Romans
Face à un futur incertain et parfois effrayant la SF intervient comme une sorte de vivier d’exploration des possibles. Qui sait, notre futur réside peut-être entre les pages d’un de ces romans ?
Pour reprendre l’expression de Paul Ricœur, les utopies sont « un exercice d’imagination pour penser autrement », elles réfléchissent à d’autres options, mais surtout elles redonnent espoir là où les discours scientifiques se font souvent défaitistes. Non contrainte par les règles de faisabilité ou les limitations techniques comme le sont les scientifiques, la SF nourrit l’imagination de ceux-ci et des générations futures.
Autrefois méprisée des élites, considérée comme une sous-littérature, la science-fiction est désormais prise au sérieux quand il s’agit de penser le futur et de réfléchir à des alternatives pour sortir des crises politiques, sociales ou écologiques actuelles et de plus en plus les auteurs de SF sont mobilisés par les pouvoirs publics pour réfléchir de concert avec les scientifiques sur la façon d’améliorer notre avenir.
Une forme de guerre, La Culture

Iain M. Banks
Cycle de romans pouvant se lire indépendamment, La Culture parle d’une société utopique pan-galactique au sein de laquelle hommes, extra-terrestres, robots et I.A. cohabitent en harmonie et bénéficient des mêmes droits. Adoptant une position anarcho-libérale La Culture est une société qui a mis la technologie au profit de tous pour éradiquer maladie, mort, pauvreté et inégalités. Pour ce faire, administration des richesses et décisions politiques sont confiées aux Mentaux, intelligences artificielles bienveillantes et incorruptibles.
Avec dix romans, Banks traite de la notion de société utopique dans le détail. Un monument pour quiconque s’intéresse vraiment à ce sujet.
Apprendre, si par bonheur

Becky Chambers
Après des décennies de SF pessimiste nous dépeignant un futur gris et souvent totalitaire, sous la plume de Becky Chambers s’élève un genre nouveau avec une science-fiction positive.
Dans Apprendre, si par bonheur, Becky Chambers met en scène un futur assez proche de celui imaginé par Gene Roddenberry avec Star Trek. Un avenir fait de tolérance dans lequel l’humanité voyage de planète en planète à la rencontre d’autres cultures dans l’espoir d’accroître sa connaissance et de s’améliorer sans cesse pour peut-être un jour pouvoir répondre à l’éternelle question : « Pourquoi ? ».
Roman assez court, Apprendre, si par bonheur se présente comme le journal de bord d’une exploratrice humaine qui traverse les galaxies à bord d’un vaisseau en compagnie de trois autres astronautes dans une quête de savoir sans fin. Dans ce roman l’utopie prend la forme atypique d’une ode à la connaissance et à la science qui sait emporter son lecteur.
Ecotopia

Ernest Callenbach
Publié en 1975, Ecotopia d’Ernest Callenbach est le tout premier roman abordant la notion d’utopie verte. En mettant en scène des états américains ayant fait sécession pour adopter un mode de vie résolument vert après des années d’exploitation des ressources, de maladies liées à la pollution et de destruction du tissu social. Loin de prôner une société coupée de la technologie et des sciences, Callenbach dépeint une société ayant choisi de les mettre au service de la santé, du bien-être social et de la préservation des écosystèmes.
Aujourd’hui le statut d’Ecotopia a changé. On en parle comme du livre qui avait prévu le 21e siècle et qui a inspiré les politiques alternatives de Portland ou de San Francisco. Désormais étudié dans la plupart des universités américaines dans les cursus d’ingénierie, de sociologie, de sciences politiques, d’urbanisme, et bien évidemment des sciences environnementales, Ecotopia a quitté le statut d’utopie pour devenir l’un des projets à adapter pour sortir vivants de l’anthropocène.
Normal

Warren Ellis
Normal Head est un institut psychiatrique conçu pour accueillir ceux dont le travail consistait à prévoir et orienter l’avenir de l’humanité, mais dont l’esprit a été brisé par le futur qu’ils ont entrevu : consultants en géopolitique, gourous des nouvelles technologies, urbanistes ou même stratèges militaires.
Après avoir lui aussi « fixé l’abîme », Adam Dearden est envoyé à Normal Head. Le soir même, un malade disparaît pour ne laisser à sa place qu’une nuée d’insectes. S’en suit une enquête hallucinée menée tambour battant par une poignée de patients persuadés qu’il s’agit bien évidemment d’une conspiration à l’échelle planétaire qui se joue ici. À Normal Head, entre les délires paranoïaques des malades et un réel dominé par les nouvelles technologies, on se rend compte que la frontière est bien mince, voire même poreuse… Au fil du texte, le lecteur se fait embarquer dans l’agitation maniaque de ces enquêteurs auto-proclamés et ses repères se brouillent, comme s’il était lui aussi en train de sombrer.
Un thriller d’anticipation cyberpunk décalé et jubilatoire comme sait si bien le faire le créateur de Transmetropolitan.
Futu.Re

