Document : « Maurice Courant au service de l’IFCL : une contribution sous-estimée »

Ce texte est le verbatim d’une communication donnée aux journées DocAsie, le 22 juin 2023, au Collège de France, par Olivier Bialais, responsable du fonds chinois de la bibliothèque municipale de Lyon.

Maurice Courant au service de l’IFCL : une contribution sous-estimée

 

Si Maurice Courant (1865-1935), coréanologue, sinologue et pédagogue français semble un peu oublié en France, il est favorablement connu en Corée du Sud et a plutôt une mauvaise image en Chine populaire.

Étant depuis bientôt dix ans employé au fonds chinois de la bibliothèque municipale de Lyon, je parcours régulièrement les archives et les documents de l’Institut franco-chinois de Lyon, dont Maurice Courant fut l’une des, sinon la cheville ouvrière.

Or, j’ai pu remarquer, du fond de mon observatoire privilégié, que si les Coréens ont généralement une haute estime pour lui et les recherches qu’il effectua dans divers domaines de la culture de leur pays (qui aboutirent notamment à la publication de sa monumentale Bibliographie coréenne), les Chinois, eux, semblent, au mieux, l’ignorer et, au pire, le considérer avec réprobation.

Cette différence de perspective m’a incité à me pencher sérieusement sur son cas en explorant les documents d’archive dont j’ai la charge.

Je suis loin d’avoir terminé ce projet, et j’ai donc voulu aujourd’hui faire une sorte de point d’étape et donner mes premières impressions sur l’origine du désamour des Chinois pour Maurice Courant.

Mais je ne peux pas décemment continuer cette présentation sans rendre hommage au regretté Daniel Bouchez (1928-2014) dont le magistral article biographique, paru en 1983 dans le Journal Asiatique, a remis Maurice Courant à l’honneur : c’est, à ce jour, le document de référence à son sujet.

Je salue aussi la thèse de doctorat de Zhou Zhe, soutenue à l’EHESS en 2021, qui a pour sujet l’histoire de l’IFCL et rend justice à la réelle contribution de Maurice Courant à cette institution.

Le premier point à souligner est que Maurice Courant est omniprésent dans les archives de l’Institut franco-chinois de Lyon (IFCL). Il est l’auteur d’une part massive des lettres conservées, et les sujets qu’elles abordent sont innombrables : entretien matériel du fort Saint-Irénée, lettres aux fournisseurs, courriers aux élus, comptabilité, relances des donateurs chinois, demandes de financement au gouvernement français, suivi des études, corrections de devoirs, soutien moral, discipline…

Dès que l’on met le nez dans les dossiers, on s’aperçoit de la tâche immense qu’a représenté pour lui la gestion de l’Institut pendant des années, en plus des cours de chinois qu’il donnait à l’université et à l’École coloniale de la chambre de commerce.

Le second point est de dire qu’il fut présent à l’Institut dès avant sa création – l’Université de Lyon le chargea officiellement de négocier avec la partie chinoise le 10 juillet 1920 – et qu’il y sera actif jusqu’à son accident vasculaire cérébral de 1934 qui le laissa infirme jusqu’à sa mort. C’est – j’insiste sur ce point – la période la plus difficile qu’ait connue l’Institut (qui dès ses débuts faillit fermer à plusieurs reprises par manque d’argent).

Si l’on ne considère que les étudiants arrivés à l’Institut jusqu’à la fin de 1932, et qui ont donc passé au moins un an avec Maurice Courant, on en compte 341, soit 72 % de l’effectif total (473 en tout), dont 95 docteurs (72 % de leur nombre total).

En étant plus strict et en ne retenant que ceux qui sont partis de l’Institut avant sa mort, on arrive à 309 étudiants, soit 65 % du total qui ont fait toutes leurs études sous sa supervision, dont 79 docteurs (60 % du total).

