Tremplin poétique

Le Tremplin Poétique valorise les pratiques d’écriture amateures et permet la découverte de la création poétique contemporaine, à travers un concours, des lectures et divers ateliers.

Interroger les frontières : vos textes

Parmi les nombreuses contributions reçues, nous vous invitons à découvrir ici les 18 textes que nous avons retenus pour cette édition 2023 "écrire les frontières".
18 textes et autant de voix, de sensibilités et de tonalités.
Ils nous ont touché, ému, emporté ou amusé (et parfois tout cela en même temps). Ils ne vous plairont sans doute pas tous mais ils témoignent que la poésie est en tous les cas une langue bien vivante !

Toutes nos excuses aux auteur-es si nous n’avons pas pu reproduire la graphie particulière de certains textes.

Interroger les frontières.

Les franchir.
Galoper dessus. Glisser dessous.
S’y cogner.
Vivre avec.
En faire de la dentelle.
Les déplacer.
S’y accouder.
Trinquer à travers.
Les prendre comme lignes d’écriture.
Réinventer le centre et la marge.
Expérimenter.
Poser son corps dans le corps du monde.
Jouer des échelles.
Sortir le microscope et le télescope.
Scruter les interfaces. Le mouvement. Le ressac.
Les appels d’air.
Les lignes de fuite.
Et un jour tourner le regard vers l’intérieur.
Explorer les territoires qui nous constituent.
Les langues étranges que nous parlons.
Porter une part de frontière en nous.
Apprivoiser cela.
Composer des cartographies acrobates.
Dessiner des échelles et des souterrains.
Des passages secrets.
Planter des clés au bord des chemins.
Chérir les buissons.
Courir. Courir.
Porter l’élan de la traversée.
Devenir géographe haletant.
Courir.
Courir avec le monde dans nos corps.

Ecrire.

Tania Tchénio (Janvier 2023)

De l’autre côté

Qu’y a-t-il de l’autre côté ?
Je ne sais pas.
Mais pourquoi je ne peux pas passer ?
Je ne sais pas.

Les potagers sont-ils plus colorés là-bas ? Les vaches moins timides ?
Les coquelicots plus grands ?
Je ne sais pas.

Et pourquoi les oiseaux peuvent-ils passer sans être dérangés ?
Personne ne pense à les retenir ?
Je ne sais pas.

Et si je faisais un saut de l’autre côté ?
Un petit saut, presque imperceptible, puis je revenais en arrière ?
Je ne sais pas.

Et si je faisais semblant de m’évanouir,
et que je tombais avec une oreille au-delà des limites ?
Je ne sais pas.

Et si j’allais sur une balançoire, et que tout en haut
les pointes de mes orteils passaient la frontière ?
Je ne sais pas.

Et si, pendant que j’étais tranquillement assise en train d’écrire,
une plume me tombait,
et en me penchant pour la ramasser,
une mèche de cheveux dépassait un peu ?
Je ne sais pas.

Et si je suivais en monocycle
un parcours longeant la frontière,
en faisant très attention à ne jamais la franchir,
mais ensuite, les bras ouvertes pour garder l’équilibre, un bout de doigt dépassait ?
Je ne sais pas.

Et si je projetais des ombres chinoises sur le mur d’en face ?
Je ne sais pas.

Et si en jouant de la trompette, le son passait de l’autre côté ?
Je ne sais pas.
Et si je pouvais voyager dans le passé, juste avant que quelqu’un trace cette ligne, et que je touchais du doigt l’autre côté ?
Je ne sais pas.

Et si je faisais la même chose dans le futur ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas.
Et je ne comprends pas.

Mieux vaut ne pas risquer, rester enfermés dans nos quatre
seize
soixante-quatre
deux cent cinquante-six mille vingt-quatre murs.
Couches qui nous séparent les uns des autres, chacun prisonnier dans le coeur
d’une poupée russe.

