Tremplin poétique

Le Tremplin Poétique valorise les pratiques d’écriture amateures et permet la découverte de la création poétique contemporaine, à travers un concours, des lectures et divers ateliers.
Pour sa quatorzième édition, la bibliothèque de Lyon a le plaisir d’inviter le poète et slameur Mehdi Krüger.

Regarder la nuit : vos textes

Nous avons reçu des textes de plus d’une centaine de contributrices et contributeurs. Vous retrouverez ici une vingtaine d’entre-eux lus en public en juin 2022 au Périscope.

ENTRER DANS LA NUIT

Quitter le béton
les pavillons pas beaux
les jardins étriqués
les portails fermés
dépasser le dernier réverbère
déplier le chemin jusqu’à la forêt
un oiseau chante en silence
la lune sous les arbres
guide mes pas
j’entre dans la nuit
j’entends son âme vibrer
un petit monde doucement s’éveille
vent de velours
bruissements d’ailes
ou de feuilles
dentelles mouvantes
mouvements furtifs
frémissements de papilles
sur coussins de lichen
frôlements
clairière de tendre lumière
parfums d’humus
et de fougères
le cœur en délices
je retourne à la maison
écrire le poème
le poème de la nuit.

BEATRICE AUPETIT-VAVIN

NUIT BLANCHE

Je ne fais que ça,
de jour comme de nuit,
sur mon lit, sous mes draps,
je regarde la nuit.
J’avance d’un pas,
parfois deux, parfois dix
sous la lune et sur les toits,
je tâtonne la nuit.
Des pieds, j’en ai trois,
deux noirs, et un blanc
qui me précède toujours d’un temps,
c’est lui ce petit pied blanc,
mon regard dans la nuit.

CEDRIC VIGNEAULT

Souvent
Je me cogne à mes propres murs
j’écorche mes jambes
en trébuchant sur mes pensées
et je cherche au sol des fenêtres
à genoux dans le noir
mais
je vois de mieux en mieux :
les craquelures
les failles
les amas de poussière
au bout d’un moment
fatiguée de desceller le mortier
je m’allonge au frais dans un coin
et j’admire ma propre cellule
si patiemment construite
comme un Monte Cristo
j’attends mon occasion.
je cesse de remuer mes fautes
je décante ma mémoire :
dans les plans,
avais-je prévu
l’échappatoire ?

CLEMENTINE PERNOT

La nuit a quitté
Son pyjama
Elle préfère son vieux Marcel à trous
Ah quelle nuit !

NORBERT

À sucer le sein de la terre dans ton sommeil, que ressens-tu ? Ce sein blanc où le lait goutte, est-ce la nuit qui est blanche, le ciel blanc de neige. À moins que ce sein ne soit rouge couleur d’argile où tes membres font un bruit d’eau qui tombe. Que ressens-tu ? Apaisement de la soif, de la faim ou recroquevillement sur soi ? Tu es aveugle au dehors, les rêves se déploient lentement comme des fleurs de papier crépon dans l’eau. Peut-être l’orgueil d’un dieu oublié, l’œil ouvert – torve - dans la boue et toute cette masse d’eau qui tombe et ruisselle et éclabousse. Peut-être plus tard, tes rêves tournés au printemps glisseras-tu une main complice dans les herbes hautes. Et les fleurs mauves, broyées pour nourrir la terre, seront d’abord piqûres dans tout ce vert. Alors se déploieront en corolles les globules de ton sang qui submergera tout et l’œil enfin – se retournera –
pour observer au- dehors.

CORINNE SURREL

Retourner sur cette terre
Ta terre
Caresser un reste d’écorce
Et embrasser le dos des pierres
– Murmurer au ciel
Les lourds silences –
Derrière le grillage
De rouille
Regarder la nuit
Me sourire

