La collection jésuite des Fontaines
La Collection jésuite des Fontaines est en dépôt à la Bibliothèque municipale de Lyon. Elle provient du centre culturel jésuite à Chantilly.
Représenter le lointain (1450-1950)
En écho à l’exposition des collections anciennes et spécialisées "Représenter le lointain : Un regard européen (1450-1950)" de la Bibliothèque municipale de Lyon (du 2 avril au 13 juillet 2024), la collection jésuite des Fontaines présente une sélection de documents issus de ses fonds patrimoniaux.
L’exposition donne à voir la manière dont les Européens ont étendu leurs connaissances géographiques et navigué vers des territoires inconnus entre 1450 et 1950. Elle dévoile l’évolution de la cartographie, soulignant son universalité et son développement particulièrement en Europe.
La cartographie européenne, héritière des savoirs antiques et médiévaux, a évolué des mappemondes schématiques à des cartes plus détaillées incluant l’océan Indien, l’Afrique et l’Asie. À la fin du 13e siècle, apparaissent les cartes portulans, outils de navigation représentant les côtes méditerranéennes et progressivement d’autres espaces maritimes.
Au milieu du 15e siècle, l’Occident chrétien connaît trois continents : l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Les cartes médiévales reflètent cette vision. Les représentations des terres lointaines sont influencées par les héritages antiques (Macrobe) et médiévaux (Ptolémée). Les récits de missionnaires et marchands, comme Marco Polo par exemple, décrivent des terres éloignées.
Au 15e siècle, après la Reconquista, Portugais et Espagnols cherchent à contourner les empires musulmans pour accéder aux richesses de l’Extrême-Orient. À l’ouest, Christophe Colomb, en 1492, découvre les Antilles, ouvrant la voie à la conquête de nouvelles terres. Vers le Levant, Vasco de Gama contourne l’Afrique en 1488, ouvrant une route vers l’Asie et cartographiant les côtes africaines et asiatiques. L’Europe, dominant les mers, se place alors au centre des cartes du monde.
La traduction latine de "La Géographie" de Ptolémée au début du 15e siècle, avec ses principes de projection cartographique, influence grandement la cartographie européenne. L’imprimerie et les techniques de gravure au milieu du 15e siècle facilitent la diffusion des cartes, intégrant les nouveaux espaces découverts lors des grandes explorations européennes du 16e siècle.
La géographie en devenir
Giovanni Battista Ramusio (1485-1557), géographe italien et secrétaire pour le compte de la puissante Chancellerie vénitienne entre 1505 et 1557, est l’auteur d’une somme cartographique et géographique qui inaugure la géographie moderne, les Delle Navigationi et Viaggi, parus entre 1550-1559 initialement en trois volumes à Venise et souvent réimprimés.
La richesse et l’importance de cette œuvre résident dans l’assemblage de tous les récits de voyages exploratoires connus en ce milieu de 16e siècle, allant de Marco Polo à Nicolo di Conti, Magellan et bien d’autres. Ces connaissances géographiques ont révolutionné la discipline cartographique, révélant l’existence de navigateurs restés dans l’ombre et méconnus. Ramusio témoigne de l’intérêt des grandes nations européennes pour explorer le monde et en parfaire la connaissance, mettant au jour la dimension politique du savoir géographique dans l’Italie de la Renaissance.
- Ramusio "Primo volume, & Terza editione delle Navigationi et viaggi raccolto gia da M. Gio. Battista Ramusio"
La carte présentée ici est exceptionnelle dans l’ouvrage par la complexité du travail demandé au graveur. Elle est le fruit du travail de Giacomo Gastaldi, cartographe italien du milieu du 16e siècle. Imprimée en pleine page, la gravure illustre les deux Amériques et inclut les noms des localités découvertes lors des voyages de Francisco Vasquez de Coronado, le premier européen à voyager à travers tout le sud-ouest de l’Amérique du Nord (Arizona, Nouveau-Mexique, Texas et Kansas). Au-delà, la carte est vierge, de même pour le cercle polaire antarctique, totalement inconnu (la carte dessine en effet les contours nord de la Terre de Feu). La carte est significative dans le rapport entretenu tout au long de l’œuvre de Ramusio entre la géographie textuelle d’une part, issue de l’édition des récits de voyages et la cartographie d’autre part, très peu présente dans le document. On peut y voir une forme de complémentarité entre la précision des récits collectés par Ramusio et la représentation cartographique apportée par Gastaldi, l’auteur des cartes illustrant l’ouvrage de Ramusio [1]. On peut analyser la mise en carte comme le miroir des connaissances géographiques des européens à travers les récits restitués des navigateurs et explorateurs. Ramusio a organisé le savoir géographique de son époque à la manière des encyclopédistes des Lumières pour le savoir général, afin de donner matière aux générations futures pour s’approprier le savoir acquis par les savants de son époque.
