La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
L’almanach, un objet culturel
En ce début d’année 2024, quoi de plus évident que d’aborder un genre textuel, courant dans la collection jésuite des Fontaines, qui traite du temps d’une manière à la fois précise – l’année civile – et générale – le temps qui passe ?
On trouve des almanachs dans plusieurs sections de la collection des Fontaines, en histoire de France, littérature, religion ou politique.
L’almanach est un genre littéraire et éditorial populaire qui est apparu en Europe au 15e siècle et qui s’est rapidement propagé avec la révolution technique de l’imprimerie. Publié tous les ans, il se compose de plusieurs rubriques distinctes, dont nous verrons la composition plus loin.
Il est généralement le seul texte imprimé aux côtés de la Bible et des ouvrages pieux au sein des foyers, jusqu’à l’époque contemporaine. L’almanach se caractérise par son contenu singulier, ayant vocation à rassembler les grandes étapes de l’année civile et/ou religieuse, afin d’instruire le lecteur de manière simple et concise.
D’un point de vue matériel, comme on le découvre dans la composition des ouvrages exposés en vitrine, l’almanach est un objet généralement de petite taille, entre le format in-12 et in-32. Opuscule d’abord utile, il se doit d’être facile à glisser dans une poche et aisément diffusé.
Par son contenu à la fois au plus près des préoccupations de la population et matériau à la production foisonnante et diverse, l’almanach recouvre, au travers des siècles, des domaines hétérogènes, afin de toucher toutes les couches sociales.
Le temps qui passe
La table des matières nous en apprend davantage. Il y est question du temps sous toutes ses formes, passé, présent et avenir : calendrier et conseils en agriculture avec les saisons, proverbes et sentences, agenda des événements locaux (foires, marchés, fêtes, assemblées) et prophéties astrologiques (notre horoscope) constituent le fascicule.
Les premiers almanachs étaient à destination du monde rural, comme le rappellent les titres du Calendrier des bergers et de l’Almanach du bon laboureur. Ils renferment les informations essentielles pour bien (se) conduire et les connaissances à avoir. Vecteur de savoirs, faisant office de manuel d’éducation populaire, l’almanach est un outil majeur aux mains de la population. Ce type de document fait également le lien entre les instruits et les non lettrés, en véhiculant entre eux un fil conducteur, celui de la sagesse naturelle ou du bon sens. Il reconnaît à cette instruction qui vient de l’observation de la nature une réflexion ancestrale et familière, nécessaire pour qui travaille aux champs, ce qui occupe une majeure partie de la population jusqu’au 18e siècle.
- Almanach années 1761 ; (suivi de) l’almanach des bergers / Mathieu Laensberg, 1761
Almanach et colportage
Ce type de littérature populaire est associé au colportage, métier ambulant qui est le véhicule principal de l’information entre les villes et l’espace rural dans les sociétés traditionnelles.
Marchands ambulants et almanachs se complètent dans la diffusion de l’information. Bon marché et diffusé à un tirage considérable, l’almanach témoigne de pratiques culturelles et sociales qui passent principalement par la communication orale ou semi-orale, à une époque où l’analphabétisme est une norme sociale. Les centres urbains (hormis les classes défavorisées) constituent les foyers de lecture majoritaires, tandis que les zones rurales sont faiblement instruites. Il n’est pas nécessairement besoin de savoir lire couramment pour déchiffrer les informations essentielles, en s’appuyant sur les images et illustrations qui ornent la brochure. Des hypothèses de l’usage des almanachs dans une France illettrée au XVIIe siècle supposent la lecture à la veillée dans le cercle familial ou par un membre de la paroisse à un auditoire plus large, au sein de la communauté du village. Une autre hypothèse imagine que les nombreuses illustrations qui émaillent ces publications permettaient un niveau de compréhension suffisant par un lectorat populaire, peu ou pas instruit à la lecture [1] .
Almanach, phénomène social et politique
- Etrennes lyriques, anacréontiques, pour l’année 1784, A Paris Chez l’Auteur, 1784
Cependant, l’almanach n’est pas l’apanage des classes sociales populaires. On en trouve des exemplaires richement illustrés et reliés dans les demeures aristocratiques et bourgeoises. L’intérêt pour ce genre littéraire va bien au-delà de l’objet premier qui a présidé à sa création. L’almanach est également un objet d’information pour le pouvoir politique en place.
- Répertoire ou Almanach historique de la Révolution française. Depuis l’ouverture de la première assemblée des notables, le 22 février 1787, jusqu’au premier vendémiaire, an Ve. (22 septembre, 1796
On trouve des almanachs royaux, qui informent sur la vie à la Cour, des almanachs parisiens, qui illustrent la vie foisonnante de la capitale, des almanachs révolutionnaires, qui décrivent les soubresauts de l’histoire.
Véritables annuaires, ces documents occupent une fonction essentielle au sein même de la noblesse et de la cour. Reconnaissance officielle et vitrine de la structuration de l’aristocratie française, ces éditions donnent à voir la hiérarchie imposée par Louis XIV à Versailles à partir de la fin du 17e siècle. Bien mieux, ces éditions annuelles permettent à toute une partie de la population, noblesse, bourgeoisie, marchands et administrateurs de situer à qui ils ont affaire dans leurs échanges.
- Indicateur de la cour de France : année 1818
Ils permettent en outre au pouvoir royal de valider et contrôler les informations qui circulent. On peut ainsi prendre pour exemple la référence à un trésorier des grains au compte du Roi, dans l’almanach publié en 1774. Cette information va donner lieu à une rumeur de monopole détenu par le gouvernement, pour fixer le prix du blé, alors même que cette denrée de base dans l’alimentation subissait à cette époque une envolée de prix difficile à tenir pour une grande partie de la population. Le libraire sera condamné à fermer boutique et à réimprimer une édition corrigée. Enfin, ce sont de fragiles et précieux témoins de l’histoire de France et sont, à cet égard, des sources inestimables pour les chercheurs.
