et de leurs partis pris. Ainsi lit-on « imaginary isles of Salomon » alors que les îles Salomon existent bien, mais beaucoup plus à l’ouest.
Ces choix sont des prises de position dans des débats cartographiques dont la carte se fait l’écho à plusieurs endroits. Il s’agit d’abord de corriger des erreurs, par exemple en replaçant le Cap Horn. D’autre fois, il s’agit d’indiquer une terre citée par un explorateur, mais qu’on ne sait pas bien situer comme la Terre de Davis, qui désignait peut-être l’île de Pâques, enfin située par Cook lors de son second voyage. Le plus souvent, il s’agit d’associer une terre citée dans un vieux récit (16e ou 17e siècle) à des lieux mieux localisés comme ces « îles vues par Queiros » qui désignent les îles Gambier, ou « Manicola » qui correspond à la « Tierra del Spiritu santo » décrite par le même Pedro Fernandes de Queiros (1565-1614), dans l’« archipel des grandes Cyclades » (actuel Vanuatu).
Documentation en ligne
Sur la vie de John Green : « John Green, geographer », dans Osher Map Library. Smith center for cartographic education.
Consulter l’exemplaire en ligne (consulté le 18 décembre 2023).
Pour une reproduction en haute-résolution des trois cartes de l’Amérique de l’American atlas : « 1775 Sayer and Bennet / Braddock Mead 3-Part Map of America », dans Geographicus.
Consulter l’exemplaire en ligne (consulté le 18 décembre 2023).
En écho
Bougainville, Voyage autour du monde par la frégate du Roi la Boudeuse et la flûte l’Etoile en 1766, 1767, 1768 et 1769, Paris : Saillant et Nyon, 1771.
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Vers le grand Nord
23. GERARD MERCATOR (1512-1594 ; cartographe) Septentrionalium Terrarum descriptio / Description des terres septentrionales
Dans JODOCUS HONDIUS (1563-1612), GERARD MERCATOR (1512-1594), Atlas sive cosmographicae meditationes de fabrica mundi et fabricati figura, Amsterdam : Jodocus Hondius, 1613, entre les p. 41 et 42.
Réédition corrigée de celle que Mercator grave en 1595, cette carte bénéficie de plusieurs explorations réalisées au 16e siècle, dont la plus connue est celle d’Olaüs Magnus. Toutefois, elle demeure largement le fruit de spéculations cosmologiques et géographiques. Ainsi, en son centre, elle représente une île légendaire, avec une montagne vers laquelle convergent toutes les eaux des mers, alimentées par les fleuves. Les eaux entrent alors dans la terre où le magma les évapore. Le cycle de l’eau n’étant pas connu, cette explication était la plus couramment admise pour expliquer que les mers « ne débordent pas ». Les quatre grandes « îles » entourant le pôle sont censées être la source terrestre des icebergs qui, présents même en été, ne pouvaient avoir, pour les contemporains, qu’une origine montagneuse.
Anciennement, le Rupes negra, l’île polaire légendaire, était aussi pensé comme étant le Nord magnétique. Or, plusieurs explorateurs utilisant la boussole témoignent du fait que passé une ligne, l’aiguille déclinant un peu à l’est décline brutalement à l’ouest, ce qui signifie que le Nord magnétique n’est pas exactement au pôle Nord, sans quoi l’aiguille n’aurait aucune déclinaison. Après des calculs complexes, Mercator aboutit à deux hypothèses de Nord magnétique, visibles sur le haut de la carte, selon que les témoignages indiquent la déclinaison au large des îles Corvo ou du Cap Vert. Mercator ne savait pas que la position du Nord magnétique varie dans le temps, entraînant ces témoignages différents.
Documentation en ligne
L’Apparition du Nord selon Gérard Mercator [en ligne], consulté le 22 décembre 2023. En lien avec le livre éponyme : Stéfano Biondo, Joë Bouchard et Louis-Edmond Hamelin, Québec : éditions du Septentrion, 2013.