Valentina Curcio, 2023

PASSE-MURAILLES

Si les douaniers étaient des fleurs
Frontière ne serait plus dans nos vocabulaires
les mots assemblés rassemblés
seraient passeports pour les aventuriers
laisser-passer pour les voyageurs
Caravanes voilées de douceur
Si les douaniers étaient des fleurs
nous serions racines à leurs pieds
branches à leurs mains
Alchimistes de demain
Du vivant sacré
Sacrément vivant
Maîtres de nos corps
De nos mots de nos cœurs
Plumes-encriers
Chemins-équateurs
Cartes déployées

Si les douaniers étaient des fleurs
La Terre serait-elle plate ?

Brigitte PERRONCEL

Il y a tant de lignes dessinées sur la terre
Que nous ne savons plus qu’elle est ronde
Des lignes imaginaires
Des lignes imaginées
Des ici enfermés dans des cercles pointillés

Il y a tant de lignes dessinées sur la terre
Que nous avons pris au filet les ailleurs les là-bas
Nous avons quité l’univers
La terre est devenue notre proie

Il y a tant de lignes dessinées sur la terre
Que l’on ne s’y perd plus
L’on s’y noit.

Béa Boissière


CALAIS

L’hôtel Bel Azur fait façade à la mer. La mouette salue les migrants.
Hommes sans rien d’autres que la vie.
Hommes-oiseaux qui des heures durant tournent en rond. S’arrêter est un défi.
Se faire arrêter puis s’échapper aussi. Sans le voyage, le temps passe c’est tout.
Les migrateurs forment une espèce coriace, envahissante, trissante. Tête basse contre la pluie et le vent, leurs pattes poussent des petits cris. Il pleut sur la mer. Tous les jours il pleut. Tous les jours un jour.
Toutes les nuits.
Toutes les nuits, les migrants tentent le tunnel sombre d’une illusion ensommeillée. Terre promise : l’Angleterre.
Rêve : exister. Perspective : réfugié. État : harassé.
Peur : dériver. Circulation dangereuse.

Les oiseaux, les oiseaux.
Ils parlent avec des petits mots, atchipetchipetchip a tchip. Ils veulent passer, s’envoler et laisser la trace du vent.

Calais.
La mouette vole le pain du garçon. Vol à l’arraché d’un revers de vent. Le garçon est une armée désarmée. Un trait sur la mer.
Une route longue et luisante. Nasrat Shirzad ne sait pas. Demain non plus il ne sait pas.
L’avenir est une mouette grise et bavarde qui parle de partir... de partir... de partir à tire d’aile.
Les talons des filles claquent. Un chien boit dans une flaque. Nasrat Shirzad regarde
Nasrat Shirzad, Hazarat, se regarde. Le tain du miroir est de cendre.
La vie pour apprendre.
Apprendre à laisser.
Laisser le prisme d’une larme. Et prendre la vague à l’âme. Ressac.
Circulation dangereuse.

Les oiseaux.
Parlent avec des petits mots atchipetchipetchip a tchip. Ils veulent passer, s’envoler.

En Afghanistan, Nasrat Shirzad laisse sa chèvre, nuage d’orage et cornes noires.
Il garde la douceur du pelage.
Au Pakistan, il laisse ses parents disloqués par la bombe et garde le souffle de la mort.
En Iran, il troque ses 16 ans contre la carte du ciel.
En Syrie, l’avenir en bandoulière, l’armoire pleine de sève, il oublie sa peine. Puis il laisse la Turquie et il prend la mer.
Frêle carcasse dans la vague braillante.
À minuit, avec d’autres et sans rien d’autre que lui, il est bousculé par-dessus crêtes et creux.
La mort engloutit. Nasrat Shirzad renifle.
Touche du nez la vie que ses doigts n’attrapent pas. Il ne sait plus sa gauche. Ni sa droite non plus.
Il sauve sa vie et garde la peur des frontières qui bouchent le monde. Il échoue en Grèce.
Il part en Italie accroché aux essieux d’un camion. Vitesse de propulsion inimaginable.
20 heures la roue tourne.
20 heures les roues, 20 heures la route. 20 heures à ne pas voir.
Marathon pour l’espoir : liberté, égalité, fraternité. Nasrat Shirzad franchit le son des mots.

