La Documentation régionale
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Barbapop
organisateur de concerts et d’expositions DIY, éditeur d’affiches et de fanzines
Faire une affiche c’est, avant tout, juste une étape de l’organisation d’un concert, ça fait partie de ce mouvement un peu fou, de rassembler des musiciens, des bénévoles, un public pour faire exister un moment. Organiser un concert soi même, par ses propre moyens, de A à Z, sans but lucratif, en marge de l’industrie du spectacle, c’est un suicide économique et ça ne sert à rien. Organiser des concerts DIY c’est peut être juste un rapport au monde, se sentir en faire partie, du monde, avoir prise au réel, occuper son temps, mettre en scène de belles occasions de faire la fête avec ses amis et de rencontrer des artistes qu’on aime, quoi d’autre ? En tout cas, organiser un concert c’est beaucoup de temps et de travail, depuis l’idée jusqu’à la réalisation, faire une prog, contacter les artistes, trouver la bonne date et le bon lieu qui vont bien, faire la com’, trouver des copains pour aider, faire à manger, trouver le matériel qui manque, une sono, un ingé son, faire le bar, accueillir les gens, et encore ranger, donner un peu de sous aux musiciens en espérant qu’il n’y aura pas personne, finir dignement la soirée, etc. etc. Alors l’affiche dans tout ça ? Elle fait donc partie du mouvement, et en même temps elle doit raconter ce mouvement. Car faire tout ça quand même ce n’est pas rien, c’est beaucoup de travail mais c’est une fête aussi, car on va accueillir nos musiciens préférés qu’on a hâte d’entendre et de rencontrer, tous nos copains sont conviés et ce n’est pas moins bien que les bals de ma grand-mère, on a un peu peur que ce soit un flop, mais non ça va être bien, on y croit, alors il faut que ça se sache, allez allez une affiche, des flyers, c’est l’heure de la promo, les amies et les amis, venez ça va être trop bien ! Alors puisque je vais passer des dizaines d’heures pour organiser cette soirée de concert, autant que ce soit bien, autant que ce soit un moment unique, un moment parmi mille autres certes, ça ne va pas changer le monde, mais c’est toujours un moment unique. Pourquoi ne pas demander à un dessinateur que j’aime de m’aider, c’est aussi un bon prétexte pour le/la rencontrer et faire un truc ensemble, j’espère qu’il/elle comprendra qu’il n’y a pas de sous dans l’affaire, enfin peut être un peu si il y a du monde mais je ne vais pas te mentir.
Bon et si je ne trouve personne je ferai aussi l’affiche moi-même ce sera vilain sans doute mais ce n’est pas grave ce n’est pas ça l’important. Mais puisque l’affiche qu’on m’a faite est tellement belle, pourquoi je n’irais pas jusqu’au bout, l’imprimer en sérigraphie, pour marquer le coup, une affiche en trois couleurs, et je vais aussi le faire moi même car qui d’autre a le temps dans les 48h ? Le temps est compté, je suis à la bourre, je ne sais pas trop faire mais on fait comme on peut, dans notre atelier un peu pourri on fait au mieux, les copains donnent des conseils, et puis c’est peut être pas si mal au final. Ha oui c’est vrai bien sûr je pourrais l’imprimer en photocopie noir et blanc (la couleur coûte trop cher en photocopie et tu sais mon compte est vide) mais bon j’aime bien la couleur, j’aime bien la matière, l’accident de parcours, les décalages qui vibrent, la tache qui te fait bien rire, la nuit dans la cave avec les copains qui te racontent leurs histoires d’amour, le super groupe que personne ne connaît encore mais que tu viens de découvrir, ou bien les dernières vacances peut être ? Et les gens savent bien que derrière ces affiches on aura pris une journée, une nuit juste pour enchanter les murs. C’est aussi stratégique, depuis mon procès pour affichage il y a quelques années, procès gagné heureusement après 4 années de procédures, l’ambiance a changé en centre ville, la gentrification bat son plein et s’accélère, la sécurité, la propreté sont très tendance, chut taisez vous, circulez s’il-vous-plait, c’est sale ce que vous faites, poètes vos papiers, et la brigade de l’écologie urbaine est là pour y veiller, alors les affiches, que tu as collées au scotch car tu avais peur de l’amende, sont arrachées, tu passes des heures à les diffuser dans la ville mais en quelques secondes elles disparaissent et tout cela est vain, tu perds ton temps tu ne penses pas ? Alors pourquoi ne pas coller à la colle comme avant, comme cela a toujours été depuis l’invention de l’imprimerie ? Au début des années 2000 les murs étaient vivants, les couches d’affiches collées partout laissaient entrevoir les strates de la diversité, des marges - et des squats il en restait beaucoup. Voilà alors je vais coller sur les murs « aveugles » et les vitrines de magasins fermés car la cour de cassation a validé que c’était toléré si j’ai bien compris le jugement, et c’est un peu con vous me direz mais je colle un peu plus haut qu’avant ou un peu plus bas car le réac’ du coin avec son cutteur n’a rien d’autre à faire qu’arracher les affiches chaque après midi. Et voilà on s’amuse bien en même temps, on investit la ville qu’on habite, on résiste quelque part, enfin c’est un bien grand mot, la liberté d’expression bien sûr oui, même si c’est plutôt dérisoire comme geste mais il nous appartient et on le fait avec et pour nos amis, en espérant toujours aussi évidemment, avant tout, que ça fasse venir des gens aux concerts, qu’on donne un peu de sous au groupe, que ce moment partagé entre tous soit une belle fête, et de toute façon on trouvera toujours les moyens de continuer la fête tu sais, parce qu’en fait, en résumé, on est vivant alors autant en profiter non ?