On voit ainsi que c’est pendant la période matériellement la plus précaire, comprenant les étudiants au niveau initial le plus faible (beaucoup parlaient à peine, voire pas du tout, français en arrivant à Lyon), que la majorité des pensionnaires de l’Institut, dont ceux qui ont obtenu un doctorat, a été formée.

On aurait donc pu croire – naïvement peut-être – que les efforts incessants pour maintenir la bonne marche de l’IFCL et la réussite des étudiants qui lui était confiés, auraient pu valoir à Maurice Courant la reconnaissance des élèves et des promoteurs chinois de ce projet éducatif.

La réalité est bien différente.

En septembre 1921, c’est Wu Zhihui qui prend la direction de l’IFCL, comme le prévoient les statuts de l’Institut. Mais il fait face à la colère des étudiants chinois présents en France qui sont exclus de l’Institut alors qu’ils pensaient pouvoir y entrer, selon ce que l’on leur avait plus ou moins clairement laissé entendre dans le passé. Il est également exposé au mécontentement d’une part des étudiants de l’Institut. Dans ces conditions, il préfère quitter la France sans toutefois démissionner. Il laisse ainsi, de facto, la gestion de l’Institut à Maurice Courant. Mais une part des étudiants reprochent à ce dernier une sorte de prise de pouvoir autoritaire sans se rendre compte que sans lui, l’Institut n’aurait pas survécu plus de quelques semaines.

Ce problème entre Wu Zhihui et Maurice Courant explique sans doute en grande part l’image de ce dernier en Chine. En effet, Wu Zhihui, Li Shizeng et Cai Yuanpei y étaient les principaux responsables de l’éducation à cette époque. Un étudiant chinois arrivant de France n’avait sans doute pas intérêt à étaler sa gratitude envers Maurice Courant s’il souhaitait obtenir un poste intéressant dans l’enseignement supérieur…

C’est pour le moment une simple spéculation, mais elle n’est pas contredite par l’attitude de certains élèves qui donnaient du « mon cher Maître » à Maurice Courant durant leur séjour à Lyon, puis dirent du mal de lui ou l’oublièrent une fois revenus dans leur patrie.

Ainsi, Xu Songnian écrivit en 1936 dans son livre Dix ans Outre-mer que Maurice Courant fit preuve d’une attitude ridicule et déplacée lors d’un incident impliquant les étudiantes au début de l’histoire de l’Institut. À cette époque, Wu Zhihui était encore sur place. Maurice Courant aurait donc, selon le jeune écrivain, publiquement mis en doute la moralité d’une étudiante qui laissait entrer un jeune garçon dans sa chambre et aurait ainsi gravement nui à sa réputation. Cela aurait mis en fureur Wu Zhihui qui aurait confronté Maurice Courant, ce dernier aurait perdu contenance une fois mise en lumière son attitude honteuse.

À la lecture des archives, cependant, il semble bien que l’histoire se soit passée un peu différemment. On y voit que :

1. Mme Sœur, surveillante du dortoir des femmes, écrit à Maurice Courant pour lui rapporter que les étudiantes chinoises ont une attitude un peu légère vis-à-vis des hommes, qui nuit à la réputation de l’IFCL parmi la population locale. Elle parle aussi du « jeune Ma » qui est très fréquemment dans la chambre de Mlle Julia Fang (Fang Yun, étudiante no 8).

2. Maurice Courant répond à Mme Sœur qu’il va écrire à Wu Zhihui pour qu’il décide quoi faire. Il le fait en précisant qu’il ne pense pas que ces faits soient graves individuellement, mais que l’ensemble donne une mauvaise image et qu’il vaudrait mieux prendre des mesures pour éviter des « conséquences fâcheuses ». Il veut laisser Wu Zhihui décider de la marche à suivre en s’en remettant – littéralement – à sa sagesse et à son expérience.