Saveur retrouvée.
Il avance, avance, avance
Il n’a nulle part où aller. Il y va. Calais... Calais...
L’eldorado au bout du nez. Nez à fleur de flaques.
Tête et épaules enroulées.
Centre de gravité entre les genoux. Chaque nuit.
À Calais.
Tout bascule en roulade maléfique. Tout.
No chance.
Go away, ils disent.
Ne reste pas ici et ne reviens pas demain. On t’arrête tu reviens.
Tu reviens on t’arrête. Ressac.
No trip last night. No trip last night. Ressac.
Pourtant. Pourtant une nuit,
accroché aux essieux d’un camion, peur au ventre et ventre vide,
sans papier ni argent,
Nasrat Shirzad, Hazarat, 19 ans, s’envolera.
Son corps n’oubliera pas... la sensation.
Circulation dangereuse.

Les oiseaux, les oiseaux.
Les dragons du vieux monde sont des veaux à côté. Atchipetchipetchip a tchip.
Ils s’envolent

Laurence Loutre-Barbier

Je voudrais

Je voudrais être un oiseau
tenir dans mon bec
un rameau d’olivier
une branche d’alliance
voler les frontières
réunir ce qui sépare

je voudrais être cheval
sauter les barrières les barbelés
les montagnes les nuages
recoudre le soleil
le remettre à l’endroit

je voudrais être fourmi
discrète sans être vue
me glisser en silence
sous feuille de chêne
suivie par mes sœurs

je voudrais être taupe
creuser profond
galerie secrète souterraine
sortir enfin libre à l’air libre
respirer vivante

je voudrais être source
puis cascade puis ruisseau
devenir rivière
franchir les frontière
et me la couler douce

je voudrais être vagues
tranquilles sur la mer
bercer tendrement dans mes bras
leurs fragiles bateaux
fragiles fardeaux
je voudrais être frontière ouverte
femme poète à semelles de vent
écrire la frontière sans taches de sang
écrire la frontière sans taches de sang

Béatrice Aupetit-Vavin

Le soutien des Femmes en Noir

Au début,
Être là, en ligne, en Noir
Être là, debout
Être là, le vendredi
Sur les marches
Être là, une heure
Être là, sur la place
Immobiles, debout
Derrière la banderole.

Témoigner chaque vendredi
Pendant 20 ans
Des humiliations,
de la colonisation,
des prisonniers administratifs,
Du bouclage des territoires,
De l’eau confisquée
des maisons sans cesse détruites,
Du plomb durci,
Être là, en ligne, en Noir
Être là, debout
pour dire
Les violations,
Les dépossessions, les annexions
Les morts
Être là, debout
pour dire
Jérusalem
Hébron, Jénine et Gaza

Être là, en ligne, en Noir
Être là, debout
Les cheveux des femmes blanchissent
La violence, la guerre sont toujours là,
Le grand mur fait de l’ombre sur les oliviers

Sur la place les trajectoires des trottinettes,
Les traversées des piétons,
La fontaine, les tricycles des enfants
Le carillon de 19h
Les Femmes en Noir
replient la banderole ...

Line Clément

La terre est ronde

Une courbe légère sur l’horizon
A mis au chômage tous les Magellans
Sur tous les méridiens de cap en cap
Pas une île un îlot qui nous échappe

Est-ce le Sahara ou le plat pays
Qui font croire encore à une route infinie
Au mépris des atlas des planisphères ?
Est ce nos cerveaux bien trop terre à terre ?

Mais si j’allais tout droit devant
Vers l’ouest ou vers le soleil levant
C’est ici que je reviendrais
Un beau jour le départ devient l’arrivée

Maintenant que la terre est ronde
Où est donc le bout du monde
Que cherchaient capitaines et matelots ?

