Son petit musée
« Si Willem était un arbre, cela expliquerait la sensation que l’on éprouve en l’approchant, d’être surplombé par la masse feuillue d’une œuvre et en même temps de fouler l’enchevêtrement souterrain des racines, racines de la culture artistique, de la connaissance historique, de la préscience et de la science politique, de l’érudition la plus finement ramifiée. »
Gébé, Extrait de la préface de Deadlines (1998)
Willem est un artiste à part entière, tout à la fois dessinateur de presse, chroniqueur, reporter au long cours, auteur de bandes dessinées. Ses influences artistiques sont nombreuses et sa curiosité insatiable, s’inspirant autant de la peinture flamande que des grands maîtres du dessin satirique ou de la bande dessinée américaine underground.
Jérôme Bosch (v.1450-1516)
Jérôme Bosch, La Nef des fous, 4e quart du XVe siècle, huile sur bois, 58 cm x 33 cm, Musée du Louvre, Paris, inv. RF 2218.
Primitif flamand, Jérôme Bosch est connu pour ses tableaux foisonnants de minuscules figures caricaturesques, généralement placées dans des situations farfelues et entourées de détails macabres. Son œuvre la plus connue reste Le Jardin des délices (1503-1515). Ce triptyque énigmatique, grouillant de nudités, semble dépeindre le jardin d’Eden, l’humanité avant le déluge et l’Enfer. Avec La Lithotomie (v. 1494), l’artiste annonce les codes du dessin de presse satirique : un format semblable à une vignette et des personnages tournés en ridicule. Nul doute que Willem s’en est fortement imprégné.
Portrait : Hendrick Hondius, d’après Cornelis Cort, d’après Jérome Bosch, Portrait de Jérome Bosch, 1610, gravure, 19,9 cm x 12,1 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, inv. RP-P-1907-589.
Pieter Brueghel l’Ancien (v.1525-1569)
Pieter Brueghel l’Ancien, Les Chasseurs dans la neige (Jäger im Schnee), vers 1565, huile sur bois, 117 x 162 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne, inv. Gemäldegalerie, 1838. © KHM-Museumsverband
Artiste peintre et graveur, Pieter Brueghel l’Ancien est l’un des grands maîtres de l’École flamande. Il dépeint aussi bien des scènes tragiques que des scènes pittoresques, la guerre comme les fêtes populaires. Influencé en partie par le travail de Jérôme Bosch, il aime à montrer d’immenses paysages fourmillant de minuscules personnages aux traits communs. Ses sujets, peints quelquefois avec mordant, critiquent la société de son époque. Les Chasseurs dans la neige (1565) est son œuvre la plus connue.
Portrait : Pieter Brueghel l’Ancien, Le peintre et l’acheteur (Maler und Käufer), vers 1566, crayon et encre brune sur papier, 1567, 25,5 x 21,5 cm, L’Albertina, Vienne, inv. 7500.
Jacques Callot (1592-1635)
Jacques Callot, Les misères et les malheurs de la guerre (17) : La Revanche des paysans, 1633, estampe, 8,4 x 18,7 cm, Musées des Beaux-Arts, Rennes, inv. 794.1.4723.
Dessinateur et graveur lorrain, Jacques Callot est connu pour avoir révolutionné la technique de l’eau-forte en remplaçant le vernis mou par un vernis dur. Par ailleurs, sa pratique du burin lui permet de créer de subtiles nuances de gris et d’aboutir à un résultat minutieux, foisonnant de scènes et de personnages et ce, malgré le petit format de ses œuvres. Il illustre aussi bien des sujets religieux, historiques que des scènes pittoresques.
Portrait : Anonyme, Portrait de Jacques Callot, XVIIe siècle, estampe, 13,4 x 8,8 cm, Musées des Beaux-Arts, Rennes, inv. 794.1.4948.
