La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
Des comètes plein les yeux !
"À peine avait-il fini de parler que, en pleine séance du sénat, la généreuse Vénus se présenta, à l’insu de tout le monde, arracha de son corps l’âme de son cher César, l’empêcha de se dissoudre dans l’air, et l’amena parmi les astres du ciel. En la portant, elle sentit l’âme s’illuminer et s’embraser ; elle la laissa s’échapper de son sein. L’âme s’envole plus haut que la Lune et, traînant à travers l’espace sa chevelure enflammée, elle devient un astre scintillant." Métamorphoses d’Ovide (15, 843)
- Métamorphoses d’Ovide
- collection des Fontaines SJ X 374/18
La description que fait Ovide de la mort de César, l’évocation de la comète, à la fois fantastique et inquiétante, nous invite à explorer ce phénomène sous l’angle scientifique, historique et religieux.
Les comètes, à différencier des météorites, sont des corps de l’ordre de quelques kilomètres de diamètre, constitués de glace et de poussières de roches. Leur course est elliptique, régulière, ce qui permet de prévoir leur passage à proximité du Soleil. A son approche, les comètes, sous l’action de la chaleur, fondent. On dit qu’elles se subliment (terme utilisé en physique pour décrire le passage d’un objet de l’état solide à l’état gazeux directement, sans le passage à l’état liquide). C’est cette brusque modification qui produit la chevelure de la comète. Comment ce phénomène a-t-il été perçu, compris, analysé, interprété au cours des siècles ? Quel rôle a-t-il joué dans l’histoire et au sein même des religions ?
Nous verrons comment sont perçues et analysées ces apparitions au cours des siècles, entre connaissances savantes et superstitions populaires. Les comètes ont été, au travers des siècles et des civilisations, tantôt perçues comme des phénomènes annonciateurs positifs, tantôt comme des signes messagers de catastrophes.
Ce traitement de la question des comètes renvoie à la distinction poreuse entre astronomie et astrologie pendant des siècles. L’astronomie est la science la plus ancienne du savoir humain. La frontière qui sépare astronomie et astrologie a longtemps été floue, les astrologues jouant sur le tableau de la science pour attirer l’intérêt des curieux, puissants et simples gens, sur la destinée humaine régie par le mouvement des astres. Mais les astronomes ont toujours rejeté les « prognostications » astrologiques pour s’appuyer sur les sciences dites exactes (mathématiques, physique) et l’instrumentation pour vérifier les hypothèses et l’observation rigoureuse des faits scientifiques. Ainsi les comètes, par la régularité de leur apparition, ont-elles très tôt suscité la curiosité et l’attention des astronomes.
Il convient pour commencer ce propos de brosser brièvement le portrait de l’astronomie, afin de situer l’étude des comètes dans cette science faisant appel à la fois à la physique et aux mathématiques.
Quelques repères historiques
Si les premières observations documentées de la voute céleste remontent aux civilisations du croissant fertile, Aristote est considéré comme le père de l’astronomie et c’est précisément sa conception du Monde qui va dominer les sciences pendant presque deux millénaires. La remise en cause de ce système devra attendre, en Europe, la Renaissance avec l’émergence de la théorie copernicienne puis Galilée et Kepler, Tycho Brahe et Newton. On parle alors de révolution scientifique, passant d’un système géocentrique développé par Ptolémée au 2e siècle après Jésus Christ au modèle héliocentrique. Les objets célestes sont décrits avec plus de précision grâce à l’invention de lunettes astronomiques, téléscopes et d’instruments de précision.
L’astronomie arabe a joué un grand rôle dans l’émergence de l’astronomie. Deux écoles ont notamment joué un rôle prépondérant dans la remise en cause du système ptolémaïque ; il s’agit de l’école andalouse et de l’école de Maragha en Iran. Leurs études vont principalement consisté à développer une science basée sur l’observation et sur des modèles mathématiques rigoureux, remettant largement en cause le système développé par Ptolémée.
- Almageste / Ptolémée
- 102934
On peut citer Ibn al-Haytham (Alhazen), Al-Zarqalluh (Arzaquel) ou encore Al Bidrudschi (Alpetragius), ce dernier proposant par exemple un système alternatif aux théories aristotéliciennes et ptolémaïques du modèle géocentrique, avec notamment une mise à jour de la théorie des sphères homocentriques et la théorie du mouvement spiral des planètes, cette dernière faisant entrer l’astronomie de plein pied dans son ère moderne. Son ouvrage principal, qui aura un retentissement général sur l’astronomie en Europe jusqu’au XVIe siècle s’intitule De motibus celorum. Un exemplaire, traduit et imprimé à Venise en 1531, est conservé à la BmL, dans les collections anciennes générales.