3. En réponse, Wu Zhihui fait afficher la lettre de Courant dans la salle de repos de l’Institut, à la vue des élèves, puis se plaint dans une lettre à celui-ci des conséquences fâcheuses que l’action de Courant a eu sur la réputation des personnes mentionnées… Il y ajoute toute une leçon de morale dans un anglais approximatif (technique habituelle de sa part pour dénigrer les compétences de Courant en chinois), sans répondre aux questions posées initialement.

4. Courant lui répond simplement qu’il s’agit d’un malentendu. Réponse brève, qui me semble montrer qu’il estime que Wu Zhihui est clairement de mauvaise foi et qu’il n’est pas utile d’épiloguer.

L’attitude, à mon sens respectueuse, de Maurice Courant qui ne veut pas prendre de décision qu’il estime être du ressort du directeur n’est pas payée de retour. Sa discrétion habituelle est, elle aussi, mise à mal par Wu Zhihui qui n’hésite pas à afficher sa lettre confidentielle pour essayer de le discréditer aux yeux des étudiants.

Cette attitude hostile de Wu Zhihui vis-à-vis de Maurice Courant, dès son arrivée à Lyon, est fréquemment présente dans les documents conservés.

Au contraire, on voit Maurice Courant refuser de se substituer au directeur, même lorsque ce serait plus confortable pour lui (par exemple pour l’organisation de l’ouverture de l’Institut, lorsque Wu Zhihui est sur le paquebot qui l’amène en France avec le premier groupe d’étudiants chinois).

Dans le même passage du livre, Xu Songnian affirme que son ex-« cher Maître » avait tout fait pour retarder la soutenance de sa thèse de doctorat d’université, laissant son mémoire dormir plus de six mois dans son tiroir avant de consentir à le présenter au visa de l’université.

Si l’on examine le dossier de Xu Songnian, on y lit clairement que Maurice Courant demande au recteur l’autorisation pour cet étudiant de présenter son mémoire sous forme de tapuscrit afin de gagner du temps (un mémoire imprimé était normalement exigé) et qu’il le présente pour le visa le 27 décembre 1929. Xu Songnian a soutenu le 17 janvier 1930. Or, dans une lettre de novembre 1929, deux mois seulement avant la soutenance, sa thèse est dite « fort avancée », c’est-à-dire qu’elle n’est pas encore terminée... De plus, Xu Songnian étant ensuite reparti en Chine, c’est Maurice Courant qui se chargea de faire imprimer cette thèse, passant beaucoup de temps à en corriger les épreuves.

Selon Xu Songnian, c’était son lien de parenté avec Wu Zhihui qui expliquait pourquoi Maurice Courant s’acharnait sur lui : n’ayant le courage de s’attaquer au directeur en personne, il se vengeait ainsi par procuration.

Cette façon d’honorer publiquement la mémoire de Maurice Courant en Chine, un an à peine après sa mort, et après toute l’aide qu’avait apportée le professeur à son élève lors de ses études et de la rédaction de sa thèse ne laisse pas de surprendre.

Maurice Courant disait à Xu Songnian dans une lettre précédant son départ qu’il le considérait désormais davantage comme un ami que comme un élève. L’ami lui en a su gré.

Mais, à ma connaissance, le cas le plus frappant par sa démesure frontale est celui de He Qichang (étudiant no 94), docteur en médecine, venu se perfectionner à Lyon en 1921. Il s’estime constamment maltraité par Maurice Courant et s’en ouvre par courrier à l’intéressé et aux autorités universitaires.

Le 21 juin 1924, il écrit ainsi au président Lépine pour se plaindre de la façon dont Maurice Courant traite sa demande de rapatriement, en particulier il estime que lorsque ce dernier applique le règlement en ne lui proposant qu’un billet de 4e classe, il méprise son statut de médecin.