Jan Steen (1626-1679)
Jan Steen, La Fête de Saint-Nicolas, 1665-1668, huile sur toile, 82 x 70,5 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, inv. SK-A-385.
Peintre néerlandais et représentant du baroque, Jan Steen est connu pour ses scènes pittoresques et religieuses qu’il traite avec une ironie et un sens de l’observation affutés. Son goût pour les scènes de genre s’explique notamment par ses parents brasseurs. Jan Steen tiendra lui-même une auberge à deux reprises. Au plus près des modèles, il dépeint des scènes domestiques, voire libertines non sans une certaine vulgarité assumée. L’intention moralisatrice de son œuvre se traduit avec comique, soulignant les imperfections de la société de son temps. Jan Steen inclut souvent dans ses désordres maîtrisés l’illustration de proverbes, jouant ainsi avec le ridicule des situations.
Portrait : Jan Steen, Autoportrait, vers 1670, huile sur toile, 73 x 62 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, inv. SK-A-383.
Francisco de Goya (1746-1828)
Francisco de Goya, Toi qui ne peux (Série : Les Caprices), 1797-1799, eau-forte, aquatinte, pointe sèche et burin, 31 cm x 21 cm, Musée Goya, Castres, inv. 48-2-42.
Peintre et graveur espagnol, Francisco de Goya est précurseur du romantisme. D’abord employé à la Fabrique royale de tapisseries, il apporte des innovations à ses cartons rococo en mettant en scène des thèmes pittoresques et galants. Il devient par la suite peintre de la cour et peintre du Roi. Suite à une maladie, il développe une surdité qui bouleversera son art. Ses œuvres sombres aux inspirations caravagesques mêlent fantastique et pittoresque, folie et horreur. Également graveur, il créera Les Caprices, série de 80 gravures à l’eau-forte, satire de la société espagnole et des vices de l’humanité en général. Il dénoncera aussi les horreurs de la guerre, notamment dans son tableau emblématique El Tres de Mayo (1814).
Portrait : Francisco de Goya, Peintre (Série : Les Caprices), 1797-1799, eau-forte, aquatinte, pointe sèche et burin, 31 cm x 21 cm, Musée Goya, Castres, inv. 51-1-10-1.
James Gillray (1756-1815)
James Gillray (1756-1815), Le Plumb Pudding en danger ou l’épicurien de l’Etat faisant un petit souper (The Plumb-Pudding in Danger ;–or–State Epicures Taking un Petit Souper), 1805, estampe, 26,40 x 36,60 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, inv. 42.121(93).
Graveur caricaturiste, James Gillray est connu pour ses eaux-fortes colorées. Mettant en scène des sujets politiques et sociaux, ces eaux-fortes critiquent la société et le pouvoir politique. Son travail est en phase avec son époque, période de tensions où se développe plus que jamais la caricature. Anti-jacobin, James Gillray se plaît notamment à ridiculiser les opposants français pendant la Révolution et met en scène John Bull, un bourgeois grassouillet vêtu d’un motif Union Jack. Homme d’esprit, l’artiste grave des œuvres mordantes mais toujours avec subtilité. Déjà source d’inspiration pour les caricaturistes de son époque, il continue à influencer ceux d’aujourd’hui. Il fut baptisé à juste titre « prince de la caricature » des années 1780-1810.
Portrait : James Gillray, James Gillray, vers 1800, aquarelle sur ivoire, 7,60 cm x 6,40 cm, National Portrait Gallery, Londres, inv. NPG 83. © National Portrait Gallery, Londres, CC BY-SA 3.0
Martin van Maele (1863-1926)
Pierre Dumarchey (Pierre Mac Orlan), La comtesse au fouet, illustrations hors-texte de Martin Van Maele, Paris, La Musardine, 2009, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Illustrateur français, Martin van Maele est connu pour ses dessins et gravures érotiques. Il a illustré plusieurs ouvrages sadomasochistes pour l’éditeur Charles Carrington mais aussi des classiques de la littérature érotique. Des poèmes de Paul Verlaine et de Baudelaire aux Dialogues de Pierre l’Arétin, ses gravures sont parfois pleines de cynisme. Dans ses séries de gravure, La Grande Danse macabre des vifs, publiée en 1905, il lie érotisme et mort, envisageant la sexualité comme un avant-goût de la mort.
