La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
La musique : un art majeur dans l’histoire de la Compagnie
sept-oct 2023
Que ce soit pour éduquer les jeunes esprits, pour assurer les rites religieux ou pour documenter les pages d’histoire de la musique, la collection jésuite des Fontaines propose au public un large choix d’ouvrages de musique imprimée, dont la vitrine se fait ici le modeste reflet.
Comment définir la musique ?
C’est l’art de composer des sons obtenus par l’utilisation d’instruments ou par le corps (voix, percussions). Art qui remonte aux débuts de l’humanité (des flûtes en os attestent de pratiques musicales dès la préhistoire), la musique est rapidement codifiée selon des règles propres à chaque culture, époque ou territoire. L’histoire de la musique retrace les chemins artistiques empruntés par les civilisations.
Art religieux autant que profane, la musique est bien représentée au sein de la collection jésuite des Fontaines et est traitée au travers de l’histoire de la musique, la théorie musicale mais aussi la paléographie et l’archéologie musicale, les compositeurs et la technique des instruments ou encore la liturgie.
Musique et pédagogie
Grands pédagogues à l’origine de nombreux collèges réputés à travers le monde, les jésuites occupent également une place importante dans l’évangélisation.
Dans une vitrine précédente, nous évoquions l’importance du théâtre dans l’histoire de la Compagnie de Jésus, aussi bien dans sa dimension littéraire que pédagogique.
En effet, il est très tôt apparu important aux professeurs des collèges jésuites de diversifier les techniques éducatives et de fournir une formation complète aux élèves. Nous citions le texte fondateur, la Ratio studiorum, le premier code d’enseignement mis au point grâce à l’expérience de la Compagnie. Précurseurs en la matière, les jésuites ont su innover au travers de pièces de théâtre jouées lors de représentations publiques.
La musique a suscité le même intérêt de la part des pères jésuites. Parfois complémentaires des pièces de théâtre, citons par exemple les ballets qui agrémentaient les pièces mises en scène, la musique a une part complexe dans l’histoire de la Compagnie. Elle est enseignée au même titre que les mathématiques ou les humanités. C’est pourquoi de nombreux ouvrages traitent de la théorie musicale, font référence à des textes fondateurs sur la théorie (harmonie, règles de composition, théorie des accords) tels que les éléments de musique attribués à Euclide, interprétés par Marcus Meibom au XVIIe siècle ou l’harmonie universelle par Marin Mersenne, véritable somme théorique au XVIIe siècle.
Chants de piété et d’éducation pour les élèves scolarisés dans les collèges jésuites ou pour le catéchisme, les recueils de chants pour la jeunesse sont nombreux au sein de la collection. On trouve également de nombreuses brochures de chants scouts au sein de la collection.
Missionnaires très actifs dès la naissance de la Compagnie, la musique se trouve au cœur de l’action jésuite aux confins du monde. Ainsi les récits d’évangélisation par le biais de la musique en témoignent, notamment au Paraguay auprès des peuples Guarani ou encore en Chine. Langage universel et immédiat, l’art musical est rapidement identifié comme un moyen efficace et humaniste pour entrer en communication avec les peuples lointains. Ainsi, les réductions guarani, des missions réparties entre le Brésil, le Paraguay et la Bolivie au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ont-elles été le théâtre de cette pratique. La musique est alors perçue par les indiens comme un vecteur du sacré.
Art sacré
La musique sacrée rassemble les pièces musicales religieuses, qu’elles soient liées à la liturgie, à la dévotion ou au développement spirituel. La musique religieuse est représentée dans les cultures à travers le monde : musique chrétienne, juive, islamique (citons Avicenne et Al-Farabi) mais aussi bouddhique, chinoise, afro-américaine ou chamanique.
La musique sacrée liée au culte catholique, mais aussi protestant, est majoritaire dans le fonds jésuite, notamment avec des pièces liturgiques vocales (psaumes, chant grégorien, graduel, vespéral, également des pièces instrumentales (sonates d’église), ou encore mixte (requiem).
Nous évoquerons maintenant le cas particulier d’un document rare dans l’histoire de la composition baroque du XVIIe siècle.
Il s’agit de la Missa pro defunctis par Louis Chein et imprimée par Christophe Ballard, détenteur du privilège qui fait de lui l’imprimeur du roi Louis XIV.
