Représenter le lointain
Un regard européen (1450-1950)

Entre savoirs et fantasmes

La curiosité scientifique n’est pas complétement absente des explorations européennes. Dans un premier temps, les mœurs des indigènes, la flore et la faune des nouvelles contrées sont souvent décrites sous l’angle de l’étonnement et de la nouveauté, permettant aux explorateurs d’augmenter leur prestige. Cela conduit parfois à l’émergence de fantasmes, comme le mythique Eldorado, ou cet Orient exotique, qui concentre les rêves de richesses et d’érotisme des Européens.

Rapidement toutefois, les expéditions sont accompagnées de savants qui cherchent à recueillir les savoirs des peuples rencontrés, parfois même en usant de la force. La flore et une partie de la faune sont ainsi étudiées dans un objectif thérapeutique ; la géographie et l’histoire pour faciliter les conquêtes. Par la suite, l’observation et l’apprentissage des sciences, de la religion et de l’organisation sociale des peuples lointains s’ajoutent aux savoirs européens, alimentent les débats et permettent la mise au point de nouvelles théories.

La confrontation avec d’autres humanités inconnues crée par ailleurs la nécessité de se positionner par rapport à l’autre. Les représentations antiques et chrétiennes sont plaquées sur des réalités différentes. Se dessine alors la figure du « sauvage », bon ou mauvais selon la nature de ses relations avec les Européens. Au 18e siècle, la nature en général tend à faire l’objet de classement : l’humanité ne fait pas exception. Émerge alors une théorie pseudo-scientifique des races humaines, qui prend le pas sur la description des peuples et se développe au 19e siècle. Elle place la « race blanche » au-dessus de toutes les autres, et justifie jusqu’au 20e siècle la domination par la volonté de « civiliser » (c’est-à-dire ici « européaniser ») les « races inférieures ».


Recueillir et construire les savoirs

54. De Tlaolli, seu Maïs / Du Tlaolli ou Maïs

Dans FRANCISCO HERNANDEZ (1517-1587), Rerum medicarum Novae Hispaniae seu Plantarum animalium, mineralium Mexicanorum historia…, Rome : Vitale Mascardi, 1651, p. 241-242.

Francisco Hernández est chargé en 1570, par Philippe II, roi d’Espagne, d’aller étudier la faune et la flore novo-hispanique en s’intéressant à leur usage médical. Sept années durant, il interroge, parfois de force, les herboristes locaux, accumulant notes et illustrations. Il fera la première description scientifique du maïs. Plante centrale dans les cultures amérindiennes, l’histoire du maïs commence au Mexique il y a 9 000 ans. Arrivé en Europe par les bateaux de Christophe Colomb qui en introduit les premières semences dès 1493, le maïs connaitra une expansion très rapide sur l’ensemble des continents. C‘est, aujourd’hui, la première céréale cultivée dans le monde, devant le riz et le blé.


55. D’après MARIE-FIRMIN BOCOURT (1819-1904 ; dessinateur)
The Gorilla / Le Gorille

Dans PAUL BELLONI DU CHAILLU (1831-1903), Explorations and adventures in Equatorial Africa, Londres : John Murray, 1861, planche dépliante avant la page de titre.

Archétype de l’explorateur autodidacte, Paul Du Chaillu est le premier Européen à publier une description des gorilles dans leur habitat naturel à destination du grand public. L’espèce, qui n’était alors connue en Europe que par des squelettes, fascine les savants par sa proximité avec l’homme, ici accentuée par une pudique feuille qui vient cacher son sexe. Le livre connaît un large succès. La description de ce singe puissant et social, qualifié de « roi de la forêt africaine », fera sensation. Dès lors, le gorille entre profondément dans l’imaginaire européen, généralement comme repoussoir. Des caricatures de Darwin en gorille à King Kong, il représente la brutalité, voire la barbarie, dans son double-aspect physique et sexuel.

Paul Du Chaillu est parmi les premiers Européens à aller si profondément dans la forêt équatoriale africaine et, de ce fait, le premier à rencontrer de nombreuses ethnies du continent, dont les Mfan, ou Fang, qu’il décrit cannibales, ou encore les Pygmées, lors de son second voyage. La véracité de ses récits sera largement remise en cause, y compris dans le tracé de ses voyages. Il sera réhabilité au 20e siècle pour la précision de certaines de ses descriptions, malgré un sensationnalisme avéré.