Maintenant que la terre est ronde
On est tous au bout du monde
Ensemble dans le même bateau

Le battement des ailes d’un papillon
Fait des ouragans derrière l’horizon
Les ambitions dans les attaché cases
Font ailleurs des malheurs que rien n’apaise

Des courbes s’élèvent, exponentielles
pour plus de rouge à lèvre de beurre et d’antigel
Puis elles retombent et se décomposent
Derrière les frontières et les portes closes

A pied en stop ou en radeau
Ils s’en vont vers nos El Dorados
Chercher l’espoir et la fortune
Pas si loin de leurs lieux d’infortune

Maintenant que la terre est ronde
Où est donc le bout du monde
Que cherchaient capitaines et matelots ?

Maintenant que la terre est ronde
On est tous au bout du monde
Ensemble dans le même bateau

Lucas Sanner

Ce texte est une chanson de "Adèle Tango" que vous pouvez écouter en ligne :
- le clip vidéosur youtube
- le EP de 5 titres en écoutesur bancamp

Ce sont des briques habillées de noir
Block
Entassées en bas des pentes elles en descendent
Libres
Fresque monochrome sur mur de canut
Barrière
Poumon géant filtre de gazs policiers
Déter’
Révolte qui tisse ses droits
Solidaire
Originale frontière dressée pour unir

Khoya Gu

TROIS MINUTES SUR LE RIO GRANDE

C’est le temps de lire ce poème

C’est le temps qui sépare le jour de la nuit
C’est le temps d’une inspiration
Je passerai de l’autre côté

Dans trois minutes je t’embrasserai

Ils nous ont dit

¡Sólo tres minutos ! Only three minutes !
Seulement trois minutes !

La Migra, la Patrulla, los Gringos

Trois minutes sur le Paso del Norte,

L’espoir et la douleur

Trois minutes pour se respirer
Pour te sentir, pleurer avec toi
Et boire toutes tes larmes.

C’est le temps qu’ils nous ont donné
Pour les retrouvailles !
Comme une injure, un os à ronger …
Nous, nous avons quitté nos mères,
Nos frères, nos enfants, nos maris.

Dix sept ans sans te voir, mère !

Ils nous donnent trois cruelles minutes
Après 30 jours de marche
300 familles s’attendent sur le Rio Grande
3000 ans de mains tendus.

Trois minutes pour raviver la blessure
Trois minutes, c’est le temps
Pour se jeter dans le fleuve

Et nager jusqu’ à la rive désirée
C´est le temps d’une expiration.

Trois minutes c’est ce qu’il faut  
À l’hiver pour devenir printemps.
Vos larmes comblent le Rio Grande
Vos corps tendus vers celui qui restera
Et celle qui partira au Sud.

Les coyotes, passeurs de malheur
Sont aux aguets derrière les barrières
Rien ne sert ni les pleurs ni les prières,
Ils ont tout leur temps, ils rient
En voyant leurs victimes heureuses

Trois minutes. ¡Sólo tres minutos !
Ils disent : c’est mieux que rien !
C’est une miette de temps
C’est l’éternité à la frontière
Les enfants grandiront là bas

Ils se souviendront de ces 3 minutes
Où ils ont embrassé la grand-mère.
3000 voix chantaient l’espoir
De rive en rive du Rio Grande

¡Abrazos, no muros !

Trois minutes c’est le temps

Pour chanter le chœur des Esclaves.
Migrants Saluez les Rives du Rio Grande,
Pleurez la terre natale si belle et perdue !

Trois minutes, sólo tres minutos !

Ils nous ont dit

¡Sólo tres minutos !

Only three minutes !

Seulement trois minutes !

La Migra, la Patrulla, los Gringos.