[…]
Je ne puis insister auprès de monsieur M. Courant à ce sujet, car je le suppose soit ignorant de nos intérêts, peut-être même hostile à tout ce qui peut être bon ou avantageux aux étudiants.
Je veux bien croire que notre institut n’est pas riche, mais il n’est pas non plus très pauvre, car on fait de coûteuses réparations pour le logement de monsieur l’économe ainsi qu’à la chambre de monsieur Courant.
Il y a une chose très curieuse que je qualifierai même de ridicule : monsieur Tsen [Zeng Zhongming] m’a dit que monsieur Courant avait acheté beaucoup de chemises pour les étudiants avec l’intention de leur distribué [sic]. Cela me paraît sans raison !… Mais l’ignorez-vous peut-être… […]
Monsieur Courant m’a répondu qu’il était dans son droit et que ma réclamation était sans appui raisonnable : je ne crois pas cependant que la loi française approuve cette réponse, c’est plutôt monsieur Courant qui fait sa loi.
Ces choses sont de peu d’importance, je sais des choses plus graves, mais je ne puis vous les déclarer maintenant.
C’est pour ces différentes causes je [sic] ne veux et ne peux adresser cette demande à monsieur Courant.
Bien au contraire, monsieur le Président je vous honore de mon plus profond respect aussi j’ai confiance que vous voudrez bien m’accorder votre bienveillant appui pour me permettre d’obtenir les deux choses que je réclame selon le droit.
Veuillez agréer, monsieur le Président, mes salutations très sincères et bien respectueuses.

La réponse de Jean Lépine – lui aussi médecin – ne fait pas mystère de son agacement :

Monsieur,
J’ai bien reçu votre lettre du 21 juin et je m’occupe avec le Bureau des demandes relatives à votre rapatriement et à votre bourse.
Mais je tiens à vous indiquer ainsi qu’à vos camarades éventuellement que vous êtes dans une erreur absolue pour tout ce que vous me dites relativement aux intentions et aux actes de M. Maurice Courant. Celui-ci donne tous ses soins jusqu’à compromettre sa santé pour rechercher les moyens de protéger les étudiants chinois contre les conséquences d’une situation qui n’est due qu’au manque de parole des autorités de leur pays. En les méconnaissant d’une manière grave comme vous le faites dans votre lettre, vous faites preuve d’ignorance, d’ingratitude et de manque d’esprit de jugement, ce qui n’est pas digne des philosophes de votre pays.
Les réparations qui ont été faites à différents logements de l’Institut l’ont été sur la décision du Bureau et aucune n’a été engagée sans autorisation. Quant au linge dont vous avez appris l’existence, cette acquisition a été faite par le Bureau pour remédier à certaines situations personnelles de plusieurs de vos camarades de la manière la plus discrète qui soit. Ce qui est ridicule, ce n’est pas cette mesure comme vous le dites, mais c’est qu’elle puisse vous choquer. Je vous prie de vouloir bien communiquer à vos camarades que malgré toute ma bienveillance pour leur situation et les efforts que j’ai faits pour l’améliorer, je commence à être vraiment las de leur ignorance, de leur perpétuel esprit de réclamation, de leur ingratitude pour ceux qui s’occupent d’eux et de l’inconvenance qu’ils apportent parfois dans leurs demandes comme vous-même dans votre lettre à laquelle j’ai tenu à répondre par une formelle protestation.
Il ne faut pas vous dissimuler que si vous ne comprenez pas la nécessité de changer absolument, vous découragerez toutes les sympathies. Je vous prie de croire malgré tout que je suis entièrement dévoué à tout ce qu’il peut y avoir de légitime dans ce que vous nous demandez.

Quelle fut la réaction de He Qichang à cet avertissement ? Prit-il en compte le point de vue du président de l’association ?

