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Sait-on vraiment quelle partie de nous-mêmes se joue tous les jours dans du tissu ? Sait-on vraiment ce qui s'anime avec les mouvements du tissu quand il amplifie et sert gestes et paroles et bien des formes de la communication ? Par nos vêtements et dans l'ambiance de notre respiration. Ou quand le vent agite au dehors le tissu des drapeaux au dessus des têtes ? Au plus près de notre être et de notre peau, le tissu touche en même temps à l'illimité dans ses déploiements et sa continuité. Au passage où il se place, il aide l'expression la plus intime de nous-mêmes et en même temps la communication. Il est à la fois “chose psychique” pour l'individu et “chose de civilisation”. Il est toujours entre nous comme entre chair et âme. Sait-on quels enjeux de civilisation sont en cause selon la place qui lui est consentie, d'un monde à l'autre, Occident et Orient par exemple ? Quels indices particulièrement significatifs il nous fournit sur les évolutions et les remaniements en cours ? A l'heure actuelle le Langage du Tissu est l'une des meilleures chances de communication directe, qui s'offrent à nous entre l'Orient et l'Occident, entre le Nord et le Sud.

J'interroge cette réalité concrète qui est porteuse d'un langage : le tissu et ses motifs, le tissu, ses signes et ses contextures. Le Langage du Tissu aide à lire les différentes civilisations. Le tissu tient de très près à nos structures mentales et psychiques : cette structure première, cet objet rigoureux dans sa constitution par le compte exact de ses croisures de fils, est en même temps imprévisible, comme nos émotions, dans le mouvement de ses plis qui suivent avec nous le vif à tout instant, et même au delà : de la naissance à la mort (on dit : des langes au linceul). Comme la vie, le tissu est un entre-deux. Le tissu a une remarquable valeur modélisatrice ou matricielle, un remarquable pouvoir structurant. Le tissu est la première structure numérisée qu'ait inventée l'homme. Il existait avant le “Texte”, dès que le compte a commencé d'être pratiqué ; en latin "textus" veut dire tissé ou tissu et non pas texte qui en est seulement le dérivé.

Le jeu du tissu, implicite, latent, par lui même interactif, marqué d'immédiateté et de vie fuyante, ce jeu intervient entre dehors et dedans, pour l'unité de soi, entre désir et pensée, entre le charnel et le spirituel, comme entre le masculin et le féminin. Il est un remarquable
opérateur de cohérence, d'identité et de mémoire. P.H.

Le Dictionnaire culturel du tissu, paru l’an dernier (Fayard/Babylone), doit beaucoup à la forte implication des milieux lyonnais de la mode et du textile, ainsi qu’à notre bibliothèque, qui a largement puisé dans ses ressources iconographiques. C’est pourquoi nous sommes très heureux d’accueillir le maître d’œuvre de ce livre, Patrice Hugues. Artiste, historien, philosophe, fin connaisseur du tissu sous tous ses aspects, Patrice Hugues nous initie, avec la science et la fougue qu’on lui connaît, aux arcanes de l’un des principaux vecteurs de civilisation de l’humanité. Patrick Bazin