À partir du 18e siècle, le modèle universel de l’almanach s’enrichit de nouveaux types de livret. On se dirige alors vers une spécialisation des contenus et voit apparaître les almanachs parisiens, les étrennes, autant de fascicules qui répondent à des besoins différents.
L’almanach, un art du pastiche
- Almanach des girouettes ou nomenclature d’une grande quantité de personnages marquans dont la versatilité d’opinions donne droit à l’ordre de la girouette.
L’almanach, outre sa fonction d’information et de manuel de savoir-vivre, possède également une dimension culturelle de divertissement. Les fables, contes, nouvelles, pastiches émaillent les almanachs dès le début. Également volontiers subversif, les propos tenus égratignent le pouvoir en place, sous la forme de pamphlet ou de satire. Cette dimension est d’autant plus essentielle que l’almanach, comme on l’a écrit précédemment, est un support de communication écrite largement diffusé. Ses fonctions d’information et d’accès à la connaissance révèlent une dimension et une mission d’éducation populaire qui donnent une idée de l’enjeu qu’il revêt auprès des forces sociales, politiques et intellectuelles en présence. Cependant, il existe une tension et une apparente contradiction entre la mission de vérité qui fait partie des présupposés de l’almanach et le contenu même du savoir qui est transmis. Rabelais, déjà au 16e siècle, s’attaque à la crédulité et aux fausses vérités – on dirait fake news aujourd’hui - qui sont véhiculées par les almanachs, principalement dans les sections sur l’astrologie et les faits divers notables. Il ne se prive pas de railler les prétendues vérités transmises par l’horoscope, preuve en est sa Pantagrueline prognostication.
L’occasion aussi pour certains de dénoncer la manipulation et la fabrication du consentement dont profite astucieusement le pouvoir, qu’il soit politique ou religieux. Aussi trouve-t-on régulièrement dans ces pages des propos émancipateurs, provocateurs, ayant pour but de susciter la remise en question et le pouvoir du libre arbitre. On le voit ici, loin d’être un objet anodin et banal, l’almanach peut recouvrir une dimension libératrice. Dans l’almanach des girouettes, ici présenté, publié en 1815, le propos illustre les critiques de l’inconstance des personnages politiques de la décennie révolutionnaire au lendemain de la seconde Restauration. Au travers de ce petit volume se font jour les choix opportunistes, les compromis et les figures de transfuges à l’œuvre pendant la période révolutionnaire, l’Empire et la Restauration.
- Almanach des gens d’esprit, par un homme qui n’est pas sot. Calendrier pour l’année 1762 & le reste de la vie : publié par l’auteur du Colporteur
On trouve, de même, dans l’almanach des gens d’esprit, publié à Londres en 1762 par Chevrier, des anecdotes acérées sur le milieu intellectuel au milieu du 18e siècle. Il ne compte que 2 années de publication, car il est saisi dès sa diffusion, en 1762. Ces exemples font écho à la presse satirique qui prendra son essor au 19e siècle.
À travers cette brève présentation de documents, la diversité et l’ingéniosité des almanachs apparaissent dans toute leur évidence. Objet de transmission du savoir et de l’information, témoin de siècles de vie rurale et urbaine en France, véritable corpus sur l’histoire sociale, culturelle et intellectuelle, l’almanach aux multiples facettes est une source abondante digne d’intérêt pour un large public, du particulier curieux de la société dans le temps long aussi bien qu’au chercheur, en passant par l’étudiant en histoire du livre ou en civilisation.
Ouvrages exposés :
- Almanach des girouettes, Paris : Chez l’écrivain, 1815 (cote SJ IF 432/202)
- Almanach parisien, en faveur des étrangers et des voyageurs, A Paris, chez la veuve Duchesne, 1790 (cote SJ AD 154/117)
- Almanach pour cette année bissextile M D CC LXXXVIII, Liège : Chez la veuve S. Bourguignon, [1788] (cote SJ IF 116/212)
- Almanach royal, année commune M. DCC .LXXXX, A Paris chez la veuve D’Houry & Debure, 1789 (cote SJ IF 116/290b)
- Calendrier de la Cour pour l’année 1821, Paris : Pélicier, 1821 (cote SJ IF 116/321b)
- Etrennes lyriques, anacréontiques, pour l’année 1784, A Paris Chez l’Auteur, 1784 (cote SJ B 864/49)
- Le grant kalendrier [et] co[m]post des bergiers auecq leur astrologie, et plusieurs aultres choses, Paris, Payot, 1925 (cote SJ B 207/1)
- Répertoire ou Almanach historique de la Révolution française, A Paris chez Lefort chez Moutardier, 1796 (cote SJ IF 317/20)
Bibliographie :
BOLLEME Geneviève, Les almanachs populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles, Essai
d’histoire sociale, Paris, Mouton & Co, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1969 (cote BmL, FA spé 01 B et SJ BC 483/11)
GRAND-CARTERET John, Les Almanachs Français, Bibliographies –
Iconographies, 1600-1895, Slatkine Reprints, Genève, 1968. (cote BmL, FA spé 01 B et SJ O 337/5)
SARRAZIN-CANI Véronique, "Formes et usages du calendrier dans les almanachs parisiens au XVIIIe siècle", Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 157-2, 1999, [en ligne], https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1999_num_157_2_450986, page consultée le 17/01/2024.
[1] Les almanachs populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles [Livre] : essai d’histoire sociale / Geneviève Bollème. Paris : Mouton, 1969. https://catalogue.bm-lyon.fr/ark:/75584/pf0000216303.locale=fr