Je vais vous laisser juger en traduisant un extrait de la lettre manuscrite en chinois que le bon docteur envoya dans la foulée à Maurice Courant :

« Je n’avais d’abord pas cru que la gestion de l’Institut nuisît à votre santé, mais aujourd’hui je comprends enfin que vous êtes vraiment malade, et qu’il s’agit sans le moindre doute possible d’une maladie mentale. Sinon, comment les choses tourneraient-elles toujours ainsi ? »

(Dans la conclusion, il dit que si le faible niveau de chinois de M. Courant, dont il aime pourtant à se vanter, ne lui permet pas de comprendre la lettre, il peut demander de l’aide à un traducteur qualifié…)

Sans toujours atteindre à de telles extrémités, les critiques constantes que subit Maurice Courant, l’incitent à donner sa démission en 1923, suite à une lettre du rédacteur de l’Institut, M. Li Guangyu :

Lyon, le 25 juin 1923

Monsieur le Président,
Je ne m’émeus pas outre mesure des attaques de M. LI Kuang-yu, d’autant plus que soit comme administrateur de l’Association, soit dans la direction intérimaire qui m’a été pour ainsi dire imposée, j’ai toujours eu soin d’agir en conformité des instructions du Bureau.
Mais mon rôle ne peut être rempli que si j’ai sur les étudiants une autorité morale suffisante ; les attaques dont je suis l’objet la diminueront de façon fâcheuse et réduiront l’efficacité de mon action.
C’est avec cette crainte dans l’esprit que je vous prie de faire agréer au bureau ma démission.
Croyez je vous prie, Monsieur le Président, à mes sentiments de considération.
Maurice Courant
[Note manuscrite au crayon en haut à gauche : « retiré après retrait de la lettre Li Kw-y. »]

Il faut savoir, en outre, qu’il existait de fortes rivalités entre les étudiants envoyés par Pékin et Canton, chaque groupe dépendant d’un gouvernement distinct et jouissant de conditions d’existence particulières à Lyon (les Cantonnais étant presque tous boursiers, par exemple).

Ces différences, également linguistiques (les langues régionales n’ayant pas encore été autoritairement remplacées par la « langue commune »), pouvaient s’atténuer en trouvant un ennemi commun.

Maurice Courant était ainsi une cible idéale pour concentrer les griefs des étudiants, pourtant principalement causés par les promesses de financement non tenues (ou partiellement tenues, en retard) par les différentes autorités chinoises.

Ainsi, Maurice Courant, bien qu’il assurât le bon fonctionnement de l’Institut dans des conditions très difficiles, leur apparaissait comme l’empêcheur de tourner en rond, autoritaire et pingre, qui ne consentait pas à appliquer les projets mirifiques, financés par des promesses, de Wu Zhihui. Rappelons que si ce dernier avait pris la clef des champs dès la survenue des premières difficultés, il ne s’interdisait toutefois pas de se manifester de temps à autre pour exprimer son désaccord avec la gestion française de l’Institut.

En lisant les archives, on s’aperçoit que la position de Courant est simple : il refuse les passe-droits, mais applique les règles avec le maximum d’indulgence pour les élèves méritants. De même, il se met en quatre pour aider dans leurs études les pensionnaires travailleurs. Il ne profite pas de sa position pour se venger des attaques qu’il subit, comme on peut le constater dans le dossier d’un étudiant qui l’a pourtant ouvertement injurié dans un journal chinois. Enfin, il mesure sans cesse ce que coûtent les décisions qu’il prend. Il est aussi beaucoup plus sévère en façade, dans ses lettres aux étudiants, que dans la coulisse, lorsqu’il discute des mêmes problèmes avec les autres membres de l’Institut : là, il fait souvent preuve d’indulgence. Mais comme il tient à maintenir son apparence de sévérité qui lui semble être le meilleur moyen d’éviter l’inflation de revendications qui se seraient traduites en déficits budgétaires, sa bonne volonté n’apparaît sans doute qu’aux yeux des étudiants les plus fins.

