Document : Lyon Républicain du 8 février 1921 : « Une université chinoise au fort Saint-Irénée. »

Le 8 février 1921, Edmond Locard (1877-1966) professeur de médecine légale et pionnier de la police scientifique, publiait dans Lyon Républicain un article à propos de l’Institut franco-chinois de Lyon qui devait ouvrir ses portes quelques mois plus tard, en septembre 1921.
Nous reproduisons ici intégralement cet article.
(Merci à Philippe Rassaert, de la Documentation régionale, qui nous l’a communiqué)

Une université chinoise au fort Saint-Irénée

Le Fort Saint-Irénée, dans lequel sont installés les étudiants du Céleste Empire


Les lecteurs du Lyon Républicain savent qu’une Université chinoise va s’ouvrir dans quelques semaines. Les illustrations dont nous leur donnons aujourd’hui la primeur leur permettront de juger quel est le palais où cette école va recevoir ses élèves. Palais considérable par ses proportions, mais non par son faste, et qui risque d’inspirer à ses hôtes quelques tristes méditations sur les ressemblances de la prison et de l’internat. Mais je veux croire que, d’ici au jour prochain cependant de l’inauguration, les façades recevront quelque décoration, et les portes quelque ornement. J’imagine surtout que l’intérieur, qui n’est point encore visitable, va être un modèle de tout ce que l’hygiène moderne a de ressources et de confort. Car il serait affligeant que des jeunes hommes appelés à s’initier aux perfectionnements de la civilisation occidentale trouvassent dans la demeure qui leur est offerte des conditions de propreté et de lumière analogues à celles des maisons de la rue Tramassac ou de la Grande-Côte. Admettons donc qu’il faut faire crédit au visage de ces pierres en faveur de ce qu’elles cachent de future perfection intérieure.
Car attirer des hôtes n’est rien : il importe de les retenir. Si les Chinois ont choisi Lyon de préférence à toute autre ville française, et même à Paris, c’est qu’ils avaient pour cette décision, qu’aux bords de la Seine on juge paradoxale, des raisons sagement muries. Ce sont des Lyonnais, gens d’initiative, qui ont accompli en Chine les seules missions commerciales qui aient porté fruit. Alors que d’autres arrivaient chez eux avec l’intention d’y bouleverser l’ordre établi, avec la prétention d’y former des établissements militaires ou des bases navales, avec la volonté de leur imposer l’achat et la consommation de l’opium récolté aux Indes, qui les empoisonne et qui les ruine, les Lyonnais étudiaient seulement leur commerce, et ne demandaient à connaître de leurs mœurs et de leurs idées que ce qu’il leur plait d’en laisser voir. Ainsi s’établissait un contact sans heurt, et une sympathie agissante où chacun trouvait son bénéfice. Aussi quand il a fallu choisir la ville où l’on irait emprunter à l’Occident ce qu’il a d’avantageux et d’utile, l’idée de venir à Lyon a-t-elle semblé la plus naturelle.
Les élèves chinois viennent donc à nous avec l’idée d’apprendre ce qui leur servira, c’est-à-dire des choses pratiques. Il n’y a qu’à voir dans quelles proportions ils doivent s’inscrire aux diverses écoles pour comprendre que ce sont moins les hautes spéculations qui les passionnent que les connaissances appliquées. Est-ce à dire qu’il faut redouter, comme on l’entend dire déjà le long des cadettes du Griffon, qu’ils risquent de dérober le secret de la fabrication lyonnaise pour monopoliser à leur profit les industries qui font notre fortune ? C’est une plaisanterie : les secrets industriels des rives du Rhône sont le secret de Polichinelle. Il faut s’attendre bien plutôt à ce que le contact permanent de l’élite de la jeunesse chinoise avec nos concitoyens amène entre Lyon et la Chine des relations commerciales extrêmement fructueuses : et il n’est pas besoin d’être grand clerc pour sentir ce que notre foire, en particulier, peut y gagner en devenant le lieu des échanges entre l’Extrême-Orient et l’Europe.
Mais si l’on veut que nous tirions de la présence définitive chez nous de l’Université chinoise tous les avantages moraux et matériels que l’on est en droit d’en attendre, je crois qu’il faut commencer par dorer un peu les grilles de la cage.
Saint-Just ne prête pas extrêmement à l’esthétique. Tout de même, quelques massifs de fleurs et d’arbustes fournis par les services municipaux, un minimum de décoration des entrées, et surtout un soin insistant d’une parfaite hygiène intérieure donneraient à cette demeure sévère de moindres chances d’être confondue avec Saint-Paul ou Saint-Joseph.

Edmond LOCARD.

Un autre Bâtiment de la Cité Chinoise

Lyon Républicain, 8 février 1921