L'intelligence d'une Ville : Mai 68

Parcours dans l'exposition

Les étudiants et les lycéens
Contrairement à Paris et à d’autres villes universitaires, les Facultés lyonnaises sont toujours restées ouvertes au cours du mois de mai : débats, discussions dans les cours et dans les amphithéâtres démarrent très précocement – dès le 6 mai sur le campus de la Doua, à l’école d’ingénieurs de l’INSA – et s’étendent à la Faculté de Lettres à partir du lendemain. Seuls les étudiants en Droit et en Sciences économiques dénoncent « une grève politique » et refusent de participer aux manifestations. Le 7 mai, un cortège de 1 500 étudiants part de La Doua, rejoint les étudiants de Lettres et se dirige par la place Bellecour et la rue de la République vers la place des Terreaux, tout en lançant au passage des slogans hostiles au Progrès. À l'issue de cette journée, les enseignants de Sciences du SNE-Sup se solidarisent avec les étudiants. D’autres manifestations ont lieu le 9 mai et le 11 mai.
Les lycéens suivent le mouvement étudiant, et c’est le 13 mai que se produit l’action la plus spectaculaire : l’envahissement du lycée du Parc, où se déroulaient les épreuves du concours d’entrée à Polytechnique. Les lycéens rédigent des cahiers de doléances et revendiquent un desserrement de l’autorité des proviseurs. Lycéens et étudiants participent au cortège du 13 mai et rejoignent les ouvriers, prolongeant même la manifestation jusqu’à la Rhodiaceta. Jusqu’au 24 mai, les discussions enfiévrées se déroulent dans les Facultés occupées qui se couvrent de graffiti.

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La presse, l’ORTF, la radio
L’information joue un rôle fondamental au cours des mois de mai-juin 1968, car elle influe sur les réactions de l’opinion publique. À Lyon, la presse écrite concentre l’action des jeunes contestataires et des grévistes. Dès les premières manifestations étudiantes (le 9 mai en particulier), l’information diffusée par la presse régionale (Le Progrès) est mise en cause aux cris de « Journalistes menteurs ! » : photographies du jour arrachées, estafettes du journal renversées, les premières violences s’exercent contre la presse. La grève des ouvriers du Livre conduit à l’interruption de la presse régionale du 21 mai au 7 juin, ce qui accentue l’atmosphère pesante qui règne après la mort du commissaire Lacroix (24 mai). La CFDT (avec les étudiants de l’UNEF et le PSU) diffuse alors un quotidien tiré à 20 000 exemplaires – Le Journal du Rhône – devenu hebdomadaire du 8 au 27 juin ; il donne des nouvelles des quartiers lyonnais et, en particulier, des débats qui se déroulent dans les Maisons des Jeunes et de la Culture de l’agglomération. La CGT refuse d’y participer, ce qui divise la gauche. Une information parallèle circule par ailleurs avec les nombreux tracts et feuilles politiques des différents mouvements et partis.

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Des émeutes jusqu’à la mort du commissaire Lacroix
Le premier mort de Mai est lyonnais et du côté des forces de l’ordre : le commissaire René Lacroix, qui commandait les forces de l’ordre sur le pont Lafayette, est renversé par un camion chargé de pierres venu des rangs des manifestants. La soirée avait été assez violente entre construction de barricades (devant les halles des Cordeliers, devant les Galeries Lafayette et rue Vendôme) et charges des CRS. La violence des manifestations de rue n'est plus seulement parisienne. L'opinion lyonnaise bascule alors du côté de l'ordre et dépose des fleurs à l’endroit où est mort le commissaire. La tension monte dans la ville. Le Préfet invite les commerçants à baisser leurs rideaux après avoir fait effectuer des rafles dans le quartier de la Guillotière (où vivaient de nombreux Algériens) et des perquisitions dans les milieux étudiants. Le mardi 28 mai ont lieu les funérailles du commissaire. Un cortège composé de personnalités et de nombreux Lyonnais se rend de la préfecture à l'église Saint-Bonaventure, place des Cordeliers. Ce rassemblement sur la voie publique d'une population hostile au mouvement fut le premier à Lyon : ainsi se manifestait ce que l’on a nommé plus tard « la majorité silencieuse ».