Une lettre de Maurice Courant à Jean Lépine, en date du 1er septembre 1924, résume assez bien cela :

[…]
Je m’efforce de soutenir M. Tseng [Zeng Zhongming] dans ce rôle ingrat en lui faisant voir et lui donnant le moyen de montrer la volonté du Bureau et du Ministère, en cédant chaque fois qu’une bonne raison m’est donnée.
[…]
Il faut cependant que la discipline soit respectée : si je devais renoncer à établir en définitive une discipline‚ un ordre régulier, je n’aurais qu’à me retirer.
Or c’est la discipline que repoussent les étudiants chinois en général. Nous en avons heureusement un bon nombre qui sont travailleurs et naturellement rangés. Mais d’autres, intelligents et travailleurs aussi, sont imbus des idées courantes en Chine. Ceux-là dirigent les bagarres et y paraissent peu, se montrent à la fin pour prêcher la paix.
[…]
Chez tous les étudiants, même chez les plus calmes, on sent le même mépris superbe de ce qui n’est pas étudiant.
[…]
Je ne veux pas laisser les étudiants faire la loi ; de là une campagne continue contre M. Chaudron qui est mon œil et ma main ;
[…]
On cherche par tous moyens à l’opposer à M. Tseng, à le compromettre à mes yeux et aux vôtres en même temps qu’on m’accuse près de vous ;
[…]
Il y a aussi ce que j’appellerai le thème de l’insulte : on n’a pas parlé convenablement aux étudiants‚ on a usé envers eux d’un ton méprisant. Ce sont là procès de tendances et je conteste à tous les étudiants que nous avons, la capacité d’interpréter exactement ce qui n’est qu’affaire de nuances. Quand j’entends M. Tseng, parlant à moi-même, confondre honorifique avec honoraire et un visage ridicule avec un visage souriant, comment les étudiants pourraient-ils comprendre plus juste ?
Ce qu’ils oublient, ce sont les termes grossiers ou méprisants employés par eux à l’égard d’ouvriers travaillant au fort, à l’égard du concierge, leurs querelles avec le cuisinier, avec les domestiques chinois, leurs violences, canne levée, coups de poing dans les bagarres de fin mars et du 15 juin. Malgré leurs sentiments de justice et de démocratie, ils créent une position intenable aux Français qui les entourent et qu’ils traitent comme des inférieurs.

Lorsqu’il mourut en 1935, aucun hommage ne semble avoir été organisé par l’Institut, du moins n’en ai-je pas encore trouvé trace. Pas même de mention dans les réunions du bureau (contrairement à ce qu’il s’était passé l’année précédente lors de la mort de Benoît Favre, directeur de 1926 à 1929), si ce n’est pour lui trouver un remplaçant. Il n’eut droit qu’à quelques brèves nécrologies, souvent inexactes, dans certains journaux.

Désormais, il reste à approfondir cette étude. Néanmoins, dans l’état actuel de mes connaissances, il me semble que l’image négative que nombre de Chinois ont à l’égard de Maurice Courant n’est pas fondée sur des éléments concrets mais héritée de celle que lui donna Wu Zhihui.

J’espère pouvoir un jour la rendre plus conforme aux faits que nous exposent les archives de l’Institut, même s’il faut pour cela secouer un peu quelques légendes.

Olivier Bialais

 

Bibliographie sélective :

 
Arthur Kleinclausz, Éloge funèbre de M. Maurice Courant. (1935)

Daniel Bouchez. « Un défricheur méconnu des études Extrême-Orientales : Maurice Courant (1865-1935) ». Journal Asiatique, 1983, no 271, p. 43-150.

ZHOU Zhe, Les hôtes du fort Saint-Irénée : les étudiants chinois de l’Institut franco-chinois de Lyon 1921-1950, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2021.

Édition numérique du Répertoire historique de l’administration coréenne de Maurice Courant par CRC-EHESS, CCJ-CNRS :
- sur HumaNum en France ;
- sur AKS en Corée.

Maurice Courant, Une amitié pour la Corée : « Cher Monsieur Collin de Plancy »
Préfaces d’Alain Delissen, de Kim Intaek et de Chung Chul Heon
Textes réunis et édités par Alain Delissen, No Mi-Sug, Lee Eunryoung et Lee Sang-Hyun
Collège de France, Institut d’études coréennes, collection « Kalp’i – Études coréennes »,
octobre 2017, 263 pages.