Documentation en ligne
- Marie-Firmin Bocourt, planche du gorille illustrant Isidore Geoffroy de Saint-Hilaire, « Description des mammifères nouveaux […] Quatrième Mémoire, Famille des singes, second supplément. » dans Archives du Muséum d’Histoire Naturelle, tome 10, 1858-61, planche 1, p. 135.
Disponible en ligne dans Google Livres (consulté le 15 février 2024).
- Maurice Zimmermann, « Nécrologie de […] P. du Chaillu […] », dans Annales de géographie, tome 12, n° 64, 1903, p. 370.
Disponible en ligne dans Persée (consulté le 27 novembre 2023).
- Henry H. Bucher Jr, « Canonization by repetition ; Paul du Chaillu in historiography », dans Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 66, n° 242, 1979, p. 15-32. Disponible en ligne dans Persée (consulté le 27 novembre 2023).
- Luc-Henri Fage, « Sur les traces de Paul du Chaillu », dans le blog de Luc-Henri Fage.
Disponible en ligne (consulté le 27 novembre 2023).

En écho
Beaucoup d’autres animaux inconnus des Européens ont pu faire sensation, notamment parmi la faune américaine :
- Le paresseux, dans Jean de Laet, L’Histoire du Nouveau Monde ou Description des Indes occidentales, 1640, p. 557.
Disponible en ligne dans Google Livres (consulté le 15 février 2024).
- Les exocets ou « poissons volants », dans Jan Huygens Van Lischoten, Navigatio ac itinerarium in Orientalem sive Lusitanorum Indiam, 1599, p. 112-113.
Disponible en ligne dans Google Livres (consulté le 15 février 2024).
- Le toucan, dans André Thevet, Les Singularitez de la France antarctique, 1558, f. 91.
Disponible en ligne dans Google Livres (consulté le 15 février 2024).
Voir aussi, dans ce même ouvrage, d’autres oiseaux, le rhinocéros, le bison…


56. ALCIDE D’ORBIGNY (1802-1857 ; dessinateur), EMILE LASSALLE (1813-1871 ; lithographe)
Danse des Indiens Aymaras. Un jour de fête à Yanacache, province de Yungas (Bolivia)

Dans ALCIDE D’ORBIGNY (1802-1857), Voyage dans l’Amérique méridionale (le Brésil, la République orientale de l’Uruguay...), exécuté dans les années 1826, 1827... et 1833, Paris : Pitois-Levrault ; Strasbourg : Levrault, 1835-1847, tome 3.1, Costumes, planche 5.

Alcide d’Orbigny est un naturaliste, explorateur, et paléontologue français, surtout connu pour ses travaux sur l’Amérique du Sud, et plus particulièrement sur la Bolivie. Entre 1826 et 1833, il parcourut l’Amérique, envoyé par le Muséum national d’histoire naturelle. Pendant le voyage, le savant mena des observations concernant les sciences naturelles et l’ethnographie. A côté des valeurs scientifiques, la modernité de l’œuvre de D’Orbigny résidait dans son regard humaniste. Il est considéré comme précurseur des droits de l’homme, très préoccupé de rétablir plus d’équité pour les Indiens de Bolivie, soumis à une tutelle de type colonial.


57. JOSEPH DE REVIERS DE MAUNY (1892-1974)
Photographies prises en Chine

1932-1933
Tirages photographiques argentiques

Documentation en ligne
- Morgane Odic, « La Chine des années 1930 sur plaques de verre : le fonds Joseph de Reviers ».
Consultable en ligne dans numelyo (mis en ligne le 23 septembre 2019, consulté le 15 février 2024).

Fonds de Reviers (non coté). Un bonze.

BmL, collection jésuite des Fontaines. Fonds de Reviers (non coté).