 

 

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La manifestation gaulliste du 31 mai
Après le discours du Général de Gaulle annonçant des élections et après la grande manifestation parisienne à l’Arc de Triomphe de la veille, la manifestation lyonnaise rassemble le 31 mai, à l’appel du Comité d’Action civique du Rhône, 70 000 personnes qui défilent dans une forêt de drapeaux tricolores, de la place Bellecour en passant par la place des Terreaux jusqu’au pont Lafayette. Les slogans sont « Vive de Gaulle », « Mitterrand, c'est raté », « Waldeck à Moscou » (de Gaulle avait dénoncé le PCF comme parti totalitaire, et c’est son secrétaire général, Waldeck-Rochet, qui était conspué), « Cohn-Bendit à Pékin » ; on réclame la « Liberté du travail ». Du balcon de l'Hôtel de Ville, le maire, Louis Pradel, salue les manifestants. En tête du défilé, les députés UNR, ceints de leur écharpe tricolore, entourent le ministre et député du Rhône Louis Joxe. Au moment de la dispersion quelques centaines d'étudiants tentent de contre-manifester avec des drapeaux rouges. Des heurts se produisent et les drapeaux sont confisqués.

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Les Facultés prises d’assaut (nuit du 3 au 4 juin)
Début juin, la tension qui régnait à Lyon atteint aussi les Facultés. L'ensemble des examens avait été reporté, sauf en Droit. Au cours de la nuit du 3 au 4 juin, des étudiants d’extrême-gauche occupent les locaux de la Faculté de Droit (jusqu’à 13h) pour empêcher les étudiants d’accéder aux salles d’examens le lendemain. Des affrontements ont alors lieu entre les étudiants désireux de passer leurs examens et les occupants. Le doyen de la Faculté de Droit doit reporter les examens en septembre.
Le soir, des étudiants en Droit, aidés de membres du groupuscule d'extrême-droite Occident et des comités d'action civique, essayent d’occuper la Faculté de Lettres. Des barricades de défense avaient été dressées à l'aide de portes, de tables et de chaises. L'affrontement tourne à la bataille rangée avec pierres et cocktails Molotov ; mais les assaillants sont repoussés. Vers 21 heures, les forces de l'ordre interviennent pour séparer les combattants.
C’est alors que se produit le maximum des dégradations qui ont été constatées dans la Faculté malgré la vigilance des professeurs et de l’ensemble du personnel venus sauvegarder les moyens de travail, en particulier la bibliothèque. Sont mis en cause des « éléments troubles », « la pègre », selon les déclarations officielles, des « trimards », des jeunes qui occupaient la Faculté depuis le début des événements.

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Les grèves dans les usines de la région lyonnaise
Les grévistes de la Rhodiaceta en décembre 1967 avaient avancé des revendications et des modes d’action, repris ensuite en 1968 et au-delà : les OS avaient revendiqué la baisse des cadences – « des hommes pas des robots ». Des étudiants s’étaient joints aux ouvriers. En mai 68, la grève de la SNCF démarre le 16, du poste de triage de Givors-Badan, au sud de Lyon, en riposte au licenciement de deux jeunes intérimaires. Dès le 20 mai, les usines Berliet, Rhodiaceta, Richard-Continental, Brandt, Paris-Rhône sont occupées par les ouvriers. L’anagramme de LIBERTÉ surplombant la porte E de l’usine Berliet-Vénissieux est devenu emblématique du mouvement gréviste, en oubliant qu’il s’agissait d’une réminiscence de la Libération en 1944.
Les théâtres, les banques, les grands magasins sont occupés par leurs salariés.
Des incidents graves ont lieu début juin après le discours du Général de Gaulle : une déléguée CGT de l’usine Scandale de la Croix-Rousse a le bassin fracturé par la voiture du patron qui a forcé le piquet de grève ; grévistes et non grévistes de Berliet – des cadres essentiellement – s’affrontent devant l’usine de la rue Feuillat. La situation est tendue dans la métallurgie où la grève perdure jusqu’à la mi-juin.

Paris-Rhône
La Compagnie industrielle de Paris et du Rhône, future Paris-Rhône, naît en 1915 et devient le premier producteur français de démarreurs, dynamos, alternateurs et accessoires électriques. Dans les années 1950, le groupe s’intéresse à l’électroménager en devenant le premier producteur français d’aspirateurs, cireuses et moulins à café. A la fin de 1975, Paris-Rhône, seconde entreprise du Rhône, compte environ 3 800 salariés dont 1 500 femmes.

 

La Rhodiaceta
Fondée en 1922 par les Usines du Rhône, la société Rhodiaceta, spécialisée dans la filature d’acétate de cellulose et de polyamide (nylon), est répartie sur quatre lieux de production : au Péage-de-Roussillon (Isère), à Saint-Fons (Belle-Etoile), à Lyon-Vaise et à Besançon. En 1966, elle emploie au total 14 000 personnes dont 30% de femmes.
En février et mars 1967, par solidarité avec la Rhodiaceta de Besançon, les usines de la région lyonnaise se mettent en grève. Les manifestations se succèdent tout au long du mois de décembre.
Le 17 mai 1968, la Rhodia est occupée par les ouvriers qui ne reprendront le travail que le 11 juin.

