Document : le Progrès du 27 septembre 1921 : « "En retenue" au Fort de Montluc. »

Le 27 septembre 1921, paraissait dans Le Progrès un article consacré aux « postscolaires » chinois retenus au fort Montluc de Lyon.
Le voici reproduit dans son intégralité.


« En retenue » au Fort de Montluc

______

LES POSTSCOLAIRES FRANCO-CHINOIS ATTENDENT LA DÉCISION DES GOUVERNEMENTS

Phot. Progrès
Sous l’œil des gardes, les « retenus » du fort de Montluc méditent

 

L’incident se poursuit sans autres incidents que des palabres et des coups de téléphone. Un seul fait nouveau : les postscolaires protestataires ne sont plus libres de sortir à leur gré du fort Montluc. Mis en retenue, ils doivent montrer patte blanche, c’est-à-dire une permission, en bonne et due forme, de la préfecture, s’ils veulent passer la grille et circuler en ville.
Pareille rigueur semble de mauvais augure pour le succès de leurs revendications. Le conseil de l’Institut franco-chinois de Lyon n’a pas modifié son point de vue. L’insistance des postscolaires à revendiquer publiquement leur admission, loin de fléchir sa décision, l’aurait rendue irrévocable.
M. Li-Tchuin, vice-consul de la légation de Chine à Paris, et M. Wood, directeur de l’Institut de Lyon se sont rendus hier matin au fort Montluc. Trois heures durant, ils ont discuté avec les étudiants protestataires. Ces derniers restent fermes sur leur droit d’être admis à l’Institut de Lyon, de même du reste qu’à celui de Charleville1, fondé dans les mêmes conditions pour y parachever leurs études.
Ils arguent toujours des promesses qui leur ont été faites par la Société franco-chinoise d’éducation, par les plus hautes personnalités françaises, par la légation de Chine même et qui les auraient déterminés à s’expatrier en France.
Et la détention qu’ils subissent depuis deux jours n’a point, on le comprend, apaisé les esprits.
Dans l’après-midi, le maire de Lyon a reçu leurs délégués. Il les a écoutés avec bienveillance, prenant note de leurs observations.
Puis M. Edouard Herriot a téléphoné aux Affaires étrangères pour appeler l’attention du ministre sur l’urgence d’une décision gouvernementale.

Le maire de Lyon entend que l’incident soit clos au plus vite
Nous avons demandé au maire de Lyon si une solution de cet incident déplorable était en vue et quelle elle devait être :
– L’incident n’est pas nouveau, dit-il. Depuis des mois il traîne entre les ministères, les légations, devant la commission des finances de la Chambre. À force de se défiler devant les responsabilités, et d’ajourner la décision utile, l’on arrive à la situation aiguë qu’on voudrait bien imposer à Lyon.
La municipalité, ni moi-même personnellement, nous n’avons rien à voir là-dedans. Nous n’avons pas marchandé notre concours aux œuvres d’expansion intellectuelle franco-chinoises, mais nous ne nous sommes engagés que dans des conditions très précises et pour des choses que nous étions sûrs de tenir et que nous avons tenues. C’est ainsi que nous avons coopéré à la fondation de l’Institut franco-chinois de Saint-Irénée. Cet établissement débute sur un statut formel, nous n’acceptons pas la responsabilité d’étendre un programme sagement étudié et pour lequel nos ressources sont extrêmement limitées. Ce serait compromettre dès le premier jour l’œuvre à laquelle nous nous sommes attachés.
Au fond, tout se réduit à une question d’argent. La ville de Lyon n’a aucune raison de prendre à sa charge ni la centaine d’étudiants qui ont voulu s’imposer à l’Institut, ni les quatorze cents autres qui n’attendent sans doute que le succès des premiers pour accourir à leur tour.
Déjà la France a fourni quatorze cent mille francs de subsides à ces jeunes gens. Au gouvernement de dire s’il veut continuer ces largesses. Quant au gouvernement chinois, il fait la sourde oreille. Il faut pourtant en finir... et nous allons essayer de débrouiller, une bonne fois pour toutes, cet embrouillamini insupportable... qui n’est à aucun titre de notre fait.
La situation ne saurait se trancher qu’à Paris.
Je pars ce soir et il ne tiendra pas à moi que l’incident se prolonge un jour de plus.

Au conseil municipal
L’incident des postscolaires – qui tourne un peu au casse-tête chinois – a eu son écho hier soir au conseil municipal, réunion en commission générale.
Sur une question de M. Février, M. le maire a exposé quelle était la position actuelle des étudiants protestataires au regard de l’Institut franco-chinois de Lyon. Ces jeunes gens ne remplissent aucune des conditions exigées pour l’admission à l’Institut. Il n’appartient pas à la ville de Lyon de tenir les promesses qui peuvent leur avoir été faites. D’autant que la charge serait considérable et de durée indéfinie. La municipalité a fait et fera de son mieux pour résoudre la difficulté, mais c’est aux deux gouvernements chinois et français de faire le nécessaire et au plus vite.
M. Charial observa : « Si des promesses ont été faites aux jeunes Chinois, il convient de les tenir. Leur protestation publique ne saurait être invoquée contre eux et faire rejeter leur revendication si elle est légitime. »
C’est le bon sens même, M. Edouard Herriot promit d’insister auprès du gouvernement pour que l’incident soit clos au plus vite et définitivement.


1. Il s’agit en fait de Charleroi, en Belgique (note du fonds chinois).

Le Progrès, 27 septembre 1921