Une autre carte est présentée dans l’exposition : https://www.bm-lyon.fr/expositions-en-ligne/representer-le-lointain-un-regard-europeen-1450-1950/exposition/repousser-le-lointain/article/un-nouveau-monde
Christianisme et géographie
L’histoire du christianisme est un axe d’analyse pour comprendre les mécanismes mis en place par les européens pour repousser les limites géographiques. L’évangélisation comme outil d’exploration et de développement du christianisme s’illustre parfaitement dans l’histoire de la Compagnie de Jésus. Plus précisément, l’exploration du lointain est un élément constitutif de la Compagnie de Jésus : les exemples de l’évangélisation des indiens d’Amérique du Sud au Paraguay, le cas des Guarani, la controverse de Valladolid ou les voyages au Japon et en Chine de Matteo Ricci, d’Athanasius Kircher, de François Xavier ou de Joseph de Reviers du 16e s au 20e siècle en sont les illustrations et témoignent de cette dynamique à l’œuvre dans la politique du Vatican à cette époque.
- Athanasius Kircher et Adam Schall
L’estampe présentée ici est le frontispice de Athanasii Kircheri e Soc. Jesu China monumentis, ouvrage fondamental rédigé en 1667 par Athanasius Kircher, savant allemand jésuite du 17e siècle, initiateur de la sinologie moderne et esprit encyclopédique couramment comparé à Léonard de Vinci pour la polyvalence de sa curiosité intellectuelle (géographie, mathématique, médecine, musique, optique, astronomie et linguistique) et ses inventions techniques (la lanterne magique, le microscope et le pantographe). La gravure est conservée dans le fonds Cahier Martin, boîte Saint François Xavier. Elle représente deux figures majeures du mouvement jésuite d’évangélisation, Adam Schall à gauche et Matteo Ricci à droite, déployant une carte de la Chine, surmontés des silhouettes de Saint François Xavier en haut à gauche et de Saint Ignace de Loyola à droite, en contemplation devant le signe IHS, signification de la lumière divine de Jésus Christ.
Outre les grandes qualités linguistiques de l’ouvrage, Kircher est par exemple le premier à décrire le Tibet et le Népal, apportant une pierre essentielle à l’édifice des connaissances européennes sur l’Extrême-Orient. L’ouvrage joue également un rôle de première importance dans la transmission de savoirs orientaux vers l’Europe. Il effectue une communication à double sens d’une grande intelligence.
Kircher a eu recours, pour illustrer son texte, à des experts sur le terrain, tous missionnaires en Asie. Martino Martini est l’un d’eux et tenu en grande estime par Kircher. Ce dernier s’appuie notamment sur ses cartes pour compléter son propos par des données cartographiques très précises et fiables pour l’époque.
- Novus Atlas Sinensis, a Martino Martinio ; carte de Pékin
Martino Martini (1614-1661), géographe jésuite italien et missionnaire en Chine est l’auteur de l’ Atlas sinensis, publié par Johannes Blaeu en 1654. Il passe la majeure partie de sa vie en Chine. Ses plans de la Chine, du Japon et des 15 provinces de Chine sont remarquables par la qualité des informations, issues des savoirs chinois les plus justes. Ils resteront des documents sources jusqu’au 19e siècle, appréciés des sinologues et des cartographes modernes. Martini est également l’auteur de la première grammaire imprimée du mandarin conservée jusqu’à nos jours. Son travail a le mérite d’être souligné par l’ouverture d’esprit significatif et la curiosité intellectuelle dont il fait preuve dans la description de l’histoire et de la civilisation chinoise, sans y insuffler l’attitude dominante des européens. « L’Atlas fait intervenir, par la succession des cartes, une échelle de connaissance spatiale inédite pour l’Europe : les provinces d’un empire aux frontières recomposées ; d’autre part, il donne à ces espaces une profondeur historique portée par le volume imprimé du même titre, qui accompagne le jeu de cartes et les charge d’une dimension temporelle dont la fonction est d’actualiser le temps historique long. » [2]
- Novus Atlas Sinensis, a Martino Martinio
Pour les jésuites, la cartographie représente un outil intellectuel de modélisation du monde afin d’en cerner le plus précisément possible les contours, permettant de « lire l’atlas comme un espace de confrontation de savoirs et de convergence de gestes multiples, à partir d’une analyse située dans l’Europe du XVIIe siècle » . [3]
Dans cet acte de narration en image du monde au 17e siècle, la cartographie s’illustre en outil au service de la connaissance politique, géographique et théologique. C’est dire si le rôle des missionnaires revêt une importance d’autant plus manifeste. Consciente de l’enjeu stratégique que représente la connaissance du territoire chinois, l’Europe multiplie les contacts et les incursions en vue de faciliter le commerce et les échanges. La carte sélectionnée décrit Pékin et ses environs. On y découvre le tracé de la Grande Muraille de Chine. En 1644, les Manchous conquièrent le territoire et occupent Pékin. Le frontispice applique les codes de la Compagnie de Jésus : des anges manipulent mappemonde, globe terrestre et compas sous l’égide de l’influence du signe IHS. La porte de la connaissance s’ouvre sur le monde.
