Ecole de tissage
Mémoires du territoire, Textile
L’École de tissage au fil du temps
Lyon, capitale de la soie...
"Messieurs, Lyon, la ville de la soie, n’a pas d’École de tissage... Les enfants de l’ouvrier manquent d’écoles d’apprentissage et, pour se perfectionner dans leur art, n’ont que des ressources absolument restreintes et sont ainsi dans l’impossibilité d’acquérir une instruction professionnelle complète. L’ouvrier, obligé par les exigences de la fabrication de modifier son outillage pour monter de nouveaux articles, est contraint trop souvent de recourir à des intermédiaires onéreux ou de perdre un temps précieux, faute d’avoir un renseignement précis qui le guide..." Ainsi commence le rapport que le nouveau maire de Lyon, Antoine Gailleton, présente au conseil municipal dans sa séance du 14 décembre 1883. Son objectif : la création d’une École de tissage fournissant aux ouvriers tisseurs l’instruction théorique qui leur manque et aux employés des maisons de soierie l’instruction pratique indispensable, mais aussi de servir d’école d’apprentissage aux fils d’ouvrier. Un vieux projet.
Tout commence par un changement de mode. Au goût traditionnel du public pour les étoffes de soie unie succède à la fin de la décennies 1870, un engouement nouveau pour la soie façonnée, c’est à dire tissée de manière à former des dessins. Or, par tradition, la fabrique lyonnaise à bâti sa réputation internationale sur l’habileté de ses ouvriers tisseurs à fabriquer des étoffes unies plutôt que des façonnés, qui demandent des connaissances spéciales. Il convient donc de donner aux employés et ouvriers un complément de formation professionnelle, pour leur permettre de faire exécuter ou d’exécuter eux-mêmes les tissus demandés. Dans le même temps, les métiers mécaniques se généralisent dans les usines installées à l’extérieur de Lyon, suscitant une concurrence inquiétante pour la production lyonnaise encore largement basée sur les métiers à bras. Là encore, il convient de mieux former l’ouvrier-tisseur.
D’une école à l’autre
Dès la création de l’École de tissage, se pose la question de son emplacement. Selon la volonté municipale, il doit se situer à la Croix-Rousse, haut lieu de la soierie lyonnaise. Or depuis 1881, une Société de crédit pour les petits ateliers de tissage mécanique, créée par un groupe de chefs d’ateliers désireux de promouvoir l’adaptation de petits moteurs mécaniques sur les métiers à bras des ateliers familiaux, organise des ateliers de démonstrations dans un immeuble sis au 2 de la place de Belfort, actuelle place Bertone. Ce sont ces ateliers qui vont servir de locaux à la nouvelle école, par suite d’une convention signée entre la Ville et la Société de crédit. Locaux incommodes et vite exigus.
Ce n’est qu’en 1927, avec l’aide de l’État qui prend en charge la moitié des frais, que la Ville décide d’élever un bâtiment plus spacieux cours des Chartreux, aujourd’hui cours Général-Giraud. Le maire Edouard Herriot confie les travaux à son architecte favori, Tony Garnier, qui restreint son projet initial pour élever un bâtiment sobre et rectiligne, inauguré en mars 1934. Là, à travers cours du jour et cours du soir (et du dimanche matin !), défilent des générations d’élèves, sous l’autorité de directeurs comme Félix Guicherd et Paul Lamour. Très au large, l’École de tissage doit y accueillir deux ans plus tard l’École des Beaux-Arts de Lyon, trop à l’étroit au Palais Saint-Pierre. Une coexistence qui se poursuivra jusqu’en 1960.
L’Institut textile et chimique de Lyon (ITECH)
En 1984, soit un siècle après sa création, l’Ecole, dont la structure a beaucoup évolué au fil du temps, se scinde en deux : le niveau supérieur, alors appelé Ecole supérieure des industries textiles de Lyon (E.S.I.T.I.L.), se rapproche de l’Ecole supérieure du cuir et des peintures, encres et adhésifs (E.S.C.E.P.E.A.), jusqu’à fusionner avec elle en 1988, pour former l’Institut textile et chimique de Lyon (ITECH-Lyon), dont la section textile reste dans le bâtiment de Tony Garnier, récemment agrandi et restauré. Le reste de l’ancienne École constitue désormais la Cité scolaire Diderot, qui regroupe quelques 1300 élèves en deux établissements : un lycée d’enseignement général et technologique, et un lycée professionnel.