L’école de Maragha a approfondi la thèse de la rotation de la Terre et travaillé sur le calcul des trajectoires de Mercure, Saturne et la Lune. Certains historiens y voient là une influence sur la pensée de Copernic, qui reste à prouver. Ces quelques exemples illustrent l’intense activité scientifique dans le monde arabo-musulman et rappellent la place centrale que les astronomes arabes ont occupée durant le Moyen-Age et jusqu’à la Renaissance.
C’est avec ce double héritage que les astronomes européens ont bâti leur cosmologie et introduit nombre de concepts développés par leurs prédécesseurs arabes, ce qui implique une importante traduction et circulation des textes fondateurs.
En Europe, Nicolas Copernic (1473-1543) est le premier à proposer un système héliocentrique avec son œuvre De revolutionibus orbium coelestium (1543), largement repris des écrits de l’école de Maragha et de la pensée d’Aristarque de Samos, astronome grec du IIIe siècle avant JC déjà partisan de l’héliocentrisme. On voit que cette révolution scientifique ne s’est pas faite brusquement mais qu’elle a plutôt été portée par plusieurs siècles d’intenses recherches mathématiques et physiques pour tenter d’expliquer les phénomènes célestes. L’Eglise n’accepte pas cette remise en question du modèle géocentrique développé par Ptolémée. Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que le Pape valide cette thèse. On conçoit aisément le changement de paradigme que cette révolution scientifique introduit dans la vision théologique : la Terre n’est plus le centre de l’Univers conçu par Dieu créateur de toutes choses mais une planète d’un système parmi d’autres. De centrale, elle devient partie. Galilée et Kepler vont amender et affiner le modèle copernicien, notamment avec les orbites elliptiques des planètes autour du Soleil. Newton prouvera ce modèle avec ses lois de la gravitation et des mouvements des corps, composantes essentielles de la mécanique newtonienne.
Mais dans ce vaste ensemble que représente l’étude astronomique, quelle place est faite à l’observation et à la compréhension des comètes ?
Visible à l’œil nu, la comète est un phénomène céleste qui fascine autant qu’il fait peur. Revenons à Aristote, pour qui les comètes sont un simple phénomène atmosphérique lié à l’activité terrestre. Une sorte de gaz qui remonterait jusqu’à l’espace lunaire pour se consumer. Cette opinion fera loi jusqu’à la Renaissance. Tycho Brahe, astronome danois du XVIe siècle, joue un rôle déterminant dans l’exploration des comètes. Par une observation rigoureuse et une analyse détaillée de la trajectoire de la comète de 1577, il rejette la théorie aristotélicienne qui fait des comètes de simples phénomènes atmosphériques imprévisibles de l’espace sub-lunaire et les définit comme des corps célestes.
Ce qui distingue Tycho Brahe des scientifiques jusque-là, c’est sa méthode expérimentale qui place l’observation au cœur de l’étude. Il est le premier à accorder une importance primordiale au recueil des phénomènes, et notamment au passage des comètes. Les jésuites soutiendront longtemps sa conception géo-héliocentrique qui conjugue à la fois le système héliocentrique et la place centrale de la Terre, permettant de justifier les écrits de la Bible et confortant les préjugés religieux. Johannes Kepler, dans le creuset scientifique du XVIIe siècle, contribue à poser les fondements de l’astrophysique par ses lois expérimentales décrivant les orbites elliptiques des planètes du système solaire, grâce aux observations recueillies de Tycho Brahe.
- Johannis Hevelii Descriptio cometae anno aere christ. M.DC.LXV
- Rés 22845(5)
Au XVIIe siècle, un savant polonais, Hevelius, va largement développer le répertoire des comètes (il découvre quatre comètes entre 1652 et 1677) et contribuer à une meilleure définition de la trajectoire des comètes (cf 22845(5). On trouve dans le fonds patrimonial de la BmL l’œuvre d’un astronome polonais contemporain d’Hevelius, Stanislaw Lubieniecki (1623-1675), le Theatrum Cometicum, qui a répertorié le passage de 415 comètes depuis l’époque biblique jusqu’en 1665.