SANDRINE DAVIN

PARTAGE DE LA NUIT

Dis
grande nuit
ton cri sourd
de détresse
devant les armes
en ligne à l’horizon
dis-le fort
qu’est-ce que tu creuses
comme ça
à mains nues
dis-moi grande nuit
grande nuit dis-moi
tes épopées et tes dernières cavalcades
nuit meurtrière
nuit assassine
tes remugles de poubelle
sur l’asphalte des villes
tes écorchures sur les avant-bras
tes portées de chiot
et tes cris feules
d’amoures félines
dis moi grande nuit
ta solitude en hauts talons
et tes révoltes sourdes
dis encore
l’homme jeté en bas du lit
par des hommes en armes
mais dis-le
dis encore
ta suffisance guerrière
tes cris rauques
devant la gâchette relevée
tes « non » et tes « oui »
tous tes discours
mais dis encore
ta rage muette
à plat ventre sur le bas-côté
bruits de verre à terre
tes éclats éparpillés
nuit du retour
des spectres vagissant leur haine
à petits faits
à relents rasoirs
aiguisés à chaud
tu vas les dire encore
tes fémorales bouillonnantes
tes lambeaux de cris
nuit de vindicte sans pareil
le chancre de la pureté à tes basques
dis-moi grande nuit
qu’est-ce qui claque sous tes pas
murmures du soleil
à quelques encablures
avance-toi nuit
avance
avance encore que je te vois
peine de nuit
épaisse
à étaler
au couteau
râlant criant
bête à l’agonie
l’impossible décret
encage même
le silence
peine abrupte
qui obscurcit
le front
effrange
l’heure
nocturne l’élan
en rage dévorante
jusqu’à nos sourires d’enfants
peine de vie
peine de nuit
double peine
Ouvre la nuit ouvre-la
C’est un fruit trop mûr
une hargne un appel
un retard une retombée
ouvre la nuit ouvre-la
avec tes mots d’herbe sèche
ton regard de glaise
nos peaux
ornementées d’ardeur
et les traces sur ta joue
ouvre la nuit ouvre-la
en fureur douce
en complainte tendre
c’est un climat une échappée
un escarpement
ouvre la nuit ouvre-la
avec tous mes feuillages
et mes silences emportés
je patiente à demi
clos le jour
d’un revers de main
m’appesantis à rebours
à la volée me répands
me soustrais
d’un coup d’aile
me multiplie sous ta main
ouvre la nuit ouvre-la
tu carbures
à mots couverts
affrontes la nuit qui s’engorge
tu refourgues
les contours
amoindris les draps
ouvre la nuit ouvre-la
chacun sa part de nuit
à moi celle qui se déverse
s’engloutit
dans toutes mes rivières d’ombre
remplit les sous-bois
des allusions
d’un seul tenant
dévale mes pentes
de fougères couchées
rouille de plaisir
à moi celle qui s’avance
en tournoyant
à toi la rouge
l’ardente
arrachée au néant
au désespoir infirme
lueur dans le lointain
part des anges ricanant
celle qui éclaire
tes cellules
d’un feu clair
immédiat évanescent
à toi celle qui s’avance
en tournoyant
Nuit violente
arc-boutée de rougeoyances assassines
nuit en retard
de mille ans
nuit de la mémoire
Toutes les nuits
nuits passées
nuits à venir
nuit ici et maintenant
nuit électrique
nuit des déchirures
du remords et du regret
nuit des retraits
nuit des murmures
nuit chansonnière
tu nous berces
à tue-tête
nuit musicienne
entremêlant nos arpèges
réveille nos aplats
nuit arc-en-ciel
Torse nuit
Bras nuit
Sein nuit
nuit qui déverse
sa tendresse poissonnière
sa vitesse alanguie
nuit fourragère
avide de miasmes
et de tremblements
précipité de nuit
en borborygmes sourds
matraque nos sangs
disloque les rendus
en pluie violette
nuit verte de brume alanguie
nuit pâlichonne
d’ardeur
maigre nuit de tiédeur courbe
nuit encagée nuit saccagée
Funambule
À la nuit
donner
donner jusqu’aux pierres
donner jusqu’à plus soif
donner encore
donner jusqu’à la lie
donner toujours
donner jusqu’à
ce qu’il ne reste plus rien
plus rien à donner
donner jusqu’à l’ombre
dans le plein soleil
encore donner
donner jusqu’au quart
et la moitié de la moitié
donner le pain l’eau
la belle accolade
donner toujours
donner jusqu’à la boue
plantée de vertiges
donner la main
donner jusqu’à pas d’heure
encore donner
donner à rebours
donner l’aval et l’amont
donner jusqu’au trognon
et avaler les pépins
donner encore
donner le recul nécessaire
donner l’allant
donner l’élan
donner l’étincelle
le feu vivant
donner
donner l’envers
donner l’endroit
jusqu’au cœur
donner le souffle court
donner jusqu’au silence
après la pluie
après l’amour

