La collection jésuite des Fontaines

La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.

Marcel Proust (10 juillet 1871-18 novembre 1922)

novembre 2022

À l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust (1871-1922), la bibliothèque expose au mois de novembre une sélection d’ouvrages issus de la collection jésuite des Fontaines. Retrouvez cette présentation en salle Civilisation, à la Bibliothèque Part-Dieu.

Œuvres, textes critiques et éléments biographiques jalonnent le parcours de ce monument littéraire qu’est l’œuvre immense de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. Les Guermantes, Gilberte le premier amour du narrateur, Combray la ville imaginaire inspirée d’Illiers, Albertine … autant d’éléments qui tissent la trame du roman-fleuve de Proust, de ce moi-raconté tout au long des 7 tomes que composent l’oeuvre.

Les 4 premiers opus paraissent de 1913 à 1922, les 3 suivants seront publiés à titre posthume. Le processus créatif a pris 16 ans à Marcel Proust, de 1906 à sa mort en 1922.
Œuvre d’une vie, donc.
Le style de Proust se distingue par la fluidité de son écriture et le déploiement de la langue française, langue qu’il a assouplie et bouleversée. La phrase proustienne se caractérise par sa longueur, témoigne de sa recherche du mot juste, se dévoile dans une langue ciselée et maniée à la perfection. C’est également avec un regard empreint d’ironie et d’humour qu’il peint la société française de son époque et ses contemporains. Tableau vivant, minutieux de ces mondains et ces aristocrates qui fréquentent salons, font des croisières sur des paquebots, vont à l’Opéra. Proust en tire une fiction du monde traversée par le temps, inexorablement.

Qui n’a pas hésité, voire renoncé à lire ces 7 imposants volumes ?
Il existe de nombreuses clés de lecture de son œuvre, dont voici quelques exemples choisis.

Le rêve
Au plaisir de la lecture, au pouvoir d’évasion que procurent les livres, Proust relie dès les premières lignes de son opus Du côté de chez Swann la puissance du rêve. Il mêle rêve et rêverie, sommeil et évocation onirique. Pour lui, le rêve est l’occasion d’accéder à une vérité ou à un temps révolu. C’est aussi un instrument d’observation et de connaissance, un formidable outil au service de la recomposition du temps.

Le temps
Thème central du roman, le temps se réalise dans l’autre. C’est par la relation à l’autre que le narrateur de La Recherche fait l’expérience du temps comme réalité la plus concrète de l’existence. Le temps modèle l’autre et enrichit la perception que le narrateur en a. Le travail sur la notion de temps qu’a élaboré Marcel Proust dans son œuvre est complexe. Pour lui, l’expérience du temps vécu prend appui sur le passé et chemine vers l’avenir. Il est révélé par le travail de réminiscence accompli dans l’écriture, qui rend visible les traces du passé : c’est le temps retrouvé. Il y a dans ce cheminement l’idée de déchiffrer une vérité cachée dans les replis de la mémoire.

L’amour
Chez Proust, l’amour est un sentiment qui se nourrit du manque, de l’absence et de l’imagination. La figure de l’amante (Gilberte puis Albertine) est fantasmée par le narrateur qui se heurte à la vacuité des passions et à la jalousie. Se mêle au motif de la relation amoureuse le thème de l’homosexualité. A la fin du XIXe siècle, la question de l’homosexualité prend une place de premier plan dans la société européenne. Des procès intentés à des figures connues (hommes politiques, écrivains) cristallisent l’opinion publique, provoquant sarcasmes et discriminations. Proust expose ces différents points de vue, donnant à voir le tabou que représente l’homosexualité dans la société en ce début de XXe siècle. Tout comme il montre en quoi la judéité, au travers des personnages de Swann ou Bloch, est discriminante dans la société française de l’époque de l’affaire Dreyfus, il choisit de traduire son homosexualité dans des personnages annexes de la Recherche, comme autant de pas de côté pour mieux exposer la difficulté d’être juif ou homosexuel.