Bonze, pagode de Sou Tsen ( ?)
15,9 × 14,8 cm
En 1932, le Père Joseph de Reviers, dit le Père Jo, entreprend, à la demande de la Compagnie de Jésus, un voyage vers la Chine afin de décrire la situation des missions jésuites après un siècle d’évangélisation. Dès le 16e siècle, les premières explorations initiées par François-Xavier et Matteo Ricci en Chine permettent de fonder des foyers jésuites. Au long de son voyage, le Père Jo documente la vie rurale et citadine traditionnelle dans ses multiples facettes, dans un pays où se mêlent tradition et modernité. D’une grande richesse iconographique, les compositions révèlent un sens inné de l’équilibre et du cadre. Le bonze pose devant une fontaine. De nombreux clichés témoignent du patrimoine architectural traditionnel, parfois disparu depuis lors.

Fonds de Reviers (non coté). Un homme pauvre.

BmL, collection jésuite des Fontaines. Fonds de Reviers (non coté).

Mendiant
17,3 × 14,1 cm
L’œil photographique de Joseph de Reviers saisit la situation sociale de la population chinoise en privilégiant la personne humaine. Les scènes de la vie quotidienne sont traitées avec simplicité et une grande ouverture d’esprit, sans parti pris européano-centré. Il donne à voir les individus avec dignité et témoigne aussi de la pauvreté à travers le visage ridé de ce mendiant. En précurseur, il pose son regard d’ethnographe.

Fonds de Reviers (non coté). Repas de coolies.

BmL, collection jésuite des Fontaines. Fonds de Reviers (non coté).

Repas de manouvriers
14,9 × 9,4 cm
La photographie est prise sur le vif et s’apparente au registre documentaire. Le photographe s’est fait oublier, le cliché témoigne de la spontanéité de ce moment de repos pour les quatre ouvriers pendant un repas. Seul le visage du jeune garçon est discernable dans le groupe, la silhouette en haut à gauche en partie dissimulée par l’homme assis au premier plan est probablement celle d’une femme, étant donné sa chevelure attachée. Il s’agit peut-être d’une famille de manouvriers. À l’arrière-plan, des barrières en bois et un plancher de bois signalent peut-être l’espace du chantier. De nombreuses photographies du fonds saisissent la vie des rues (vendeurs ambulants, transporteurs, vendeurs, dentistes ambulants) et des champs (pêcheurs, laboureurs, animaux de ferme, bateliers).

Fonds de Reviers (non coté). Séance de vaccination.

BmL, collection jésuite des Fontaines. Fonds de Reviers (non coté).

Vaccination d’enfants
15 × 10 cm
En reporter amateur, Joseph de Reviers saisit ici une scène de vaccination d’enfants, probablement recueillis dans un orphelinat ou une école, comme le laisse supposer la tenue vestimentaire identique des enfants. Les médecins sont deux Occidentaux. On mesure dans ce sujet cette volonté de restituer fidèlement une réalité que l’on respecte, sans fard ni artifice. Elle manifeste, de manière instantanée, ce besoin d’informer. Un nombre conséquent de clichés relatent les actions humanitaires auprès de la population rurale et citadine. A cet égard, le fonds de Reviers constitue une archive visuelle inestimable de la Chine dans les années 30, témoin d’un passé et d’une histoire toujours vivante.


Se positionner par rapport à l’autre

Rés 809462 (1) : Walter Raleigh. Brevis & admiranda descriptio regni Guianae. 1599 (planche 14 : les Amazones tuant les hommes).

BmL, Rés 809462 (1).
Consultable en ligne dans numelyo

58. JODOCUS HONDIUS (1563-1612 ; graveur) ?
Amazones tuant des hommes

Dans WALTER RALEIGH (1552 ?-1618), Brevis & admiranda descriptio regni Guianae..., Nüremberg : Levinus Hulsius, 1599, planche 14 entre les p. 8 et 9.