Les usines de Villeurbanne
Partie le 17 mai de l’entreprise Richard-Continental à Villeurbanne (1 700 ouvriers), le mouvement de grève va progressivement s’étendre à de nombreuses entreprises de cette commune. Gendron, Delle, Gervais-Schindler, Gallet & Cie, etc. suivent ce mouvement.

Berliet
L’activité des usines Berliet de Vénissieux est suspendue une première fois en mars 1967. Les grèves de mai-juin 1968 dureront 6 semaines ; elles s’accompagnent de l’occupation de quelques sites par les ouvriers.

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Les théâtres
Pour les théâtres lyonnais, la chronologie nationale est décalée : le 13 mai est la date, prévue depuis longtemps, de l’inauguration du Théâtre du Huitième, et le 24 mai, celle de l’adoption d’un manifeste sur l’organisation du théâtre en France. Les États généraux de la Culture réunissent au Théâtre de la Cité de Villeurbanne, du 21 mai au 11 juin, autour de Roger Planchon et de Francis Jeanson, les directeurs des Centres dramatiques et des Maisons de la culture. Le « Manifeste de Villeurbanne », adopté le 24 mai, est un texte autocritique et de prise de conscience qui met au centre de la réflexion le concept du « non-public » – les exclus de la culture –, qui signale un déficit démocratique de l'action culturelle. La déclaration contient aussi une plate-forme revendicatrice et réformiste sur le statut des établissements culturels, qui doivent être dégagés de la double tutelle de l'État et des municipalités et qui demandent, classiquement, des moyens supplémentaires. À Villeurbanne, Roger Planchon organise, après le 1er juin, « le retour au réalisme » en proposant une négociation collective avec le ministère qui a lieu, avec André Malraux lui- même, le 22 juin : Planchon défend vigoureusement les intérêts de la profession contre les pouvoirs locaux.

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L’école des Beaux-Arts
Dès le 10 mai, l’école des Beaux-Arts est occupée par les étudiants de la section Architecture à laquelle se joignent dans la journée les autres sections. L’entrée des bâtiments est décorée de banderoles monumentales évoquant les revendications. Les plâtres antiques sont peints, comme ils l’étaient autrefois. Le comité de grève assure la gestion de l’école. Il met en place des commissions de réflexion sur l’art, l’architecture et la pédagogie. Est organisé un atelier reproduisant les affiches parisiennes, en inventant d’autres, notamment pour Berliet et Rhône-Poulenc. Sont invités des artistes contemporains, lesquels n’avaient jamais été reçus par l’école. Une AG permanente siège dans l’amphithéâtre où des architectes de la France entière viennent fonder l’association pour la Démocratisation de l’architecture et de l’urbanisme. L’école des Beaux-Arts est la première occupée par les CRS. Les étudiants architectes du comité de grève suivis par le directeur de la section Architecture se retrouvent en un lieu secret pour continuer la réflexion et préparer la fondation de la nouvelle école d’architecture. Jacques Rey, architecte.

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La reprise
La reprise s’est faite avec difficulté dans un certain nombre d’entreprises. Les conflits et incidents entre grévistes et non-grévistes se multiplient en juin. Aux usines Berliet, le 7 juin, les négociations sont rompues sur décision de la direction. Cependant, à la Rhodiaceta, les ouvriers reprennent le travail le 10 juin, date du début de la campagne électorale pour les législatives. Les travailleurs ont obtenu des augmentations significatives et le paiement à 50% des jours de grève ; les syndicats bénéficient d’un réel statut au sein de l'entreprise, avec des heures attribuées aux délégués syndicaux et un statut protégé. C’est seulement le 19 juin que les ouvriers de Berliet, fortement divisés, votent à une courte majorité la reprise.

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La petite bibliothèque du militant
Guy Fossat a été étudiant à Lyon de 1963 à 1968, d'abord en classe prépa à la Martinière, puis à la fac des lettres en IPES (Histoire-Géographie). Pendant toute cette période, il n'a pas cessé de militer à l'UNEF, soit comme membre de différentes commissions, soit comme membre du Bureau de l'AGEL (au début sur les questions sociales, ensuite sur les relations internationales). En octobre 2007, il a fait don à la Bibliothèque de documents collectés durant sa vie militante. Les documents montrés dans l'une des vitrines de cette exposition proviennent en partie de ce don.

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Site de la Ville de LyonSite de la Bibliothèque municipale de Lyon