La judéité
Né dans une famille bourgeoise et cultivée, d’une mère juive et d’un père catholique, Proust prend la mesure de sa judéité lors de l’affaire Dreyfus. Mais c’est aussi pour lui l’occasion d’exercer son regard critique sur les doctrines nationalistes et de s’affranchir des valeurs politiques de son milieu social en développant sa propre éthique. En décrivant l’hostilité et le dédain de l’aristocratique famille de Guermantes à l’égard de Bloch ou de Swann, Proust rappelle au lecteur la banalité de la discrimination et de la persécution dont sont victimes les juifs.

Les sensations et le corps
Le corps est un autre thème central de l’œuvre. Les sensations sont le moyen de provoquer le surgissement du souvenir, de la mémoire.
La célèbre madeleine fait en effet référence au pouvoir des sensations comme révélateur involontaire de la mémoire et des souvenirs enfouis. Proust parle de « l’édifice immense du souvenir » (in A la recherche du temps perdu : Du côté de chez Swann) pour évoquer la puissance de l’évocation à partir de la sensation gustative de la madeleine trempée dans une tasse de thé. Au-delà de cette image et tout au long de son œuvre, l’auteur expose la complexité essentielle de la relation au corps, du point de vue physique et sensible, mais aussi dans la dimension psychique et sentimentale.

Les arts et la musique
À la différence des théoriciens de l’art de son époque, Proust affiche une position très novatrice. Pour lui, l’art n’obéit pas à une classification. Il n’y a pas d’arts majeurs et mineurs. Ce qui importe ce n’est pas la valeur esthétique obéissant à des codes théoriques rigides, mais la faculté qu’a l’œuvre d’émouvoir. À cet égard, pour lui, toute création peut être œuvre d’art, que ce soit une symphonie de Beethoven, un vaudeville, un plat gastronomique ou une robe de couturier.

La guerre
A la charnière du XIXe et du XXe siècle, Proust est l’écrivain passeur entre modernité et contemporanéité. Ancré dans son époque, il donne une place à la Première Guerre mondiale, notamment dans le Temps retrouvé. Réformé pour raisons de santé - Marcel Proust était asthmatique et de santé fragile, spectateur impuissant des événements de grande violence et de haine qui vont se déchaîner pendant 4 ans, il décrit avec précision ce moment historique d’un monde fragilisé par 11 millions de morts et par la ruine, matérielle et économique, du vieux continent.

Maints philosophes, auteurs, intellectuels, au nombre desquels Gilles Deleuze, Jean-Paul Sartre, Michel Butor, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute ont en commun cet héritage littéraire et culturel de l’œuvre proustienne. Des clubs de lecture, des adaptations cinématographiques (Volker Schlöndorff, Raoul Ruiz, Nina Companeez...), La Recherche inspire encore et toujours lecteurs et artistes.

La rédaction de cet article fait référence à l’ouvrage synthétique les 100 mots de Proust / Michel Erman (PUF, collection Que-sais-je ?) ainsi qu’à l’article Proust juif et homosexuel ? in Relire, repenser Proust / Kazuyoshi Yoshikawa

Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire chargée de la collection jésuite des Fontaines
Novembre 2022


Bibliographie de l’exposition
Œuvres :
• Marcel Proust, Du côté de chez Swann. Editions de la Nouvelle revue française, 1919 (SJ B 720/19)
• Marcel Proust, Le temps retrouvé. Gallimard, 1927 (SJ B 720/32)
• Marcel Proust, Les plaisirs et les jours . Gallimard, 1924 (SJ B 721/7)
• Marcel Proust, L’indifférent. Gallimard, 1978 (SJ B 721/24)
Etudes critiques :
• Robert Dreyfus, Marcel Proust à dix-sept ans. Avec des lettres inédites de Marcel Proust.. Simon Kra, 1926 (cote SJ B 722/16)
• Marcel Proust, Lettres retrouvées. Plon, 1966 (SJ B 721/15)
Ouvrages illustrés :
• Antoine Adam, Proust. Hachette, 1965 (SJ B 722/7)
• Pierre Clarac et André Ferré, Album Proust, NRF, 1965 (SJ B 720/37)
• Benoist-Méchin, La musique et l’immortalité dans l’œuvre de Marcel Proust, Simon Kra, 1926 (SJ B 722/17)