JULIETTE BARGES

La nuit
Est
Pétillante
D’étoiles

EVELYNE CHARASSE

Ce
Qui est bien
C’est
Quand
On rajoute
Des étoiles
A la nuit

EVELYNE CHARASSE

Au temps
De la grande
Nuit
Les étoiles
S’aventuraient
A picorer
La Terre

EVELYNE CHARASSE

Regarder notre nuit
Elle nous malmène, elle est peuplée
De terreurs et de bruits
Sous nos radars elle brille d’obscurité
Et toute indécelable
Elle grouille de bêtes sous-humaines
De monstres intouchables
Qui ne s’appliquent qu’à se nourrir de haine
Pour nous ruiner entiers
L’eau d’orage coule dans ces gargouilles
Au visage déformé
La nuit elles jouent à nous bouffer de trouille
Elles sont nos heures blessées
Piétinées, de hargne et de rage
Elles veulent nous protéger
Elles s’emparent de nos rêves, nos dérapages
Ainsi agit la nuit
Tant qu’elle ne s’est pas fait connaître
Quand règne chaque furie
Qu’on sonde centimètre par centimètre
Il y aura un jour
Où chaque bête aura un nom
Où chacun de leur tour
N’aura plus prise jusqu’aux premiers rayons

KAROLINE VINCELET

Sur le carrelage
J’ai fait un rêve.
Je fais le rêve
D’une nuit de huit heures :
Vingt-deux heures poussières,
(Le temps de m’assoupir)
Sept heures rigueur,
La brosse
Les chaussettes
Et la ceinture dans la voiture.
Je fais le rêve
(Le souvenir)
D’une nuit d’un mois,
Peut-être trois
Quatre six ou cent.
Une nuit d’après-midis
De matins
Sans nuance sans bruit.
Des heures immobiles une lune pleine
D’anxiolytiques.
Sur le carrelage de la salle de bain :
Un mètre carré de nuit.
Le matelas trop grand
Trop doux,
Le matelas trop chaud
Pour un corps qui ne sait que la nuit.

CAMILLE CAPLAN

LA FAIM DE LA NUIT

Le matin je ne mange pas car je pense à toi.
Le soir je ne mange pas car je pense à toi.
La nuit,
je ne dors pas...
car je crêve de faim.
Mais tant qu’il y aura des prunes et des brugnons, la vie sera saine à l’heure d’été.
Tant qu’il y aura des filles et des garçons, la vie sera douce à l’heure d’hiver ; tant qu’il y aura des feuilles et des crayons, la vie sera belle longtemps ; tant qu’il y aura toi, la nuit sera belle, tout le temps.
Tout l’temps, tout l’temps, tout le temps qu’on a pour essayer de se croiser en chemin...Retour ligne automatique
Tout le temps qu’on prend, pour essayer de gagner un peu d’argent.
L’argent chant d’un coffre-fort, dort, pour qu’on la renomme d’un nom plus glamour, comme ... amour...

CATHY

PETITE SUITE DESIRABLE EN LI MINEUR

On se lie
On se lisse
On se lit
On se link
On se like
On se lyse
On se lied
On se lilas
On se litige
On se litote
On se lie de vin
On se litrone
On se livre
On se lycra
On s’en-lyrique
On se lyophilise
On se lyxiavise
On se limousine
On se lipogramme
On se liquid’amiotique.
On se libère enfin de la suite ?
Ou...
On délie la suite
De la temporaire suite et fin...?

PILAR LLUCH

Nuit débordante
De mes yeux écarquillés
j’écoute
Le chant des oiseaux dans la noirceur des cimes
La violence de l’eau noire blanchie d’écume
Nuit au corps
trop vaste
Le veilleur baigné d’ombres
s’éclaire à la lueur de ce que tu touches
Nuit venue trop tôt
précédée de couleurs brûlantes
Le déclin de la lumière
nous a rendu au silence
Nuit du dedans
tu demeures au grand jour
nous voies te chercher du regard
Nuit mouvante
L’atmosphère bleue de la terre
glisse
tout contre ton froid immense

MANON MULLER

Depuis le train
depuis la vitre froide comme un petit matin
depuis la vitre froide
où j’ai collé mon front
ce même front que j’avais frotté sur tes seins
sur ton sexe
et tes reins,
depuis la vitre froide où j’ai posé le front
comme on pose son front sur l’écorce d’un arbre
sur l’écume des vagues
sur la terre et la mort,
depuis la vitre froide où j’ai collé mon front
j’ai regardé la nuit disparaître avec toi
la nuit que toute entière tu avais avalée
la nuit que toute noire tu avais aspirée
la nuit et tous les cris
la sueur de nos corps
nos souffles courts mêlées et tous ces mots noués,
j’ai regardé la nuit disparaître avec toi
depuis ce train fantôme m’amenant à présent
vers les autres
vivants
vers le jour silencieux qui devait se lever
vers ces gens qui parfois dans le couloir passaient
vers le bruit de leurs pas
de leurs chuchotements
vers le bruit de leurs bruits,
le rythme de ce cœur
de fer
qui vient battre
les traverses de bois
qui dit le temps qui roule
qui dit le temps qui coule
noie cette nuit qu’hier encore nous habitions
et que j’ai senti fondre
là sous mon front glacé de morne solitude.

