La collection jésuite des Fontaines

La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.

Blaise Pascal (1623-1662), Port-Royal et les jésuites

juillet-août 2023

La bibliothèque jésuite des Fontaines interroge la pensée théologique et philosophique de Blaise Pascal au travers d’une documentation diversifiée courant du 17e au 20e siècle.

La Compagnie de Jésus a très rapidement constitué des bibliothèques de travail pour que les collèges soient pourvus de tous les livres nécessaires à la formation des jésuites. Ignace de Loyola lui-même tenait à ce que soient aussi étudiés les textes considérés comme controversés ainsi que les autres religions. Les ouvrages de théologie protestante (Luther, Calvin) ainsi que ceux de théologie anglicane ou orthodoxe, ceux sur le jansénisme ou l’histoire des religions sont donc particulièrement présents au sein de la collection jésuite des Fontaines.

Mathématicien et philosophe
Blaise Pascal, mathématicien et philosophe du XVIIe siècle, dont on fête cette année le quatrième centenaire de sa naissance, consacre la première partie de sa vie aux sciences, notamment les mathématiques.

la Pascaline
David Monniaux ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arts_et_Metiers_Pascaline_dsc03869.jpg

Précurseur et prodige, il développe la théorie des probabilités et met au point la machine à calculer, la Pascaline, qui permet de réaliser les opérations de calcul mathématique de base (addition, soustraction, multiplication et division).
Il s’intéresse également à la physique et plus particulièrement à la mécanique des fluides.

Récit de la grande Expérience de l’Equilibre des Liqueurs. Rés 367376

Il décrit le phénomène de pression atmosphérique à partir de l’expérience de Torricelli (1646). A ce sujet, on lui doit la mesure de la pression (l’unité de mesure internationale utilisée en métrologie se nomme le pascal).
Pour plus d’informations sur l’expérience du Puy-de-Dôme.
Mais Pascal est aussi un homme de son époque, il converse avec les esprits illustres de son siècle : Descartes, Mersenne, Fermat. Avec ce dernier, il va entretenir une correspondance dans laquelle transparaît la grande estime dans laquelle les deux scientifiques se tiennent mutuellement.
Soucieux des problématiques de son temps, il invente le carrosse à cinq sols, embryon de nos transports en commun. L’entreprise est un succès et rend abordable au peuple les déplacements dans Paris.

Les carrosses à cinq sols, ou les omnibus du dix-septième siècle. Rés 361486

Le jansénisme et Port-Royal

A la lecture du discours de la reformation de l’homme interieur de Cornelius Jansenius, enthousiasmé par la théorie augustinienne développée par l’auteur, la réflexion de Pascal prend une nouvelle orientation. Cornelius Jansenius, évêque d’Ypres, à l’origine du mouvement janséniste, développe dans son œuvre Augustinus l’idée reprise à Saint Augustin selon laquelle pour obtenir le salut de l’âme, la grâce s’oppose à la liberté humaine. Port-Royal devient le point de ralliement des jansénistes : Antoine Arnauld, Blaise Pascal, Pierre Nicole, Claude Lancelot et Lemaistre de Sacy s’y retrouvent pour débattre. Enfin, la sœur de Pascal, Jacqueline, entre au couvent de Port-Royal en 1652.

Considérations sur la dévotion à la sainte Epine. SJ S 051/120, 3

Les jansénistes reprochent aux jésuites et aux casuistes leur rôle politique auprès des cours royales européennes et du Saint-Siège. Le mouvement janséniste naît au moment de la Contre-Réforme et du concile de Trente, en réaction à l’évolution de l’Église catholique. Très rapidement les jansénistes sont considérés comme des ennemis de la monarchie et sont persécutés par le pouvoir royal.
Pascal dispute au jésuite les arguments d’hérésie. Mais dans cette controverse théologique, ce qui se fait jour, c’est l’exercice de l’autorité de l’Église [1]. Blaise Pascal critique la scolastique, qui a déformé la pensée de saint Augustin. C’est un trait saillant du jansénisme qui appelle à rétablir la pensée vraie de la grâce telle qu’établie par Saint Augustin.

Les Provinciales

Les Provinciales / Blaise Pascal (SJ AR 1/122)

Blaise Pascal écrit les Provinciales dans ce contexte historique de conflit idéologique et religieux, en soutien à Antoine Arnauld, qui s’insurge contre « la décision du vicaire de Saint-Sulpice de refuser l’absolution à l’un des plus hauts personnages du royaume, le duc de Liancourt, sous prétexte qu’il est lié à Port-Royal » [2]. Usant de son esprit brillant et de sa grande intelligence, les jansénistes le choisissent pour fer de lance.

Les Provinciales / Blaise Pascal (SJ AR 1/122)

Dans ces lettres pamphlétaires, Blaise Pascal critique les jésuites avec humour et une verve qui influenceront des penseurs tels que Voltaire ou Montesquieu. Surtout, Blaise Pascal, alias Louis de Montalte, a recours à une écriture transparente et a un vocabulaire abordable par tout un chacun. Il touche ainsi toutes les classes de la société du XVIIe siècle et pas seulement les lettrés. La réception des premières lettres obtient un succès retentissant. L’ouvrage fait scandale, le roi Louis XIV et le pape Alexandre VII condamnent le texte.

Les Pensées
Les Pensées sont publiées à titre posthume. Le recueil est le résultat d’un travail d’assemblage des papiers épars de Pascal, trouvés après sa mort.

Les Pensées / Blaise Pascal (SJ AR 3/17)

Ce qui frappe au premier abord, c’est le caractère novateur du texte, ainsi que l’absence d’héritage intellectuel, hormis la référence à la lecture de Montaigne. Les idées fondamentales représentées dans cette œuvre sont le doute et la fragilité de la vie, la pensée inquiète en raison de l’ambivalence de la condition humaine, ainsi que la notion de pari. Tout comme les Provinciales, les Pensées sont rédigées dans une langue simple et émettent des idées de manière perçante. L’ouvrage sera censuré pendant longtemps et réédité de nombreuses fois sous différentes formes car la pensée théologique de Pascal fait appel au doute, notion jugée dangereuse par les théologiens, et même par ses amis les plus proches, qui craignent une interprétation incorrecte.

Les Pensées / Blaise Pascal (SJ AR 3/17)

Pascal y développe sa réflexion sur la fragile condition humaine (le roseau pensant) marquée par une dualité (misère/grandeur) et sur l’importance du croire (notion de pari). Pascal distingue le moi égocentrique et livré au divertissement d’avec le moi comme siège de la pensée critique. Pour lui, le moi est haïssable. Seul le cœur, faculté de sentir dans une immédiateté irréconciliable avec la raison, est le moyen pour l’homme de résoudre le problème métaphysique de la dualité de la condition humaine.

Enfin, à l’heure où nous écrivons ce billet, le pape François vient de rendre publique le 19 juin 2023 la lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis en l’honneur de Blaise Pascal, dans laquelle il rend hommage à la ferveur du croyant, sa quête de vérité par la raison et de bonheur par la foi catholique ; et estime, par l’analyse qu’il fait de la position janséniste de Pascal, que cette posture est en partie imputable au contexte historique et au conflit avec l’esprit des jésuites molinistes.

Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire chargée de la collection jésuite des Fontaines

Bibliographie :

  • Blaise Pascal. Les Provinciales. Cologne, 1657.
  • Blaise Pascal. Les Pensées. Paris, 1670.