Wim Goossens analyse ainsi l’oeuvre comme une "messe [ ] écrite dans un modeste contrepoint polyphonique avec des phrases homophones dans : Et tibi reddetur, Pie Jesu Domine, Qui tollis peccata mundi I, II, III et Et lux Perpetua. Chein utilise le plain-chant aux endroits prévus dans la partition. Mais il est intéressant de noter que Chein a ajouté et placé le Pie Jesu Domine entre le Sanctus et le Benedictus, le Pie Jesu Domine étant en fait la fin du Sequentia Dies Irae, dies Illa et n’ayant pas été utilisé/arrangé par Chein. Chein a composé deux versions du Graduale, la première selon le mode parisien et la seconde selon le mode romain. Chein conseille à l’orgue d’accompagner mais ce n’est pas nécessaire. Cette Missa pro Defunctis doit idéalement être chantée par le Contre-Ténor, le Ténor, le Baryton et la Basse. [2] »
Christophe Ballard a reçu le titre d’imprimeur du roi pour la musique par lettres patentes le 11 mai 1673. Ce privilège s’applique sur tout le territoire du royaume, ce qui est assez contraignant et assure une situation de monopole de droit à la famille Ballard, imprimeur depuis plusieurs générations. Laurent Guillo, in Christophe Ballard, imprimeur-libraire en musique sous Louis XIV, indique que ce privilège a eu un effet très coercitif sur la production musicale à cette époque, car cela imposait à tout compositeur de passer par l’atelier typographique des Ballard. Au niveau des provinces c’était donc très contraignant et limitait la créativité et la production artistique de province, privilégiant largement la production parisienne.
- SJ AK 457/12,1
On remarquera les nombreux éléments typographiques : lettrines, bandeaux… et les notes, composées avec des caractères typographique de grosse musique en fer de lance. Il est intéressant de noter que l’oeuvre imprimée était reliée dans un recueil factice comportant deux autres pièces, non cataloguées à ce jour. Oubli réparé depuis. Enfin, ces pièces sont remarquables par leur rareté bibliographique, puisque la bibliothèque est le seul établissement à en posséder un exemplaire.
Art profane
Des éléments de musique profane sont également présents dans la collection, témoins de l’intérêt des pères jésuites pour les différents registres que couvre la musique. À ce titre, on peut citer la présence de pièces musicales issues des théâtres de la Foire.
- SJ B 379/30
Ces théâtres trouvent leur origine au XVIIe siècle, à Paris, où deux marchés couverts accueillaient la Foire Saint-Germain et la Foire Saint-Laurent, pendant deux mois d’été et deux mois d’hiver. Outre l’activité principale de foire, ces lieux ont permis à des théâtres de proposer des vaudevilles très prisés d’un large public parisien, friand de ces tableaux variés. Si ces théâtres ont perduré jusqu’à la Révolution française, c’est que les institutions théâtrales reconnues (Comédie française, Opéra ou l’Académie royale de musique) font des procès aux théâtres de Foire afin d’en limiter l’exercice, y voyant là une concurrence importante.
Ces établissements, à l’opposé de l’Opéra et la Comédie française, n’ont pas de monopole artistique. Les pièces qui y ont été représentées étaient issues d’un large répertoire populaire, allant du théâtre de marionnettes aux théâtres de danseurs de corde et à l’Opéra-Comique (né de l’interdiction lancée par l’Académie de musique mais avortée, faute de moyens suffisants).
Charles-Simon Favart (1710-1792), dont nous présentons ici l’opus cinq, écrit-il aussi bien des pièces de théâtre italien que des parodies. La trame narrative de Bastien et Bastienne parodie une pièce de Jean-Jacques Rousseau Le devin du village (1752). On peut trouver un écho dans l’œuvre de Mozart. C’est en effet le premier singspiel composé par le jeune prodige, à l’âge de 12 ans. On constate aisément la diffusion et l’intérêt porté par les artistes de l’époque pour cet art dit mineur.
Les nombreux documents patrimoniaux de la collection des Fontaines viennent enrichir un fonds ancien déjà très imposant par la qualité et la quantité des œuvres musicales conservées à la Bibliothèque municipale de Lyon. Il est en effet utile de rappeler le fonds musique, gisement de plus d’un millier de partitions imprimées, majoritairement du XVIIIe et XIXe siècle.
Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire chargée de la collection jésuite des Fontaines à la BmL
septembre 2023
Ouvrages exposés :
Vespéral de Lyon, noté pour les dimanches et les fêtes imprimé par ordre de son Eminence l’Archevêque de Lyon, Primat des Gaules (1807) cote SJ LB 023/8
Opuscules Sacrés et Lyriques ou Cantiques sur différens sujets de Piété. Avec les Airs notés. A l’usage de la jeunesse de la Paroisse de St. Sulpice (1772) cote SJ AK 409/69 T. 01
Théâtre de M. [et Mme] Favart, ou Recueil des Comédies, parodies et opéras-comiques... donnés jusqu’à ce jour, avec les airs, rondes et vaudevilles notés dans chaque pièce (1763) cote SJ B 364/16
Recueil de chants religieux des Israélites / Samuel Naumbourg cote SJ AK 408/2