Henri Gustave Jossot (1866-1951)
Satiriste français complet, Henri Gustave Jossot est à la fois dessinateur, caricaturiste, peintre, affichiste et écrivain. Reconnu comme l’un des maîtres du genre, il est pour les dessinateurs de presse actuels une inspiration essentielle. Son style est facilement reconnaissable avec ses lignes noires épaisses et ses aplats de couleur s’inspirant de l’esthétique des peintres nabis. Il s’attaque aux pouvoirs de la IIIe République à travers ses œuvres à l’humour mordant, en dénonçant l’injustice. Jossot est publié dans les journaux satiriques, notamment L’Assiette au Beurre où il figure parmi les dessinateurs incontournables. Le numéro 144, « Dressage », illustré par Jossot, traduit parfaitement l’état d’esprit et les combats du journal. On y lit l’histoire d’un homme formaté par la société, qui finit meurtrier et exécuté.
Portrait : Dixmier (Michel), Viltard (Henri), Jossot, Caricatures de la révolte à la fuite en Orient (1866-1951), Paris, Paris Bibliothèques, 2011, p. 150, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Olaf Gulbransson (1873-1958)
Kriegs-Flugblätter des Simplicissimus n°3, entre 1914 et 1918, Musée Départemental Raymond Poincaré, Sampigny, Inv. RP_92.1413. © Musée Raymond Poincaré - Département de la Meuse
Artiste peintre, dessinateur et caricaturiste norvégien, Olaf Gulbransson travaille pour la presse de son pays natal, avant de déménager en Allemagne où il collaborera au journal satirique Simplicissimus. Au début de la Seconde Guerre mondiale, son travail sera d’abord censuré par les nazis en raison de la virulence de ses caricatures. Une exposition rétrospective de son travail sera interdite deux jours après son ouverture. En 1933, rejoignant en fin de compte le parti nazi, il crée de nombreuses caricatures contre les Alliés, en particulier contre Winston Churchill.
Portrait : Holzheimer (Gerd), Olaf Gulbransson : Eine Biographie, Munich (Allemagne), Allitera Verlag, 2021.
Albert Pieter Hahn (1877-1918)
Albert Pieter Hahn, Voilà votre système, 1er quart du 20e siècle, plume, encre de Chine, aquarelle, crayon de couleur sur tracé au graphite sur papier, 27 x 23,5 cm, Musée des Beaux-Arts, Reims, inv. 971.12.2381. © Christian Devleeschauwer
Dessinateur, peintre et affichiste satirique néerlandais, Albert Pieter Hahn est un modèle d’artiste engagé. Né dans une famille ouvrière, il rejoint le Parti social-démocrate des ouvriers et participe activement à la lutte contre l’injustice sociale.
Il illustre plusieurs journaux satiriques dont celui de son parti intitulé De Notenkraker (Le Casse-noisette). Dans Voilà votre système, il met en scène une société où les personnes démunies et blessées sont méprisées délibérément par les plus aisés.
Francis Picabia (1879-1953)
Camfield (William), Calté (Beverley), Clements (Candace), Pierre (Arnauld), Calté (Pierre), Francis Picabia, 1898-1914 : catalogue raisonné I, Bruxelles, Fonds Mercator, 2014, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Artiste peintre, dessinateur et écrivain parisien d’origine espagnole, Francis Picabia transcende les mouvements artistiques. Partisan de « l’art pour l’art », il rejoint les impressionnistes pour ensuite se vouer à l’abstraction. Il expose avec les cubistes avant de partir en voyage à New York où il fondera l’orphisme avec sa femme Gabrièle Buffet-Picabia et Guillaume Apollinaire. Il participe à la popularisation de l’art moderne aux États-Unis. Pendant la Première Guerre mondiale, il rejoint les dadaïstes avec ses compositions mécaniques et se rapproche des surréalistes. Après la Seconde Guerre mondiale, il renoue avec l’abstraction. Son art a constamment évolué tout au long de sa vie.