- Stanislai de lubienietz lubieniecii rolitsii theatrum cometicum duabus
- 107509
Cet ouvrage intéresse les historiens des sciences car il transmet des informations importantes sur les pratiques d’observations, les rapports détaillés des observateurs de comètes. L’anthologie a ainsi réuni pas moins de 40 rapports de la comète de 1664-1665. A la fin de sa vie, Hevelius va rencontrer Edmund Halley, le futur découvreur de la comète qui porte son nom (dont le nom officiel est 1P/Halley), dont on verra plus loin l’influence essentielle qu’il va porter dans l’étude des comètes.
Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que les superstitions cèdent la place. Au milieu du XVIIIe siècle, Edmund Halley est le premier à formaliser le calcul de la trajectoire de la comète et à rassembler les différentes observations faites au cours des siècles concernant son passage à proximité du Soleil.
- Théorie du mouvement des comètes / Clairaut
- 395038
Contemporain de Halley, le mathématicien français Alexis Claude Clairaut publie le résultat de ses travaux dans un ouvrage intitulé Théorie du mouvement des comètes, dont un exemplaire est conservé dans le fonds patrimonial. Remarquable mathématicien, il calcule notamment le point le plus proche du Soleil de la trajectoire de la comète de Halley. Par la suite, les astronomes vont approfondir l’étude des comètes.
- Encyclopédie / Diderot et d’Alembert
- collection des Fontaines SJ BD 710/3
On trouve dans l’article Comète de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert un état des lieux de la connaissance des comètes en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, ainsi que les diverses théories qui ont eu cours à ce sujet.
Science et superstitions
Mais si les découvreurs de comètes attirent toujours davantage de public dès le XVIIe siècle, les connaissances de ce phénomène céleste restent toujours balbutiantes. En témoigne le journal des scavans, publication périodique imprimée à partir de 1665 en France, qui dans son premier numéro renferme un précieux témoignage du questionnement scientifique sur la structure des comètes.
- Journal des scavans T1 (1665)
- collection des Fontaines SJ Z 453
Premier journal scientifique et littéraire en Europe, la publication affiche une volonté de diffusion des idées et de communication entre les intellectuels de l’époque. Ce qui est remarquable dans l’article reproduit partiellement ici est la transcription rigoureuse du débat sur la question des comètes.
- Journal des scavans T1 (1665)
- Collection des Fontaines SJ Z 453
Les idées sur la nature des comètes semblent encore confuses et liées aux préjugés véhiculés depuis l’Antiquité. Il est intéressant de mettre en perspective ce mouvement de recherche scientifique à la volonté de Louis XIV de s’afficher comme le Roi-Soleil et ainsi assoir la monarchie absolue sur une image liée à l’astronomie. [1]
Mais si les savants tentent de comprendre l’origine de ces phénomènes inexplicables, la croyance en une justice divine qui se manifesterait par le moyen des comètes pour rappeler l’omniscience de Dieu face aux turpitudes de l’âme humaine est largement répandue.
- Les prédictions des signes... M. Provençal
- Collection des Fontaines SJ IF 233/92, 5
On en trouve un témoignage dans le recueil Les prédictions des signes et prodiges qu’on a veu ceste presente annee 1618. Ensemble la comète cheveluë qui s’est veuë depuis le mois de Novembre 1618. Sur ce florissant Royaume de France. Descrites par le M. Provençal Il y est dit que la comète aperçue en 1618 dans le ciel de France est un présage de malheurs à ceux qui n’observent pas la religion. L’auteur, un certain M. Provençal, liste les apparitions de comètes pour prouver que leur présence s’ensuit de catastrophes pour l’Eglise : les Albigeois, les musulmans, les protestants…
- Les prédictions des signes par M. Provençal
- Collection des Fontaines SJ IF 233/92, 5
On trouve de même dans l’ouvrage de Auger Ferrier un aperçu des considérations fantaisistes sur l’influence des planètes dans le cours des vies. Ce petit opuscule se rapproche par le contenu de l’astrologie judiciaire professée par Auger Ferrier, médecin astrologue de la reine Catherine de Médicis. Dans son ouvrage intitulé Jugements astronomiques sur les nativités, publié à Lyon en 1550, il avance son opinion concernant les cataclysmes naturels comme étant l’œuvre de la justice divine. Contrairement à l’astrologie judiciaire très controversée et combattue par l’Eglise, la religion tolère l’astrométéorologie, autrement dit la météorologie par l’observation des astres, car cette dernière est considérée comme un élément des sciences naturelles au XVIIe siècle et les implications pratiques n’interfèrent pas avec la croyance religieuse.