Aux « grandes découvertes » succèdent les grandes explorations dont une menée en 1595 par Walter Raleigh, favori d’Elisabeth I. Malgré la forte mise en doute de la présence d’Amazones en Amérique du Sud au 16e siècle, c’est à son retour de Guyane que le récit de l’explorateur britannique relance le mythe grec. Les guerrières sont représentées nues, grandes, musclées, aux cheveux longs, munies d’arcs et de flèches et exécutant leurs prisonniers. Tous les codes physiques sont empruntés aux peuples indiens et la cruauté de la scène – inspirée d’un bois gravé dessiné par André Thevet dans Les Singularitez de la France antarctique (1558) – vise à en accentuer la barbarie. Malgré les explorations poussées de nouveaux confins géographiques, la subsistance d’informations empiriques et légendaires montre toute l’ambiguïté du rapport à l’altérité du Nouveau Monde.
En outre, de vastes enjeux obligent Walter Raleigh à déployer une certaine diplomatie dans la quête de ressources aurifères. Sous couvert de libérer les Indiens des forces espagnoles, il espère obtenir la contribution des autochtones dans la découverte de terres inexplorées – notamment des richesses de la ville d’Eldorado (ou Manoa), au bord du lac Parimé – que nul explorateur ne parvint à localiser. Seuls les cannibales – sans doute évoqués en filigrane dans cette gravure – sont évités. Malgré tous les efforts déployés pour inspirer la confiance des peuples, le favori de la Reine d’Angleterre et son équipage rentreront les mains vides, affirmant avoir ménagé les intérêts futurs de la couronne.


59. La famille caraïbe

Dans JEAN DE LERY (1536 ?-1613 ?), Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, autrement dite Amerique, Genève : Antoine Chuppin, 1580, planche 107.

La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, en 1492, marque le début de l’exploration du continent américain par les Européens, en quête de nouveaux territoires. Dans son récit du voyage qu’il a fait au Brésil en 1557-1558, Jean de Léry représente l’Indien Tupinamba dans une mise en scène intime et privée : la famille, composée du père, pourvu d’un arc et de flèches, illustre la fonction de chasseur et de guerrier, protecteur de sa famille. D’un geste tendre, sa compagne a posé son bras sur son épaule et soutient de l’autre son bébé, maintenu dans un bandeau. Le hamac situé derrière le groupe et les fruits au premier plan apportent une note d’exotisme. Le traitement de l’image vient nourrir une forme de rêverie éveillée mêlée d’aventure et le mythe précurseur du « bon sauvage ».


60. EMILE ROUARGUE (1795 ?-1865), ADOLPHE ROUARGUE (1810-187.?)
Bougainville abordant à Taïti

Dans LEON GUERIN (1807-1885 ?), Les navigateurs français : histoire des navigations, découvertes et colonisations françaises, Paris : Bellin-Leprieur et Morizot, 1846, planche entre les p. 432-433.

Suite à l’avortement de ses projets aux Malouines, cédées par Louis XV à la couronne d’Espagne, Louis-Antoine de Bougainville reçoit de cette dernière une forte somme en dédommagement, et une mission. Revenir des Malouines par la route du Pacifique équivaut alors à effectuer le premier tour du monde pour un Français. Lorsqu’il sort du détroit de Magellan en janvier 1768, équipé d’une frégate, La Boudeuse, et d’une flûte, L’Étoile, l’explorateur cherche d’abord une grande île entrevue par le pirate anglais Davis, probablement l’île de Pâques. Cependant, en obliquant au sud, il se dirige vers Tahiti. La gravure représente la rencontre de l’équipage et de la population le 6 avril 1768 qui – du fait de la profusion de fruits, des femmes dénudées et de l’accueil chaleureux – fit l’effet de découvrir un nouveau jardin d’Éden.

Bientôt les membres de la population exigent plus de cadeaux et Bougainville comprend qu’un autre navire l’a précédé. Le navigateur entame alors une course pour être le premier à révéler l’existence du paradis polynésien en Europe. Il arrive le 16 mars 1769 à Saint Malo, quelques jours seulement avant l’arrivée de son "concurrent" anglais, Le Swallow, à Londres. Peu après, il fait sensation à Versailles où il présente Ahutoru, premier Tahitien à quitter l’archipel pour aller au-devant des Français.


SJ G 103/12 : Charles-Louis de Saulces de Freycinet. {Voyage de découvertes aux terres Australes…} 1807 (planche 19 : Aborigène avec ses tatouages).