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24. PHILIPPE D’AUVERGNE (1754-1816 ; dessinateur), JOHN CLEVELEY LE JEUNE (1747-1786 ; dessinateur), JAMES MASON (17..-1805 ; graveur)
Deux profils de côtes au Nord-Ouest du Spitzberg
Dans CONSTANTINE JOHN PHIPPS (1744-1792), A voyage towards the North Pole undertaken by his Majesty’s command 1773, Londres : J. Nourse, 1774, entre les p. 48 et 49.
Ces impressionnantes représentations témoignent des progrès réalisés depuis les premiers profils de côtes au 17e siècle. Celle du dessous montre un des glaciers (Waggonway ?) se jetant dans le fjord de Magdalene. Celle du dessus montre le cap Hakluit, véritable porte vers le Nord, et point de départ réel de cette expédition. Vieux rêve anglais, la route vers le Pacifique par le pôle Nord puis le détroit de Béring fait en effet l’objet de cette expédition en 1773. Il s’agit d’aller le plus au nord possible et de mieux connaître la navigabilité des mers arctiques. Si le Racehorse et le Carcass ne parviennent pas à percer la banquise, et ne dépassent pas le 81° Nord, l’expédition demeure une réussite pour les informations rapportées par le capitaine Phipps.
Documentation en ligne
Roland Courtot, « Vues de côtes : le panorama au service des marins », dans Les cafés Géo : le dessin du géographe, 21 avril 2018.
Consulter l’exemplaire en ligne (consulté le 6 janvier 2024).

BmL, 422774.
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25. G. LEMAITRE (17..-18.. ; graveur)
Carte des régions polaires boréales
Dans AUGUSTE-JEAN-BAPTISTE DEFAUCONPRET (1767-1843 ; traducteur et compilateur), Voyage vers le pôle Arctique, dans la baie de Baffin, fait en 1818, Paris : Gide fils, 1819, tome 3.
Les guerres napoléoniennes terminées, l’amirauté britannique reprit la recherche d’un passage au nord-ouest du Groënland, pour atteindre le Pacifique. En 1818, le capitaine John Ross confirma enfin les observations que William Baffin avait fait en 1616 dans la baie qui porte son nom. En parallèle, le capitaine David Buchan explora de nouveau la possibilité d’un passage par le pôle Nord. Les deux expéditions furent des échecs mais permirent aux Anglais de mieux cartographier le Nord de l’Europe et de l’Amérique. Fort de ces nouvelles informations et compilant les informations plus anciennes, notamment russes, Lemaître grave l’une des cartes les plus complètes de cette région à cette époque, prenant soin d’indiquer par des pointillés ou des blancs les tracés incertains ou inconnus.
Concernant le passage Nord-Ouest, le capitaine Ross, voyant des montagnes et persuadé que les passages étaient fermés par des terres, n’explora pas les détroits de Smith, de Jones et de Lancaster. Il fut très critiqué pour ce choix par l’officier scientifique, le capitaine Edward Sabine (1788-1883), et surtout par son second, le lieutenant William Edward Parry (1790-1855), qui effectua plus tard trois autres expéditions. Il ne parvint pas à trouver le passage Nord-Ouest, pas plus que John Franklin, qui mourut lors d’une expédition au nord du Canada. Il faut attendre les années 1850 pour que l’expédition McClure, partie à la recherche de John Franklin, prouve définitivement l’existence de ce passage, qui n’est franchi pour la première fois qu’en 1903-1906 par Roald Amundsen.
Documentation en ligne
En collaboration avec Ernest S. Dodge, « ROSS, sir JOHN (1777-1856) », dans Dictionnaire biographique du Canada, volume 8, Université de Laval et université de Toronto, 1985.
Disponible en ligne (consulté le 10 janvier 2024).
Ann Parry, « Parry, Sir William Edward (1790–1855) », dans Australian Dictionary of Biography, National Centre of Biography, Australian National University, 1967. Disponible en ligne (consulté le 10 janvier 2024).