La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
Le discours de l’Église catholique sur la guerre au XXe
Janvier - Février 2020
Alors que se célèbre bientôt le centenaire de la création de la Société des Nations (SDN), première tentative de fonder une organisation internationale permanente apte à résoudre pacifiquement les conflits entre Etats, la collection jésuite des Fontaines nous dote de la documentation idoine pour livrer un compendium des attitudes et discours catholiques sur la guerre au siècle des guerres totales.
Tout au long du XXe siècle, le discours porté par l’Église fut contrasté et évolutif, bien que toujours lié à l’idée matricielle de guerre juste. Celle-là, si elle trouve ses prodromes dans les civilisations préchrétiennes, fut surtout développée par Saint Augustin puis Saint Thomas d’Aquin dans le but de borner la légitimité des conflits militaires, confiant à l’Église un rôle de médiateur pacifique.
Au cours de la Première Guerre mondiale, prédomine parmi les autorités catholiques la conception de la guerre comme châtiment collectif de Dieu, adossée à une lecture providentialiste des évènements : ainsi en va-t-il des discours du pape Benoît XV (1914-1922) mais aussi du jésuite français Yves de La Brière (1877-1941), imprégnés de la pensée de Joseph de Maistre (1753-1821).
L’entre-deux-guerres marque l’amorce d’un débat parmi les catholiques sur ce que serait un juste patriotisme et sur la nature du nationalisme auquel beaucoup adhèrent. Dans le sillage de Paul Valéry, certains évoquent un suicide de la civilisation chrétienne, voire en viennent à considérer la guerre comme un mal absolu. Le pape Pie XI (1922-1939) incarne lui aussi cette inflexion du discours catholique sur la guerre en identifiant plus clairement ses causes humaines, sans toutefois se départir de la conviction que le facteur belligène premier réside dans une société sans Dieu.
C’est également sous son magistère, dans les années 1930, que se développe parmi les catholiques occidentaux la vision d’une société internationale, sinon universelle. D’aucuns croyants engagés, à l’instar d’Eugène Duthoit (1869-1944), appuient à cet égard et sans ambages la SDN, cependant que le prêtre italien et antifasciste Luigi Sturzo (1871-1959) analyse en exil la guerre comme un phénomène devant être traité dans une communauté internationale tout entière. Ces prises de positions demeurent à cette époque toutefois minoritaires, considérées souvent comme excessives et au rebours des impératifs nationaux.
Au cours du second conflit mondial, le Vatican s’en tient à une stricte impartialité dans le dessein de rendre audible la voix du souverain pontife et d’affermir son rôle de médiateur pacifique, ne manquant pas par-là de déclencher après-guerre de vives critiques. L’ampleur des nouvelles destructions humaines vient derechef approfondir la rupture initiée dans la pensée catholique de la guerre : ainsi assiste-t-on après 1945 à un effacement de la réflexion sur la guerre juste au profit d’une théologie de la paix. Celle-là fut mise en exergue notamment en 1963 par l’encyclique de Jean XXIII (1958-1963), Pacem in terris.
Si la théorie de la guerre juste et le refus de condamner en bloc la guerre demeurent les référents de l’Église jusqu’à la fin du XXe siècle, s’affirme par le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005) un rejet résolu de la guerre totale, moderne, qui conduit l’autorité ecclésiale à plaider en 1993 à l’Organisation des Nations Unies en faveur de la suppression de l’arme atomique et pour la fin de la dissuasion nucléaire. A l’avenant, Jean-Paul II s’oppose à la fin de son pontificat à toute guerre préventive ou qui excéderait le cadre de l’ONU.
- Pour la Paix par Pie X, 1914 / Bibliothèque municipale de Lyon (AffM0548)
Face à la guerre : des catholiques parfois divisés
En sus d’une évolution progressive du discours de l’Eglise sur la guerre, le XXe siècle manifeste des oppositions parfois tranchées parmi la communauté des croyants. En voici quelques exemples :
• Durant le premier conflit mondial le pape, qui dénonçait le caractère monstrueux de la guerre débutée, se trouva un temps en conflit avec des Églises nationales soutenant leurs États.
• Devant des massacres commis durant la Guerre d’Espagne par un camp franquiste appuyé par l’Église espagnole, Georges Bernanos s’affronta par plume interposée à Paul Claudel.
• Le prêtre et amiral d’Argenlieu choisit après la défaite de 1940 de rejoindre la France libre au nom même de sa foi, affrontant ainsi et parfois par la force les ecclésiastiques acquis au régime de Vichy.
• L’attitude jugée trop passive de l’autorité papale durant la Seconde Guerre mondiale s’attira les critiques ouvertes de certains catholiques tels François Mauriac en 1944, puis Jacques Maritain en 1948.
• Enfin, à propos de l’usage de la torture par les armées coloniales durant les guerres d’indépendance, au sujet de l’arme atomique ou de la Guerre froide, les positions et engagements des croyants aussi furent contrastés, voire antagoniques.
- Courrier français du Témoignage chrétien : lien du Front de résistance spirituelle contre l’hitlérisme, 1944 / Bibliothèque nationale de France (RES-G-1470 (84)
Ouvrages présentés
Sei getrost, mein Volk [sermons de guerre allemands], 1916
SJ L 023/18
E. Duthoit, Le sens de la guerre, 1917
SJ H 394/13
M. Chossat, La guerre et la paix, d’après le droit naturel chrétien, 1918
SJ SS 255/30
M.-A. Dieux (orat.), Croisade pour l’unité du monde chrétien, 1926
SJ A 349/74
H. Pradel, Souvenirs et expériences d’un Prêtre-Soldat de 1914-1918, 1940
SJ H 394/19
J. Boulier, Un prêtre prend position, 1949
SJ H 402/16
Luigi Sturzo, La Comunità Internazionale e il Diritto di Guerra, 1954
SJ SS 254/58
Pax Christi, L’atome, pour ou contre l’homme, 1958
SJ SS 255/12
R. Coste, Le problème du droit de guerre dans la pensée de Pie XII, 1962
SJ TH 014/51
Jean XXIII (pape), Pacem in terris. Paix sur la terre. La Paix entre
les nations fondée sur la vérité, la Justice, la charité, la liberté, 1968
SJ SS 132/101
J. Joblin s.j., L’Église et la guerre : conscience, violence, pouvoir, 1988
SJ SS 255/53
G. Minois, L’Église et la guerre : de la Bible à l’ère atomique, 1994
SJ SS 255/4
F. Boespflug et Y. Labbé (dir.), Assise, dix ans après : 1986-1996, 1996
SJ TH 661/132
Sylvain Chomienne
bibliothécaire