Pilar LLUCH. Avril 2023.Lyon

Est-Ouest : mon père

Berechit : au commencement
L’absence le manque abyssal
Arrêt sur image à l’adolescence
Tu es tombé dans la question
Aba et l’alphabet bafouille déraille
Les points cardinaux s’embrouillent
Il m’a fallu jongler avec d’autres lettres
Cyrilliques, hébraïques, pour éviter
La déroute, que mon livre tienne debout

D’Ouest en Est de Paris à Moscou
Le train roule jour et nuit traversant
Frontières murs murailles s’enfonçant
Dans un univers limaille de fer
Le réveil est brutal à l’aube dans Berlin
Puis l’on s’enlise à l’infini
Dans le blanc gris des plaines de Pologne
Déverse, provodnik, le noir breuvage
Qui brûle le gosier sans étancher la soif

Le rideau s’est refermé d’un claquement
De bottes mais je me ris des miradors
Je vais légère en quête de tes traces
Je crois t’entendre dans le chant
De ce russe roucoulant chuintant aux signes
Durs et mous à cette voyelle impossible
Ni i ni u forçant les lèvres à une curieuse
Mimique je plonge dans un continent
De sons inconnus, cette étrange altérité

Je n’ai pas abordé les rives du Bosphore
Ni psalmodié le djudyo pas de shofar
Sous ton taleth à Yom Kippour mais
Le goût du tarama et la saveur des bourekas
Un tapis d’Orient et des aquarelles attestent
Cette origine tue ce passé enfoui cette filiation
Interrompue alors j’ai remonté le fil à rebours
Vers l’Est la neige en guise de châle de prière
Et ta méthode Assimil comme seul siddour

Sur le store luminescent se lit ton visage
Et l’essentiel ta silhouette et l’élégance de ton feutre

Simha Fresco, janvier 2023

Sol peau de tambour

La première fois qu’elle pose le pied
c’est sur la frontière
se campe dessus puis la marche,
la nage, la mange

La deuxième fois qu’elle pose le pied
sol peau de tambour
rassembler les siens
percussionner la langue

La troisième fois qu’elle pose le pied
jambes lasses, le froid la mord
elle touche son ventre
et remercie le ciel pour la traversée

La quatrième fois qu’elle pose le pied
carrelage sur terre
dans le lieu où, corps tremblant
un enfant doit passer

La cinquième fois
grand vide dans les bras
disent ne sait pas faire
faut protéger

La sixième fois qu’elle pose le pied
dans l’empreinte des ancêtres
sol et plafond basculent
et son chant-liane attrape le chemin

Caroline Martinez- Mai 2023

Mes mains.

Mes mains sont traversées de veines nerveuses.
Les mêmes veines enchevêtrées qui couraient des bras jusqu’aux doigts de ma tante. Ma tante, revenue chercher à même la terre,
À même le mélange unique de sable et de poussière, l’origine de sa posture.
Celle qui fait qu’on la reconnaît dans le noir… comme on reconnaissait sa grand-mère.
Accroupie, jambes légèrement écartées, pieds à plat. Les pieds ancrés,
en communion avec le monde de la nuit.
Les habitant.es de l’ombre le chuchotent peut-être...
Savent peut-être pourquoi nos veines, qui portent un sang si différent, des histoires aux embranchements si différents,
courent sur des mains de la même couleur.
Une couleur que l’on retrouve ici ou là dans la forêt équatoriale, disséminée aux pieds des vieux volcans,
à arpenter le béton du monde entier.
Se chuchote peut-être aussi, dans les cris et le sang, à travers les terres et les eaux... les mots qui me protègent.
Une vérité fulgurante.
Que ce qui me dessine n’est pas ce regard qui m’épingle... (Ce qui me dessine n’est pas ce regard qui m’épingle.)
...mais ces lignes qui se répètent d’un corps à l’autre.
Ces corps qui se souviennent.
Ces corps qui continuent à dire le monde d’avant la censure.
Il est hurlé dans chaque pulsation de mes artères que c’est une erreur de se mesurer au regard. Une erreur.
De se jauger, de se juger à l’aune d’un regard fabriqué pour nous déformer. Ce qui existe, c’est ce qui résonne.
Ce qu’on a arraché pour le faire pousser hors du regard.
Ces gestes qui palpitent depuis un murmure souterrain avant de faire germer une lumière singulière.