Dmitry Glukhovski
L’histoire de Jan, matricule 717 au sein de la Phalange, se déroule dans une Europe futuriste surpeuplée devenue une seule et unique mégalopole recouverte de tours vertigineuses dans lesquelles s’entassent quelques cent-vingt milliards d’habitants. Son quotidien bascule lorsqu’on lui confie une tâche qui sort de ses attributions : tuer le leader des activistes du Parti de la Vie, avec à la clef une belle promotion. Cette mission, qui devait être d’une simplicité enfantine pour l’homme violent et détaché qu’il est, va s’avérer bien plus délicate que prévu et bouleverser le cours des choses.
Avec ce roman brutal et saisissant, Dmitry Glukhovski nous propose une vision très sombre du futur qui fait écho à des problématiques résolument actuelles. Dans cet univers qui a mis l’image de soi et la perfection physique au centre de ses préoccupations, les hommes se sont transformés jusqu’à n’être plus que des créatures vaines et incapables de réels sentiments, ou cherchant à les faire taire à coup de "pilules de sérénité". Plus de pitié, d’acceptation de la différence ou de geste désintéressé. Tout n’est que narcissisme, mépris et violence. Avec Futu.Re, Dmitry Glukhovski s’interroge sur ce que nous deviendrons le jour où nous ne pourrons plus mourir.
Le regard

Ken Liu
Le Regard est un court roman dans lequel on suit Ruth Law, une ex-flic devenue détective privé, embauchée pour enquêter sur le meurtre d’une jeune prostituée. Avec ce livre, Ken Liu ne met pas tant l’accent sur l’enquête policière que sur les rapports entretenus par les différents protagonistes à la notion d’homme augmenté et aux améliorations corporelles. Ainsi, Ruth se transforme de plus en plus en cyborg, se coupant de toute émotion à l’aide d’un Régulateur, et se forgeant un corps comme on forgerait une arme — à coup de pistons, de tendons composites et de muscles artificiels ; alors que le personnage du tueur semble complètement hermétique à ces modifications qu’il considère comme étant les signes d’un esprit déficient.
Le Regard est un récit qui se lit d’une traite, et qui s’interroge sur la manière dont le regard que l’on porte sur soi et sur les autres peut influer sur notre tendance à accepter, ou à rejeter, les améliorations corporelles à venir. Un roman résolument ancré dans des préoccupations actuelles qui ne manquera pas de vous embarquer dans son univers froid dans lequel nos sentiments sont devenus nos points faibles.
L’enfance attribuée

David Marusek
Dans ce futur fait d’assistants personnels artificiels intégrés dans les psychés de chacun, de projections holographiques et de contrôles génétiques étatiques par l’intermédiaire de drones-sangsues, Sam rencontre Eleanor. Ils tombent éperdument amoureux et ont la surprise de se voir attribuer un permis de procréation. Cela signifie qu’ils vont pouvoir aller sélectionner un embryon sur catalogue et le modéliser génétiquement jusque dans ses moindres détails pour créer l’enfant de leurs rêves. Mais dans ce monde sur lequel règnent la génétique et les IA, un rien peut tout changer…
Avec L’enfance attribuée qui a été nominé lors de sa 1e parution pour de nombreux prix (Hugo, Sturgeon, Grand Prix de l’Imaginaire) David Marusek signe un texte captivant sur le devenir de l’homme dans une société parvenue à éloigner la mort à grands coups de régénérations cellulaires ou de corrections génétiques. Un roman à l’univers cohérent peuplé de personnages bien écrits pour lesquels le paradis technologique vire au cauchemar à cause d’un simple glitch.
Trop semblable à l’éclair

Ada Palmer
L’action du roman d’Ada Palmer, romancière acclamée outre Atlantique, se passe au XXVe siècle, sur notre bonne vieille terre. En trois siècles, la société humaine a bien changé. Plus de nations, de familles ou de groupes religieux, mais une organisation en ruches, sortes de castes que les hommes et femmes rejoignent en fonction de leurs affinités politiques, culturelles, ou philosophiques. Mais dans cette "société parfaite" parvenue à éradiquer la pauvreté, la faim, les conflits armés, ou même la pollution, les luttes intestines pour le pouvoir font toujours rage. Du coup, quand un document contenant la liste des dix personnes les plus influentes de la planète est volé avant sa publication officielle, document en fonction duquel chaque ruche avance ces pions sur l’échiquier mondial, on dépêche Mycroft Canner, un homme condamné à servir la société pour avoir commis un crime, pour tirer l’affaire au clair. Lorsqu’il rencontre un enfant capable de donner la vie aux objets inanimés, tout se complique.
Avec Trop semblable à l’éclair, Ada Palmer donne vie à un univers d’une incroyable complexité dont chaque partie a été soigneusement pensée. Outre cette richesse, ce livre possède un style vraiment atypique puisqu’il est bâti sur le modèle de Jacques le fataliste de Diderot et fortement influencé par le siècle des Lumières. Ada Palmer parvient ainsi à plonger le lecteur dans une atmosphère technologico dix-huitièmiste véritablement captivante, et l’on se dit qu’elle mérite amplement les éloges reçus par la critique.
Les machines fantômes

Olivier Paquet
Les IA sont partout. Nul ne leur échappe. Entre de mauvaises mains, qu’adviendrait-il ? Le nouveau roman d’Olivier Paquet nous embarque aux côtés de quatre personnages reliés aux IA d’une façon ou d’une autre : un animateur de marchés boursiers, une pop star aux millions de followers, un ex-militaire travaillant au développement de munitions intelligentes et une joueuse de MMORPG. Tous sont confrontés à un maître de la manipulation qui pénètre leurs vies aidé par des IA qui semblent être devenues bien plus qu’un simple outil. Face à cette menace, les hommes — que le numérique a petit à petit coupés les uns des autres, vont devoir réapprendre à tisser des liens s’ils veulent espérer survivre.
Un techno-thriller intelligent et efficace qui flirte parfois avec le roman d’espionnage. L’intrigue est bien ficelée tient en haleine de la première à la dernière page. Un roman qui ravira autant les amateurs de polar que les afficionados de SF.