La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
Les cathédrales de lumière : l’art délicat des vitraux
mars-avril 2023
Dans le cadre du festival Les bobines du sacré, porté par l’ISERL et la BmL, l’édition 2023 est l’occasion de visionner le 30 mars le film documentaire Un vitrail pour 1000 ans, de Marion Wegrowe.
Le millénaire de la fondation de la Cathédrale de Strasbourg en 2015 est l’événement qui a suscité une procédure de commande publique artistique pour la création d’un vitrail contemporain. Au sein de cette majestueuse cathédrale, deux baies non ouvragées situées dans la chapelle Sainte-Catherine, sur le mur ouest du transept sud, ont été retenues pour accueillir l’œuvre. Un appel public à candidature a été lancé, le comité de pilotage (composé des représentants de la ville de Strasbourg, du musée de l’Oeuvre Notre-Dame, de l’Archevêché ainsi que l’architecte en chef des monuments historiques en charge de la cathédrale) a retenu le projet de Véronique ELLENA, présenté en association avec le maître verrier, Pierre-Alain PAROT.
Sainte Catherine, venue d’Orient
L’artiste plasticienne a pris comme point de départ la figure mythique de Sainte Catherine d’Alexandrie, en référence à la chapelle dans laquelle le vitrail doit être installé. Selon la légende, sainte Catherine est une jeune fille très instruite qui vivait à l’aube du IVe siècle, en Égypte.
Son culte s’est largement répandu en Occident au XIIIe siècle grâce aux croisades et à la diffusion de la légende dorée de Jacques de Voragine. Vierge et martyre, plus célèbre encore pour son esprit que pour sa beauté, elle est décrite par Jacques de Voragine comme la fille du roi Coste.
L’empereur Maxence est frappé par son intelligence et son éloquence. Il la convoite et lui propose de devenir sa concubine puis, après avoir assassiné l’impératrice, son épouse.
Catherine résiste à ses demandes et se réclame épouse du Christ. Elle convertit son entourage au christianisme et tente de convaincre l’empereur Maxence. Elle l’interpelle : « Tu admires ce temple élevé par la main des ouvriers ; tu admires des ornements précieux que le vent envolera comme de la poussière. Admire plutôt le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, admire les ornements du ciel, comme le soleil, la lune et les étoiles : admire leur obéissance, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin des temps ; la nuit et le jour, ils courent à l’occident pour revenir à l’orient, sans se fatiguer jamais : puis quand tu auras remarqué ces merveilles, cherche et apprends quel est leur maître ; lorsque, par un don de sa grâce, tu l’auras compris et que tu n’auras trouvé personne semblable à lui, adore-le, glorifie-le : car il est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs. » [1]
- vitrail Cathédrale vue générale © Véronique Ellena et le ministère de la Culture et de la Communication
Genèse du vitrail de la chapelle
Véronique Ellena s’inspire de la pensée de la sainte pour construire son projet : sur le vitrail gauche, comme une ode à la nature, elle conçoit une image kaléidoscopique de la Terre à partir d’une multitude de photographies représentant le monde végétal, animal et minéral.
- détail ©Véronique Ellena
Lui répondant sur le vitrail droit, elle compose une représentation stylisée et monumentale du Christ de Hans Memling, à partir de photographies de visages anonymes d’enfants, de femmes et d’hommes. Elle allie dans cette architecture de lumière et de couleurs le profane et le sacré.
Véronique Ellena s’est formée à l’École Supérieure des Arts Visuels de La Cambre à Bruxelles. Équipée d’un appareil photographique argentique de grand format, elle compare son travail esthétique à une contemplation. Pour elle, son « travail interroge depuis toujours la notion de sacré et parle de la place de l’individu dans la société, du rapport de l’homme avec la nature, la vie et la mort. » [2]
- détail ©Véronique Ellena
Pour mener à bien ce projet artistique exceptionnel, l’artiste a travaillé avec le maître-verrier Pierre-Alain PAROT, conservateur-restaurateur diplômé d’état, qui a apporté son savoir-faire, son sens esthétique et son expertise. Il a utilisé une technique avant-garde d’impressions photographiques sur des panneaux de verre rehaussées d’émaux et de verre teinté, puis incrustées ensuite selon la technique traditionnelle au plomb. Réalisés dans son atelier près de Dijon, les vitraux ont été installés et inaugurés le 18 septembre 2015.
Le vitrail : élément architectural et symbolique
L’origine du vitrail remonte au début de l’ère chrétienne. Saint Augustin, au IVe siècle, véhicule l’idée selon laquelle la lumière est une manifestation de la présence divine sur Terre.
Les premières pièces de verre utilisées pour protéger les ouvertures des églises paléochrétiennes étaient incrustées dans des claustras de pierre ou de marbre. Cette technique, attestée dès le Ier siècle et majoritaire dans l’architecture du bassin méditerranéen pendant le 1er millénaire, reste en usage dans les mosquées avec les moucharabiehs.