BmL, Collection jésuite des Fontaines, SJ G 103/12.
Consultable en ligne dans numelyo

61. NICOLAS-MARTIN PETIT (1777-1804 ; illustrateur)
Nouvelle-Hollande. Y-Erran-Gou-La-Ga

Dans CHARLES-LOUIS DE SAULCES DE FREYCINET (1828-1923), Voyage de découvertes aux terres Australes, exécuté par ordre de Sa majesté l’Empereur et Roi, Paris : imprimerie impériale, 1807-1816, planche XIX.

L’expédition qui fait l’objet de ce récit est commanditée par Napoléon Bonaparte en 1800. Le Muséum d’histoire naturelle de Paris, en charge du projet, porte deux objectifs ambitieux : cartographier la partie sud-est de la Nouvelle-Hollande, l’actuelle Australie, et collecter des spécimens pour compléter l’inventaire de la nature. Un objectif officieux est d’étudier les aborigènes. La colonisation européenne a débuté au 18e siècle en Australie, ce qui a causé la dispersion des 600 tribus nomades qui vivaient jusque-là en harmonie avec la nature. La culture aborigène est l’une des plus anciennes au monde, âgée de 65 000 ans. L’artiste réalise ce portrait près de Sydney en 1802. Il s’agit d’un homme appelé « Y-erran-gou-la-ga », c’est-à-dire "Mousqueda" ou "Moustique".


SJ G 101/21 : Henrich Berghaus. Physikalisher Atlas oder sammlung von karten. 1845 (tome 6 après page 4 : planisphère présentant la répartition des races).

BmL, collection jésuite des Fontaines, SJ G 101/21.
Consultable en ligne dans Google Books

62. Geographische Verbreitung der Menschen-Rassen… / Répartition géographique des races humaines…

Dans HEINRICH BERGHAUS (1797-1884), Physikalischer Atlas oder Sammlung von Karten..., Siebente Abtheilung : Anthropographie, Gotha : Justus Perthes, 1852, planche 1.

A partir du 18e siècle, les savants européens classent et hiérarchisent les populations humaines selon leurs caractéristiques physiques, en premier lieu selon la couleur de la peau. Cette division par « races »*, qui s’accentue au 19e siècle, met systématiquement en avant la supériorité de la « race » blanche et vise à justifier la domination exercée par les Européens, dans le cadre de la colonisation, sur des peuples étrangers jugés inférieurs. Dans son Physikalischer Atlas, le géographe allemand Heinrich Berghaus distingue six « races » : blanche (Caucasiens), jaune (Mongols), brune (Malais), brune noire (Papous notamment), noire (Ethiopiens ou « Nègres ») et rouge (Américains). Autour du planisphère qui indique leur répartition spatiale, est représentée une partie des peuples qui les composent. Les six crânes figurés rappellent que les théories raciales prirent appui sur l’anatomie comparée. Le petit planisphère met en évidence la distribution des principaux régimes alimentaires et celle de la population mondiale, en faisant ressortir le poids démographique de l’ouest de l’Europe. Parmi les graphiques qui figurent en bas de page, l’un compare la taille des êtres humains selon leur appartenance ethnique, un autre leur force. Tous deux placent les Occidentaux en tête de classement.
*La notion de « race » humaine n’a aucune validité sur le plan scientifique. Il existe une espèce humaine qui partage le même patrimoine génétique.

Documentation en ligne
- Marylène Pathou-Mathis, « De la hiérarchisation des êtres humains au « paradigme racial » », Hermès, La Revue, 2013/2 (n° 66), p. 30-37.
Disponible en ligne dans Cairn (consulté le 15 février 2024).


63. Tintin et l’épisode de la locomotive cassée

Dans HERGE (1907-1983), Tintin au Congo, Tournai : Casterman, 2021, tome 2, p. 20-21.

Deuxième aventure du célèbre reporter, Tintin au Congo est une œuvre rédigée en 1930-1931 à la demande de l’abbé catholique et profasciste Norbert Wallez, alors directeur du quotidien Le Petit Vingtième. Le jeune Georges Rémi, qui aurait préféré écrire Tintin en Amérique, ne se documente que très rapidement, avec des sources proches des missions catholiques belges. Il baigne alors, comme la majorité des Européens, dans une culture paternaliste et colonialiste, qui considère les peuples africains comme de grands enfants à éduquer. Tous les stéréotypes se développent dans cette double-page : le mépris des technologies locales, le langage "petit-nègre", l’accoutrement maladroit imité des Européens, la paresse, l’admiration du blanc, et le discrédit des autorités locales.