Silex Silence


Suivre

la trace immémoriale
la raviver de mes pas
la raviver de mes rêves
la raviver de mes rêves nomades
Naître
celui qui cueille celle qui chasse
qui court qui couve
Ouvrir
le temps mémoire
avec un pinceau
en pinçant les cordes
en soufflant dans le roseau
en tapant sur le tambour
Raconter
les épopées
en dessinant sur la peau sur une écorce
sur la paroi d’une falaise d’un rocher d’une grotte
en murmurant au creux d’une oreille
Laisser
un signe à ceux qui suivront

Yve Bressande 

C’est ancien, peut-être, c’était avec mon père
Nous sommes à la mer
La mer à perte de vue
Nous sommes les premiers arrivés à la plage
Une plage de ville, dans mes souvenirs,
pour une nouvelle journée de vacances

Nous sommes à la frontière

Mon père me raconte qu’il va mourir
Qu’il est en train de mourir
Pour ça, il fait quelque chose sur le sable
Ça ressemble à une frontière
Ce trait au-delà duquel
mon père ne pourra pas aller

Mon père se tient droit
Debout
Face à la mer

Guillaume Pras


BLEU I

Bleu Majorelle Bleu Bizerte Bleu Sousse Bleu Orient
Bleu miroir du vent clair sur les rivages d’Alger.
Bleu électrique jusqu’au cliché d’un bleu néant
Bleu pétrole, cimenté sur une mine de papier.

Bleu chimie, magnétique tissu ornemental
Vindicatif Bleu Vrai pas de travail de jour
Pâle et Vif comme la peinture des mots qui s’étalent
Des lettres sans destinataires, sans métaux lourds

Reprenons un peu.
Bleu comme le Pic du Midi
Bleu comme toi, l’orange, l’orage et l’ô désespoir
Bleu Numide, nomade, noctambule bleu de minuit
Vague nette sans flou aucun, sans se pencher pour voir.

Bleu Bartoli : la cale du bateau de mon père
Et les reflets de rames de joutes sur le canal
Libre comme le sable, les volcans, tout l’univers
S’embrase, fondu dans cette baie aurore boréale

Bleu pas comme mon stylo, ni comme les yeux d’Elsa
Car elle a vu le bleu en chemise, sanglé et indécis,
Mais le sien, bleu ourlé de blouson rouge Vespa
Bleu syndical, bleu personnage, bleu du récit

Ce bleu embrassé par la paupière du monde
Éclairant vie, lumière, et entrailles cernées
Jusqu’ici soumises aux règles moribondes
Enfermant dans leur casbah chaque identité

Percute tout. Bleu fou sans fards fallacieux
Mosaïque d’écritures que je ne comprends pas
Chatoyantes et onctueuses formules d’aïeux
Résonnent dans sa cage thoracique bleu arnica.

Elsa Mokrane

FRONTIERES
(SONN& TROLONG)

I

La frontière entre le Bien & le Mal. La frontière entre le
Beau & le Laid, entre le lait & la peau, entre la peau & les os.
Entre l’os & la moelle, entre bien & bien entre mal & mal. La frontière entre le Bien & les biens entre le Mal & les maux.
Entre le Matelas & les mots !

La frontière entre la Vie & la Mort, entre l’Art & la Vie, entr
e la Mort & l’Art. La frontière entre l’art de la Vie & la mort d
e l’Art, entre la Vie & la vie entre la Mort & la mort, entre la v ie & Ma vie entre la mort & Ma mort entre l’Art & l’art de.

La frontière entre le Vide & le Plein, le plein & le délié. La fr
ontière entre l’Idée & le Lieu, entre le Vide & la Nature entr
e Nature & Culture entre Nature & nature entre Culture &
culture de.

La frontière entre Perversion & Nature. La frontière entre la
Culture & le Bouillon… le brouillon  ?... le graillon  ?... entre la C ulture & le bâillon  ?... le bâton  ?...