Portrait : Marcadé (Bernard), Francis Picabia, rastaquouère, Paris, Flammarion, 2021, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
David Low (1891-1963)
David Low, L’imposteur avéré (Egregious impostor), 1943, British Cartoon Archive, Canterbury, inv. LSE3372.
Dessinateur caricaturiste néo-zélandais et britannique, David Low est considéré comme l’un des principaux caricaturistes politiques britanniques du milieu du XXe siècle. Il publie dans de nombreux journaux locaux, dont le bulletin de l’Armée du salut, mouvement international protestant. Son personnage du Colonel Blimp, britannique chauvin et anti-démocrate, lui permet de critiquer les opinions réactionnaires qui se répandent au cours des années 1930 et 1940. David Low est aussi connu pour ses caricatures de personnalités politiques comme celles d’Adolf Hitler et Mussolini, surnommées Hit and Muss. Ses caricatures lui ont valu d’être inscrit dans le Sonderfahndungsliste G.B., ou Black Book, ouvrage de la Gestapo recensant les opposants britanniques à arrêter en cas d’invasion du Royaume-Uni.
Portrait : Howard Coster, Sir David Low, 1935, photographie, 23,80 cm x 18,80 cm, National Portrait Gallery, Londres, inv. NPG x1993. © National Portrait Gallery, Londres, CC BY-SA 3.0
Otto Dix (1891-1969)
Jentsch (Ralph), Der Krieg, Otto Dix, Brasschaat (Belgique), Pandora, Ronny Van de Velde, 2013, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Artiste peintre et graveur allemand, Otto Dix est connu pour la violence de ses œuvres. Traumatisé par les horreurs de la guerre, c’est en tant que soldat qu’il participe aux deux grandes guerres mondiales. Son art en est une critique acerbe et sans concession. Expressionniste allemand, il fonde le mouvement artistique de la Nouvelle Objectivité (1918-1933) avec plusieurs artistes tout aussi contestataires que lui. L’art d’Otto Dix sera considéré comme « dégénéré » par les nazis et interdit.
Portrait : Lorenz (Ulrike), Otto Dix, dessins d’une guerre à l’autre, Paris, Editions du Centre Pompidou, Gallimard, 2003, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
George Grosz (1893-1959)
Grosz (George), Ecce homo, New York, Dover publications, 1976, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Peintre et dessinateur allemand engagé, George Grosz utilise les techniques du collage et de la caricature pour dénoncer la société de son époque. Engagé politiquement et adhérant aux idées communistes, il est un membre important du mouvement Dada et de l’aile gauche du mouvement de la Nouvelle Objectivité. Il changera même son nom, originellement Georg Ehrenfried Groß, pour exprimer son rejet du nationalisme allemand. George Grosz brosse le portrait cynique d’une société marquée par les horreurs de la guerre. Il publie en 1920 Ecce Homo, carnet de dessins caricaturant la société d’après-guerre, qui fut censuré pour « outrage aux bonnes mœurs ». Plus tard, son dessin anti-guerre intitulé Ferme-la et continue de servir et qui représente le Christ crucifié portant un masque à gaz et des bottes militaires sera publié dans l’hebdomadaire satirique communiste Der Knüppel. Cela lui coûtera censure, amende et deux mois de prison pour blasphème. Son travail a eu une grande influence sur les caricaturistes jusqu’à aujourd’hui.
Extrait de Willem, Les Nouvelles aventures de l’art, Bègles, Cornélius, 2019, p. 58, Collections de la Bibliothèque municipale de Lyon.