La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
Les jésuites et le théâtre. Art oratoire et pédagogie.
mai-juin 2023
En 1599, la Compagnie de Jésus publie une charte d’enseignement, la Ratio Studiorum, sous l’égide de Claudio Acquaviva, afin d’organiser les activités pédagogiques des collèges jésuites.
Le caractère novateur de ce texte réside dans l’organisation des études, la création de la classe telle qu’on la connait aujourd’hui, l’esprit d’émulation entre élèves, l’importance accordée tant au corps qu’à l’esprit dans l’éducation.
A la fois héritage humaniste et témoin de l’esprit pragmatique d’Ignace de Loyola, ces préceptes d’enseignement font la part belle à l’art oratoire et à la rhétorique dans les exercices pédagogiques. La disputatio et les pièces de théâtre sont autant d’outils au service des professeurs jésuites pour développer l’aisance et l’agilité intellectuelle des élèves.
Pour autant, le théâtre au collège existe bien avant l’émergence des collèges jésuites, puisqu’on en trouve exemple au collège de Guyenne où Montaigne fut élève de 1539 à 1546. Ce dernier loue la pédagogie novatrice et la qualité des enseignements prodigués, notamment par le biais de la réalisation de pièces de théâtre par les élèves. George Buchanan, écrivain écossais et professeur dans cet établissement, a écrit de nombreuses pièces, dont certaines sont conservées à la Réserve de la bibliothèque.
On sait la place qu’occupent les lettres classiques dans la formation de l’esprit et dans la tradition intellectuelle jésuite. Pourtant, loin d’être une imitation du théâtre antique, le théâtre d’éducation initié par les jésuites est un théâtre adapté des lettres classiques. En effet, l’univers intellectuel jésuite prend sa source dans l’humanisme du XVIe siècle, empreint de philosophie et de rhétorique grecques et latines. Cependant, cet héritage pose problème aux pédagogues jésuites, dans le sens où ces auteurs abondamment étudiés et cités ne sont pas chrétiens.
Il va donc s’agir de retourner les éléments de cette modernité humaniste pour la christianiser, et surtout de retrouver dans les auteurs classiques comme Cicéron, Plaute ou Sénèque les techniques oratoires. La culture de l’Antiquité est convoquée pour faire passer la vertu : c’est un monde où l’art oratoire et la capacité de convaincre son interlocuteur prévalent. Aussi le théâtre pratiqué dans les collèges jésuites est un théâtre d’éducation, adapté aux objectifs spirituels de la Compagnie, un objet éducatif au profit de la doctrine jésuite.
Loin de se contenter de reprendre les pièces de théâtre de l’Antiquité, les professeurs jésuites ont souvent réécrit des pièces de théâtre pour les adapter aux enseignements prodigués dans leurs classes. On peut ainsi voir dans la pièce de théâtre au collège une forme de sermon déguisé. Ainsi le Père Porée, au XVIIIe siècle, distingue une portée morale à la conduite de pièces de théâtre dans les collèges, dans son discours sur les spectacles.
- Les femmes scavantes / Molière, 1692
Les éléments essentiels de la Ratio studiorum sont présents dans l’atelier théâtral : l’apprentissage du texte exerce la mémoire, la diction est largement sollicitée et l’art de la scène est exploité dans la manière de se mouvoir sur scène.
Art complet qui met en jeu autant le corps que l’esprit, objectif essentiel dans la pédagogie jésuite.
Pourtant, le contenu des pièces est très maîtrisé. Ainsi la tragédie est-elle enseignée et pratiquée dans des adaptations théâtrales dans les grandes classes, tandis que les plus jeunes élèves s’essaient à la comédie, sous le contrôle avisé des professeurs. Principalement écrites en français pour toucher un large public, les pièces de théâtre se distinguent ainsi des disputatio, majoritairement pratiquées en latin, dans l’enceinte de la classe.
Les sujets les plus abordés dans ces pièces puisent leur origine dans la Bible ou l’histoire et la culture antique. Athalie de Racine est une des pièces les plus jouées dans les collèges.
La culture antique est présente dans de nombreuses pièces telles que : la mort de César, ou encore la Mérope, toutes deux écrites par Voltaire, illustre élève passé par le collège jésuite Louis-le-Grand. Quant à Moyse, tragédie de Chateaubriand, on y trouve représentés les aspects bibliques.
Le fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon est riche de pièces de théâtre ayant été jouées au temps du collège jésuite de la Trinité du XVIe au XVIIIe siècle, devenu le lycée Ampère en 1888.
Une attention soutenue est portée à la musique, la mise en scène et la création de décors. Ainsi, Campra sera-t-il régulièrement amené à orchestrer des partitions pour accompagner les pièces de théâtre du collège Louis-le-Grand. On trouve fréquemment des pièces écrites avec un accompagnement musical, par exemple ici les Moines, comédie en musique.
Les ballets étaient également présents dans les mises en scène, comme en témoigne le document exposé ici Révolution de l’Empire des ombres ou le renversement du trône de Pluton ; comédie en quatre actes et en prose, mêlée de chants et ballets. Claude-François Menestrier, jésuite lyonnais du XVIIe siècle, est professeur d’humanités au collège de la Trinité, à Lyon. Il est notamment chargé des ballets et des tragédies présentées par ses écoliers lors des fêtes de fin d’année. En 1658, lors d’une visite de Louis XIV à Lyon, les jésuites organisent une fête dans leur collège et en confient la direction et la réalisation à Menestrier. Il écrit également des pièces en diverses occasions, citons par exemple le temple de la sagesse, allégorie représentée par les écoliers du collège de la Compagnie de Jésus en la réception des magistrats fondateurs de ce collège de la Très Sainte Trinité [à Lyon] le 20 du mois de may 1663, dont la bibliothèque conserve plusieurs exemplaires.
Alliant tradition et modernité, le collège jésuite a su tirer le meilleur parti du théâtre, pour en faire un outil pédagogique qui a contribué au rayonnement de la Compagnie. Aujourd’hui encore, les ateliers de théâtre fleurissent dans les établissements scolaires, héritiers d’une pratique éducative éprouvée.
Article consulté avec profit :
Le théâtre d’éducation des jésuites / Pierre Peyronnet in Dix-huitième siècle, 1976 n°8
Emmanuelle GAYRAL
Bibliothécaire responsable de la collection jésuite des Fontaines
mai-juin 2023
Ouvrages exposés :
• La mort de César, tragédie en trois actes, de Voltaire. Paris : Achille Désauges, 1735 (cote SJ ZOV 00204, 8)
• Moyse, tragédie de Chateaubriand réduite à trois actes, afin d’être représentée dans les collèges et maisons d’éducation (cote SJ B 863/3, 3)
• Athalie, tragédie tirée de l’écriture sainte par Mr Racine (nouvelle édition). Paris, 1773 (cote SJ B 865/3, 1)
• La Mérope française, avec quelques petites pièces de littérature Voltaire. Paris, 1744 (cote SJ B 402/10)
• Les moines, comédie en musique composée par les RR. PP. jésuites… 1709 (cote SJ B 366/19)
• La révolution de l’empire des ombres (cote SJ BC 823/10)