En 1985, la bibliothèque de l’ex-école, créée en 1886, rejoint – du moins dans sa partie ancienne – les collections de la Part-Dieu, avec plus de 7000 titres allant du XVIIIe siècle à 1960. On y trouve aussi bien des précis de physique et de chimie, notamment la chimie des colorants, que des albums illustrant les arts décoratifs, des traités de sériciculture, des ouvrages sur les techniques de tissage, sur l’entretien des métiers...
De la théorie à la pratique
Démission, pétition, commission
Paradoxalement, la capitale de la soie ne possède pas de cours publics en la matière, destinés aux chefs d’ateliers et aux ouvriers en soierie. En 1812, le conseil municipal a supprimé l’Ecole de fabrication, attendu que "l’encouragement d’un fabricant d’étoffes riches ne dépend pas de la publicité de l’industrie ni d’une concurrence ostensible, mais bien d’une exécution secrète." De son côté, l’Ecole des Beaux-Arts, dont l’origine remonte à une école gratuite de dessin créée en 1798 sur la demande des fabricants et dessinateurs en soierie, enseigne assez peu l’art appliqué. Seule ou presque l’Ecole supérieure de commerce et de tissage de Lyon fondée en 1872 sous l’égide de la Chambre de commerce, comprend depuis 1876, à côté des cours purement commerciaux, une section industrielle, où l’on enseigne aux apprentis patrons la théorie et la pratique de la fabrication de la soie.
En 1847, avec l’aide financière de la même Chambre de commerce, la municipalité a bien créé des cours de théorie pour le tissage qui se tenaient au Palais des Arts. Interrompus de 1852 à 1859, ils sont définitivement suspendus en 1879, quand le professeur Audibert, payé 500 francs l’an par la Chambre de commerce, demande à être aussi rémunéré par la Ville. Le conseil municipal fait la sourde oreille ; Audibert démissionne, alors que 117 élèves signent une pétition pour se plaindre de la suppression des cours. Le préfet est saisi. En octobre 1880, la commission des Intérêts publics de l’assemblée municipale conclut par la voix de son rapporteur, Edouard Aynard, à la nécessité de créer à Lyon une Ecole de tissage qui serait confiée à la Société d’enseignement professionnel du Rhône. L’idée est acceptée par le conseil municipal... Mais rien ne se passe.
Une école est née
C’est l’année suivante que la nouvelle municipalité dirigée par le maire Gailleton reprend la question et nomme une commission spéciale présidée par l’industriel Arlès-Dufour.
Elle établit un programme d’enseignement, fixe la liste du personnel à recruter et chiffre les dépenses. Mais ce n’est que deux ans plus tard, lors de la séance du 14 décembre 1883, que Gailleton présente le projet à ses conseillers qui l’acceptent, alors que le professeur Loir, qui enseigne déjà à la Martinière et à la Société d’enseignement professionnel du Rhône, a repris les cours abandonnés par son collègue Audibert, pour les années scolaires 1881-1882 et 1882-1883.
Le texte officiel énonce ce qui sera le credo de l’Ecole de tissage, des décennies durant : "la base fondamentale de l’institution est l’enseignement théorique et pratique du tissage et de toutes les industries accessoires. Cet enseignement ne saurait toutefois être limité à l’étude exclusive du maniement d’un métier ; il comporte d’autres connaissances qui ne sauraient être exclues sans préjudice sérieux pour l’instruction des élèves. Il n’est pas permis aujourd’hui d’ignorer les principes fondamentaux de la teinture, du moulinage, de la filature de la soie ; il est également indispensable de posséder des notions un peu précises de mécanique et de physique ; enfin quelques notions de droit commercial, de comptabilité, de géographie commerciale, la connaissance d’une langue vivante seront d’un précieux secours aux jeunes gens qui se destinent à la carrière commerciale."