LP

Couchés
Côte à Côte
Toute une nuit.
Gisants de pierre
Rigides et froids.
Fossé profond
Depuis si longtemps.

FRENZY

Frappe contre la vitre.
Nuit noire d’hiver.
Ça crie et ça pleure
Dans la chambre d’à côté.

FRENZY

Nuit silencieuse
Aux Urgences.
Les idées noires se
dressent Une fleur fanée
Le sommeil a fui

FRENZY

Notre cœur,
Qui bat de nuit,
Que ton nom soit murmuré,
Que ta pulse vienne,
Que ta danse soit fête sous la peau comme sur l’âme.
Donne-nous aujourd’hui
Notre sang de ce jour.
Pardonne-nous nos apnées
Comme nous ouvrons la fenêtre aussi
Quand l’air suturé nous asphyxie.
Et ne nous laisse pas démagnétiser ton champ
Mais délivre-nous du désenchantement.
(Librement inspiré du « Notre Père »)

MARIE DE CHALUS

LAMPE-TEMPETE

je suis
fenêtre béante
aux quatre vents ouverte
et le cœur en plein courant d’air
lampe-tempête
ma flamme tremblote
et la flaque de cire à mes pieds
grandit
cœur, cogne, tempe
lune, claque, peau
lampe-tempête
pour combien d’heures encore
en attendant je reste debout dans la nuit

CAMILLE ZIBELLI

REGARDER LA NUIT

Ses quatre-vingt-cinq ans, ornés de cheveux blancs,
Sa maladie, si grave, espoirs abandonnés.
La nuit se dessine sur toutes ses journées,
Plus rien ne la déride, et tout part en néant.
Autour d’elle s’activent enfants, petits-enfants,
Eux ne voient pas la nuit, ils ont l’éternité,
Des soirs d’été gentils, des soleils, des couchés
Qui ne menacent pas leur futur, leur présent.
Sa nuit est arrivée, impatiente, l’attendant,
Rien ne sert de jouer contre l’obscurité.
Les forêts d’automne sur un vase Gallé
Vont cueillir cette fleur et ses nombreux printemps…
Là, donne-moi ta main, et ta peur, grand-maman,
Accroche sur le ciel tes projets, tes idées,
Donnons-leur la santé pour se réaliser,
Si tu y crois, tu peux faire rire le temps,
Et Regarder la nuit, à deux, moins menaçant.
Pour tromper cette mort, papillonner, survoler,
La lune pour bercer joies et peines bleutées,
Ouvrir les yeux demain et se sentir vivant.

NICOLAS MANCHON

SOLEIL LEVANT

soleil levant qui fait le bruit
d’un vieux solex
qui ne démarre pas au quart de tour
il pleut des clés à molette
et des blagues carambar
la vie fait le coup de la panne
on se serre la ceinture
on se serre fort dans les bras
les bras
sont des ceintures de sécurité
on les boucle
des pieds à la tête
du pubis à la bouche
on la boucle
la bouche
les mots ne sortent plus
ils restent dans la gorge
ils tombent
jusque dans l’estomac
jusque dans les talons
ils remontent
jusqu’au cœur
ils font le cœur gros
ils ne dorment pas
ils forniquent
ils font des petits mots
les petits mots se font tout seuls
comme des grands
ils se mangent les uns les autres
ils mangent
mais ne bougent pas
ils font du gras
ils font des gros mots
sourds
au soleil levant
qui fait le bruit
d’une machine à laver sur cycle essorage
il manque toujours une chaussette
il manque toujours un signal
comme quoi ça commence comme quoi
ça finit
on se sert de la tête
on se sert du bras
long comme le bras
pas comme l’intestin grêle
comme le bras
gauche
qui est légèrement
plus petit que le droit
comme le pied droit
est légèrement
plus fin que le gauche
comme le sein gauche
a une boule
que le droit n’a pas
légèrement
ça ne se voit pas à l’œil nu
ça se sent avec les doigts
les gros mots
qui ne s’aèrent pas
au soleil levant

MYRIAM OH