Le plomb va progressivement supplanter la pierre et libérer le geste des artistes verriers. Tout d’abord non figurative, la révolution technique permise par l’usage du plomb favorise le passage à des compositions symboliques.
C’est au XIIe siècle que le vitrail se diffuse. L’art roman nécessite des petites ouvertures, ce qui explique l’emploi de verre blanc, pour faire entrer la lumière du jour. Par la suite, avec l’usage des croisées d’ogive en architecture gothique et la possibilité de ménager de grandes ouvertures, les vitraux se colorent, afin de tamiser la lumière.
L’imagination des artistes-verriers va se déployer tout au long du Moyen Âge pour élaborer en image le récit des Écritures. En effet, le rôle éducatif des vitraux est majeur.
Outre la fonction pratique de protection qui est à l’origine de l’usage des vitraux en architecture religieuse, le vitrail occupe une place pédagogique dans l’édifice, au même titre que les peintures murales et les fresques. L’œil du pèlerin, du croyant ou du visiteur est immanquablement attiré vers les panneaux vitrés colorés qui ornent les hautes parois. Au propre comme au figuré, le vitrail incite l’homme à s’élever, physiquement et spirituellement. De manière symbolique, les rayons du soleil inondent le chœur au lever du soleil, puis la course du soleil irradie le transept et la nef pour finir son voyage au couchant dans le vitrail du narthex. Ils sont porteurs de la lumière céleste.
La cathédrale de Strasbourg dans la littérature
L’art du vitrail inspire de nombreux artistes tout au long des siècles. Ainsi, en 1838-1839, Victor Hugo entreprend un voyage en Allemagne. Il s’arrête à Strasbourg le 2 septembre 1839, où il visite la cathédrale, édifice le plus haut de la chrétienté jusqu’au XIXe siècle. Il en fait une description enthousiaste dans une lettre envoyée à sa femme. « Tout à coup, à un tournant de la route, une brume s’est levée, et j’ai aperçu le Munster. Il était six heures du matin. L’énorme cathédrale, le sommet le plus haut qu’ait bâti la main de l’homme après la grande pyramide, se dessinait nettement sur un fond de montagnes sombres d’une forme magnifique, dans lesquelles le soleil baignait çà et là de larges vallées. L’œuvre de Dieu faite pour les hommes, l’œuvre des hommes faite pour Dieu, la montagne et la cathédrale, luttaient de grandeur. Je n’ai jamais rien vu de plus imposant. » [3]
Goethe, lors d’un séjour de 2 ans à Strasbourg, en 1770-1771, pour terminer ses études de droit, est impressionné par le caractère exceptionnel de la cathédrale.
« Parmi les choses qui m’ont le plus occupé pendant mon séjour à Strasbourg et qui m’ont fait réfléchir, la cathédrale était presque au sommet. C’est la première œuvre d’art digne et imposante que j’ai vue de mes yeux ; elle m’a fait une forte impression dès le début, qui non seulement a augmenté et s’est accrue à mesure que je la connaissais, mais est aussi devenue vraiment plus belle. » [4]
- Monographie de la cathédrale de Bourges / Charles Cahier (cote SJ GF AK 684/11)
Ou encore Paul Claudel, qui fait une comparaison de l’art délicat des vitraux avec la mosaïque byzantine.
« Voilà ce que nos ancêtres ont su faire avec de la lumière. Ils faisaient des vitraux et avec les vitraux ils faisaient de la piété. Nous, nous ne savons plus faire que de la photographie ! » [5]
Véronique Ellena et Pierre-Alain Parot ont su allier la poésie de la composition photographique et la virtuosité du vitrail, sublimant ces 2 arts dans le nouveau vitrail qui orne la chapelle sainte Catherine.
Billet rédigé par Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire responsable de la collection jésuite des Fontaines
mars 2023
Bibliographie de la vitrine :
- Catherine Brisac. Le vitrail. Cerf, 1990 (SJ R 15/24)
- Paul Claudel. L’oeil écoute. Gallimard, 1946 (SJ B 681/101)
- Victor Hugo. Le Rhin. (SJ B 579/27)
- L. Ottin. Le vitrail : son histoire. H. Laurens (SJ AK 338/3)
- Karl Voll. Memling. Deutsche verlag, 1909 (SJ AK 321/17)
[1] La légende dorée. Jacques de Voragine, GF
[2] Cf dossier de presse Un vitrail contemporain pour le millénaire p. 10
[3] Victor Hugo. Le Rhin (SJ B 579/27)
[4] Johann Wolfgang Goethe. Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit. (SJ BE 825/5)
[5] Paul Claudel. Vitraux des cathédrales de France. (SJ AK 338/4)