La cosmographie
Esprit humaniste de la Renaissance, Antoine Mizauld (c. 1512-1578) est médecin et astrologue, deux domaines de la connaissance qu’il allie pour comprendre la complexité du monde.
- Antonii Mizaldi Monluciani, De mundi sphaera, seu Cosmographia
Il est notamment le médecin de Marguerite de Valois. Mizauld place d’ailleurs son ouvrage sous les auspices de sa protectrice. On trouve également une préface signée d’Oronce Fine, grand mathématicien, astronome et cartographe français. Ce savant dresse la première carte de France qualifiée de « moderne » en 1525. Elle est exposée dans la première partie de l’exposition. POur plus d’information, cf : https://www.bm-lyon.fr/expositions-en-ligne/representer-le-lointain-un-regard-europeen-1450-1950/exposition/repousser-le-lointain/article/un-nouveau-monde
Oronce Fine et Antoine Mizauld étaient amis, ce qui explique en partie la préface q’uil rédige au moment de la publication de son traité de cosmographie. S’y cotoient l’humain et l’infiniment grand (le cosmos). Il rédige un traité de cosmographie intitulé Antonii Mizaldi Monluciani, De mundi sphaera, seu Cosmographia, publié en 1552.
- Antonii Mizaldi Monluciani, De mundi sphaera, seu Cosmographia
Cet essai est illustré d’une volvelle, c’est-à-dire une carte imprimée avec une partie tournante, couramment utilisée en astronomie pour effectuer des calculs, déterminer le jour en fonction de la position des astres… La figure que nous présentons est composée d’une partie fixe et d’une partie mobile (structurée par l’horizon et le zénith). C’est un objet de démonstration mathématique pour prouver la rotondité de la Terre et calculer la latitude sur le globe terrestre. Cet instrument de mesure est significatif dans la recherche de connaissance au 16e siècle en Europe, car il témoigne de la volonté de comprendre et d’écrire le cosmos, le lointain astronomique, ainsi que la place de l’homme sur Terre. Fonctionnant sur le principe de l’astrolabe, la volvelle est inventée dans l’Antiquité, utilisée au Moyen-Age, notamment par les savants arabo-musulmans, mais c’est à la Renaissance que cet outil de calcul prend son essor, notamment grâce à l’imprimerie, qui le plébiscite comme illustration de « sphère plate universelle » dans les traités d’astronomie.
- Petri Apiani Cosmographia, 1540
Pierre Apian, dans sa cosmographie éditée en 1544, en est l’auteur le plus célèbre. La volvelle que nous présentons est un objet imprimé complexe, qui a demandé un travail de précision au graveur (il s’agit d’une gravure sur bois) et à l’imprimeur. L’horizon est figurée par une double barre horizontale et le zénith par la flèche verticale, perpendiculaire à l’horizon. Dans la partie basse, la gravure représente deux hommes aux champs. La formule latine « Nulla dies sine linea » signifie « pas de jour sans une seule ligne », en référence à Pline L’Ancien dans son Histoire naturelle. Elle renvoie à la pratique du peintre grec Apelle, qui peignait au moins une ligne chaque jour. La signification de cette citation est énigmatique et n’a pour l’instant pas de réponse plausible. partie centrale de la figure met en scène un paysage de montagne bordé par un fleuve. Au firmament, on trouve la mention « helice », qui signifie la grande Ourse. La barre verticale qui la traverse signale le pôle Nord. Enfin, le pourtour du cercle est gradué pour permettre les mesures d’angles. Chaque somme des deux chiffres séparés par la coche fait 90.