II

L’affront hier, aujourd’hui & demain. Ici & Ailleurs. La front ière entre Hier & hier, entre aujourd’hui & aujourd’hui entre demain & Demain. La frontière entre ici & là, entre là-bas & ici-bas la frontière entre ici ou là ou là-bas ou là-haut si j’y
suis, oh là là  ! ou
si j’y suis pas ou même entre Ici-bas ou Là-haut & Ailleurs etc.

La frontière entre moi & pas moi. La frontière entre toi & moi entre toi, moi & nous. Entre nous & eux. La frontière entre eux, la frontière entre moi & moi entre toi & toi entre nous entre moi, la frontière entre le moi & le Moi entre le moi & le Ça… ou entre moi & ça ? Quoi ? La frontière entre par moi &
sort etc.

La frontière entre le Vrai & le Faux. Le Fou  ? Moi  ? Entre ce qu ’il faut & ce qu’il ne faut pas. Faux-pas  ? Entre ce qui vaut & ce qui ne vaut pas, la frontière entre tout ce qui s’équivaut etc.

La frontière entre le Vice & la Vertu. La frontière entre le réel & le vécu, entre le recto & le verso entre vice & versa. La
frontière entre par une oreille & sort par l’a

janvier 1985 ; novembre 2022
jean-pieRRe bobillot

C’était il y a un an, gare Saint-Exupery
TGV de Marseille, Avignon vers Paris
Les gens allaient, venaient, rivés sur leur destin
Et moi j’attendais celle qui changerait le mien.

C’était il y a un an gare Saint-Exupéry
TGV de Marseille, Avignon vers Paris.

Il y avait des yeux mais je ne vis qu’un regard,
Le sourire de la vie, l’espoir du grand départ.
On n’a pas eu de chance, il en fallait un peu
Quand il fallait parler, on n’a pas su tous deux.

C’était il y a un an gare Saint-Exupéry
TGV de Marseille, Avignon vers Paris.

Mais pour autant mon cœur pour toujours reste ouvert,
A celle qui donna, par un matin si clair,
L’espoir que seul l’amour peut donner à la vie,
Pouvoir bâtir à deux ce qui est l’infini

C’était il y a un an gare Saint-Exupéry
TGV de Marseille, Avignon vers Paris.

Erick Messageot

Dans mon automobile,

Je roule à plus de cent.
Les cheveux dans le vent.
Car figurez-vous.
Que mon toit est ouvrant.

Je file à vive allure.
Vers la côte d’azur.
Je file même à l’anglaise.
Vers la côte basquaise.

Dans mon automobile.
Je file...

Ma radio est cassette.
Et je chante à tue-tête
Alanis Morissette.
Et puis les Négresses vertes.

Sur la lunette arrière.
Il y a un autocollant.
Avec allez les verts.
Mais ça c’était avant.

Il y a même un emplacement.
Pour les pièces de monnaie.
Je crois que c’était des francs.
Qu’à l’époque on mettait.

Il y a un arbre magique.
Sur le rétroviseur.
Il parait que ça nique.
Toutes les mauvaises odeurs.

Je roule à plus de cent.
Les cheveux dans le vent.
Car figurez-vous.
Que mon toit est ouvrant.

Je file à vive allure.
Vers la côte d’azur.
Je file même à l’anglaise.
Vers la côte basquaise.

Dans mon automobile.
Je file...

A grand coup de klaxon.
Dans les embouteillages.
Je roule à fond la gomme.
Quand vient le démarrage.

Ouverture à l’ancienne.
Fenêtre manuelle.
A grand coup de poignet.
Tourner la manivelle.

Et dans la boite à gant.
Il y a des cartes et des plans.
Une cassette de Renaud.
Et une suisse couteau.

Vignette Panini.
Sur le tableau de bord.
Et avec la cibi.
Je vous souhaite bienvenue à bord.

Je roule à plus de cent.
Les cheveux dans le vent.
Car figurez-vous.
Que mon toit est ouvrant.

Je file à vive allure.
Vers la côte d’azur.
Je file même à l’anglaise.
Vers la côte basquaise.

Dans mon automobile.
Je file...

Frédéric Gillet