La faune et la flore décrites sont aussi très loin de la jungle équatoriale qui recouvre la majeure partie du Congo. Ces nombreuses incohérences s’expliquent par le peu d’enthousiasme d’Hergé à se documenter avant Le Lotus bleu, qui marque un tournant. Pourtant, peu de temps auparavant, Albert Londres avait largement dénoncé la colonisation du Congo dans Terre d’ébène (1929).
BmL, BDB 5023.

Documentation en ligne
- Eudes Girard, « Une relecture de Tintin au Congo », Études, 2012/7-8 (tome 417), p. 75-86.
Disponible en ligne dans Cairn (consulté le 8 décembre 2023).
- Camille Bichler, « Pourquoi « Tintin au Congo » fait-il encore polémique aujourd’hui ? », dans France Culture.
Consultable en ligne (23 janvier 2019, consulté le 8 décembre 2023).


Le lointain comme lieu rêvé

64. Guiane divisée en Guiane, et Caribane

Dans NICOLAS SANSON (1600-1667), L’Amérique en plusieurs cartes…, 1657, carte 11.

Cette carte de la Guyane de 1657 fait apparaître le lac Parimé, lac légendaire réputé pour être l’emplacement de la ville de Manoa ou Eldorado. Le cartographe français Nicolas Sanson mélange ici des informations légendaires avec des informations scientifiques. D’autres représentations cartographiques témoignent de cette coexistence : on retrouve ce lac imaginaire sur plusieurs cartes de l’Amérique du Sud du 16e au 18e siècle. Les conquérants européens croyaient à l’existence, quelque part dans le Nouveau Monde, de ce lieu d’une grande richesse. Walter Raleigh (1552-1618), explorateur anglais pensait qu’il était en Guyane aux pieds des montagnes qui séparent le Brésil du Venezuela. Mais ni lui ni aucun explorateur n’ont jamais trouvé la fabuleuse Eldorado…


65. FELIX REGAMEY (1844-1907 ; dessinateur)
Jeune fille servant le thé

Dans EMILE GUIMET (1836-1918), Promenades japonaises, Paris : G. Charpentier, 1878, p. 164.

Parti, en 1876, étudier les religions de l’archipel nippon, Emile Guimet relate, à son retour, son voyage et la découverte de la vie quotidienne japonaise. Une des étapes fut l’île d’Enoshima près de Edo, l’actuelle Tokyo. Il écrit au sujet de cette île sacrée : « Comme on est bien dans ces lieux de repos ! Comme les japonais sont amoureux de la nature ! ». « Une femme, dont la figure nous rappelle les vierges des peintres primitifs, nous offre du thé… ». Cette jeune femme est immortalisée sous le trait de Félix Régamey, compagnon de voyage de Guimet. L’admiration des deux hommes, attentifs aux coutumes et aux traditions du Japon, se ressent. Ils incarnent la fascination pour ce pays qui s’empare des Européens à la fin du 19e siècle.


66. HENRI MEUNIER (1873-1922)
Rajah

Bruxelles : J. E. Goossens, 1897.
Lithographie, 61 × 76 cm.

Porté par un grand nombre de souverains d’Asie du Sud-Est, le titre de rajah recèle une puissance d’évocation qui n’a pas échappé à ce distributeur de café de la fin du 19e siècle, qui n’hésite pas à en jouer afin d’augmenter l’attractivité de son produit. Le Belge Henri Meunier utilise dans cette affiche publicitaire lithographiée un vocabulaire ornemental influencé par l’Art nouveau alors triomphant, notamment dans les courbes des volutes de fumée s’échappant de la tasse, ainsi que dans le lettrage tout en courbes annonçant le nom du café. Mais ce sont surtout les yeux clos d’une princesse à la chevelure de jais, ses bijoux et parure de bras, ainsi que sa tiare, qui contribuent à créer une atmosphère orientale rappelant l’origine exotique du produit. La dégustation du café Rajah sonne ainsi, dans une vision fantasmée, comme une belle promesse d’évasion.