POur plus d’information et des démonstrations de la volvelle, cf : https://xml.tremplin.ens-lyon.fr/exist/rest/db/rel/data-html/AstronomieUnivers/LesVolvellesDApian/LesVolvellesDApian.xhtml#d0e1877
La volvelle exposée est très ressemblante de celle de Caspar Peucer, dont on trouve un gif animé ici : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gif-Volvelle-astronomie-de-Kaspar-Peucer.gif?uselang=fr
Ces objets animés étant de nature très fragile, ils ont fréquemment disparu des ouvrages imprimés qu’ils illustraient. Il est d’autant plus précieux d’en trouver une trace dans la collection.
Entre 1600 et 1800, les explorateurs européens étendent considérablement les limites du monde connu. La cartographie devient plus précise, incluant des zones vides pour les régions inconnues.
- P. Bertii tabularum geographicarum contractarum libri quinque
Ils se concentrent sur les régions australes, découvrant des parties de l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et de nombreuses îles du Pacifique. James Cook explore l’océan Antarctique sans toucher terre, réfutant l’hypothèse d’un grand continent austral. L’Arctique attire aussi leur intérêt, avec des expéditions en Alaska et en Sibérie. Simultanément, l’exploration intérieure de l’Amérique du Nord progresse, aboutissant à la création des États-Unis en 1776.
Au 17e et 18e siècles, les cartes manuscrites des pilotes et ingénieurs servent les rois et les opérations militaires, tandis que les cartographes « de cabinet » créent des cartes détaillées à partir de compilations historiques et géographiques. Les techniques de triangulation sont perfectionnées, comme en témoigne la carte de France dite de Cassini.
Un cartographe au 18e siècle
Jacques-Nicolas Bellin (1703-1772) [4] est un cartographe et un encyclopédiste français. En 1721, à l’âge de 18 ans, il est nommé hydrographe au service du dépôt des cartes et plans de la Marine, créé un an plus tôt. Au-delà de son rôle de conservation des cartes marines, le service est également producteur de cartes, comme en témoigne cette carte du détroit de Magellan, réalisée par l’ingénieur Bellin. Exemple même du cartographe « de cabinet », Bellin n’a jamais mis le pied sur un navire. Il confiait des cartes aux navigateurs, charge à eux de les compléter et de les corriger lors des voyages exploratoires. À leur retour, Bellin prenait note des informations ajoutées et les recoupaient avant de les intégrer à ses cartes. Ses plans du Canada, entre autres, sont notamment remarquables par la fiabilité et la précision des informations enregistrées. L’objectif était double : apporter le plus de précisions pour sécuriser la navigation et permettre de prouver la possession des terres explorées sur le nouveau continent.
- Atlas pour servir à l’abrégé de l’histoire générale des voyages de Mr de La Harpe
C’est ainsi qu’il collationne les informations et actualise sa carte du détroit de Magellan, publiée en 1753 pour le compte du Dépôt des cartes et plans de la Marine, grâce à un travail de recueil de données cartographiques enregistrées lors du voyage d’exploration de Jacques Gouin de Beauchesne (1652-1730) auquel il a eu accès, après une longue période de mise au secret. Beauchesne est un navigateur malouin, le premier français à emprunter la route du cap Horn et à franchir le détroit de Magellan d’Est en Ouest, à bord du "Phélypeaux", lors du voyage exploratoire entre 1698 et 1701.
Un exemplaire identique est conservé au département des cartes et plans de la BnF [5]. Né du désir d’expansion de la Marine royale alors en lutte contre les flottes anglaises et hollandaises pour la domination sur mer et la protection de l’essor colonial à l’extrême fin du 17e siècle, le projet a pour mission de s’approprier des terres du détroit et commercer clandestinement sur les côtes du Pérou et du Chili. Il va aboutir en 1698 à la création de la Compagnie royale de la mer du Sud sous l’égide du roi Louis XIV, dotée pour l’occasion d’une flotte de 4 navires, conduits par Jacques Gouin de Beauchesne. Deux ingénieurs du roi, les sieurs Duplessis et Delabat embarquent à bord du navire de Beauchesne et sont chargés de rapporter des relevés, des cartes et des croquis des rades, ports et autres mouillages, les plus exacts possibles.