- Poème sur la grande peste de 1348 / Olivier de la Haye
- collection des Fontaines SJ B 144/1
Longtemps les comètes ont été perçues par les populations comme des phénomènes annonciateurs de catastrophes, telles la peste. Le poème français sur la peste noire de 1348 rédigé par un clerc, Olivier de la Haye, au XVe siècle et dont la BmL conserve le manuscrit, relate l’épidémie de peste bubonique qui ravagea l’Europe au XIVe siècle. Cet événement hors du commun marqua profondément les esprits. Les invocations de causes surnaturelles telles que l’apparition d’une comète dans le ciel, peu de temps avant la catastrophe, sont avancées, pour tenter d’expliquer l’ampleur du phénomène.
De même, on se souvient d’Antoine Mizauld, pour l’avoir rencontré dans un précédent billet sur les almanachs. Ce médecin du XVIe siècle proche d’Oronce Fine est un partisan de l’astrométéorologie. Dans son ouvrage Artis divinatricis, quam astrologiam seu judiciariam vocant, Mizauld établit un catalogue des comètes, dont on trouve ici un aperçu.
- Artis divinatricis, quam astrologiam seu judiciariam vocant
- Collection des Fontaines SJ R 322/4
Il y a dans l’astrologie l’idée que le destin de l’humanité est lié au mouvement des étoiles, que les sages et devins peuvent lire les phénomènes célestes pour en interpréter les messages. Par le caractère imprévisible, soudain, les apparitions de comètes occasionnent des lectures souvent catastrophistes. Il n’y a qu’un pas à faire pour relier le passage d’une comète à la fin du monde ou aux croyances millénaristes. Ainsi l’Apocalypse véhicule cette idée d’une fin proche de l’humanité, annoncée par des bouleversements et catastrophes naturelles (tremblements de terre, vents terribles, inondations, étoiles filantes). On trouve ici une explication paradoxale de ces phénomènes, annonciateurs de cataclysmes à la fois comme châtiment divin (Jugement dernier) et comme signe de la Jérusalem céleste pour les élus. Ainsi au Moyen Age, Sigebert de Gembloux annonce que le passage d’une comète signera la fin du monde.
Il existe cependant une exception à cette vision terrible de la comète dans l’histoire. En effet, le peintre italien Giotto, dans son oeuvre l’Adoration des mages, a représenté le passage d’une comète flamboyante dans le ciel au-dessus de la crèche, comme pour accompagner le voyage des Rois Mages jusqu’au berceau de l’enfant Jésus. Clin d’oeil des scientifiques, qui ont permis, avec le calcul de la course de la comète de Halley, de valider le passage de la comète en 1301. Giotto s’est donc peut-être inspiré de cette expérience pour sa fresque.
Mais laissons la parole au poète pour témoigner de cette expérience qu’est l’apparition d’une comète dans le ciel. Impénétrable pour Victor Hugo qui voit dans la comète un phénomène surpassant l’homme ; trop vaste pour être comprise par l’homme, venant de trop loin, mystérieuse et fulgurante, elle est pour le poète l’indicible.
"Et soudain, comme un spectre entre en une maison,
Apparut, par-dessus le farouche horizon,
Une flamme emplissant des millions de lieues,
Monstrueuse lueur des immensités bleues,
Splendide au fond du ciel brusquement éclairci ;
Et l’astre effrayant dit aux hommes : Me voici !"
(in La légende des siècles)
Billet rédigé par Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire responsable de la collection jésuite des Fontaines à la BmL
novembre-décembre 2024
Ouvrages exposés
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. A Paris ; Neufchastel ; Amsterdam, 1751-1780 (SJ BD 710/3)
Métamorphoses d’Ovide. A Paris chez Michel David, 1701 (SJ X 374/18)
Olivier de la Haye. Poème de la grande peste de 1348. Lyon, Henri Georg, 1888 (SJ B 144/1)
Victor Hugo, La légende des siècles. Paris : Librairie du Victor Hugo illustré, 1800 (SJ B 579/3)