- Carte réduite des Mers du Nord
Aux 16e et 17e siècles, les découvertes maritimes n’ont pas pour finalité une connaissance scientifique des régions parcourues. Bien au contraire, ces explorations sont conduites dans le but d’occuper les territoires en permanence, de se les approprier pour en tirer des richesses telles que des matières précieuses, des matières premières, des produits alimentaires (épices, sucre), des plantes médicinales rares ou pour se constituer une nouvelle clientèle. L’expédition menée par Beauchesne à partir de 1698 n’a pas d’autre finalité que d’explorer la région pour la cartographier avec le plus de précisions possibles et ainsi se démarquer des informations des navigateurs hollandais et anglais ; mais aussi pour faciliter les prochaines missions et pour préparer la mise en place de colonies sur ces territoires du bout du monde. Duplessis est embarqué pour documenter l’expédition, et pendant trois ans, il tient un journal détaillé sur la vie des marins, les échanges avec les Indiens et la description précise des Patagons. Ses observations sont enrichies de ses aquarelles représentant la faune, les lieux et les habitants. Le manuscrit de Duplessis reste inédit pour des raisons stratégiques, et ce n’est qu’en 1766 que la navigation française par cette route se développe, notamment avec Bougainville et Lapérouse, qui suivent la voie maritime ouverte par Beauchesne.
À la fin du 18e siècle, les côtes mondiales sont bien connues, mais l’intérieur de nombreux continents reste inexploré. Les monarques financent des expéditions scientifiques et la Société de géographie de Paris est fondée en 1821, initiant de nombreuses autres. Les explorations, relayées par la presse, offrent prestige national et informations économiques et politiques. Les côtes extrêmes de la planète sont progressivement cartographiées, avec des jalons comme le passage Nord-Ouest franchi en 1903-1906, le pôle Nord atteint en 1909, et le pôle Sud en 1911, bien que les contours de l’Antarctique restent incomplets.
La conquête de terres lointaines par les souverains européens à l’époque moderne se caractérise par une imbrication de pouvoir, droit et religion. La conversion au christianisme des peuples rencontrés sert de justification à la prise de possession des terres par la force, et les défaites militaires renforcent souvent l’occupation.
L’appropriation des richesses, souvent présentée comme le « doux commerce », se révèle en réalité être un système colonial violent. Les Européens exploitent d’abord les autochtones, puis des esclaves africains achetés aux monarques locaux.
Les explorations européennes, bien que motivées par la curiosité scientifique, ont souvent décrit les mœurs des indigènes et la nature des nouvelles contrées sous l’angle de l’étonnement, augmentant ainsi le prestige des explorateurs et alimentant des fantasmes comme celui de l’Eldorado ou de l’Orient exotique. Progressivement, les expéditions incluent des savants cherchant à recueillir des savoirs, parfois par la force, et à étudier la flore, la faune, la géographie et l’histoire à des fins thérapeutiques et conquérantes.
À la fin du 18e et au début du 19e siècle, l’Europe justifie son expansion en se présentant comme civilisatrice, apportant le « Progrès » aux peuples considérés comme sauvages, tout en masquant une compétition nationaliste. Cette expansion atteint son apogée au début du 20e siècle avec la colonisation de la majeure partie du monde. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les peuples colonisés obtiennent leur indépendance politique, malgré quelques voix critiques en Europe. Le 19e siècle, marqué par la colonisation française et britannique, voit la fondation de sociétés de géographie visant à compléter les « blancs de la carte ». Les progrès techniques permettent aussi l’exploration des fonds sous-marins et du ciel. Au 20e siècle, la cartographie évolue avec l’aviation, la photographie aérienne et la conquête spatiale, rendant possible une vue globale de la Terre.
Après les années 1960, la cartographie devient plus critique, reconnaissant les espaces terrestres comme habités et fragiles, et adopte de nouvelles techniques photographiques et numériques, marquant la fin du regard hégémonique européen sur le monde.
ouvrages exposés :
- Antoine Mizauld. Antonii Mizaldi Monluciani, De mundi sphaera, seu Cosmographia, Lutetiae apud Guilielmum Cauellat, 1552 (cote SJ X 433/74, 3)
- Jacques-Nicolas Bellin. Atlas pour servir à l’abrégé de l’histoire générale des voyages de Mr de La Harpe, Paris, [s. d.] (cote SJ G 103/14)
- Primo volume, & Terza editione delle Navigationi et viaggi raccolto gia da M. Gio. Battista Ramusio, In Venetia nella stamperia de Giunti, 1563 (cote SJ G200/9)
- estampe d’Adam Schall et Matteo Ricci, Amstelodami, 1667 (boite saint François Xavier, sans cote)
Emmanuelle Gayral
Bibliothécaire chargée de la collection jésuite des Fontaines
mai 2024