L’enseignement du tissage
Un directeur, des chefs d’ateliers, des élèves
Les cours diurnes, destinés à des élèves de 14 ans au moins et 16 ans au plus, seront étalés sur deux ans, recevant les jeunes gens titulaires du certificat d’études primaires, Français et nés de parents lyonnais ou résidant à Lyon. Ils seront doublés par des cours du soir concernant la théorie, pour les ouvriers et chefs d’ateliers qui ne peuvent suivre les cours de jours. Véritable cours de vulgarisation, cet enseignement sera accessible à tous. L’ensemble des cours sera gratuit, avec possibilité de bourses qui "pourront être accordées aux élèves les plus méritants et peu fortunés." Quant au corps enseignant, il comprendra un directeur, un sous-directeur, quatre chefs d’ateliers, neuf professeurs et un concierge.
Reste à trouver un lieu, situé "sur les limites du premier et du quatrième arrondissement, au voisinage de la Croix-Rousse, côté est", car l’hypothèse d’une collaboration avec l’École d’enseignement professionnel du Rhône a disparu avec le temps.
Or justement, en juin 1881, un groupe de chefs d’ateliers, désireux d’adapter de petits moteurs mécaniques aux métiers à bras des ateliers familiaux, ont créé, avec l’aide la Chambre de commerce, une Société de crédit pour les petits ateliers de tissage mécanique, destinée à consentir des prêts aux tisseurs désireux de s’équiper. Elle organise elle-même dans un immeuble sis 2 place Belfort, deux ateliers de démonstrations comprenant dix métiers mis en mouvement par des moteurs à gaz. Ce sont ces ateliers, transformés et agrandis à la suite d’une convention signée en 1884 entre la Ville et la Société de crédit, qui vont servir de locaux à la nouvelle École de tissage.
Succès immédiat
Très vite, l’école voit ses effectifs augmenter, en particulier pour les cours de théorie du soir, destinés aux adultes, qu’il faut étaler sur trois ans, puis compléter par un cours de tissage pratique.
En 1889 est créé un cours du jour destiné aux jeunes gens ayant terminé leurs études secondaires et se destinant aux emplois dans la fabrique lyonnaise. En 1890, c’est la création d’un cours de dessin industriel, en 1892, celle d’un cours de broderie selon le système Saint-Gall, en 1897, celle d’un cours de garage destiné à former des mécaniciens-gareurs s’occupant de l’entretien des métiers à tisser...
En 1914, les cours durent de 8 à 12 heures et de 14 à 18 heures. Ils comprennent la théorie du tissage (15 heures hebdomadaires), la pratique du tissage, sur métiers à bras et sur métiers mécaniques (24 heures hebdomadaires), le dessin de fabrique et de mise en carte (3 heures hebdomadaires). L’Ecole municipale de tissage et de broderie de Lyon regroupe alors 27 élèves en cours du jour et 432 élèves en cours du soir et du dimanche. Ce dernier chiffre grimpant à 1 067 pour la meilleure année scolaire de l’école : 1926-1927. A cette date, le programme des cours du jour comprend "des cours d’histoire de la décoration des tissus, étude qui est faite à l’aide de matériaux de projection et de visites aux musées lyonnais" déclare le directeur Félix Guicherd, dans les colonnes du Nouveau Journal, le 16 février 1926.
Dans les locaux de la place Belfort, l’Ecole possède à la fois des vieux métiers à bras conservés à titre d’exemples et toute une série de métiers mécaniques représentant les divers types utilisés dans l’industrie, avec le soucis constant de suivre l’évolution des techniques. L’un de ces métiers sert aux élèves à se faire la main : ils le démontent et le remontent plusieurs fois dans l’année. A côté des métiers se trouvent différentes machines préparatoires : bassine de filature, banque de moulinage en réduction, mécanique à dévider, cannetière, ourdissoir mécanique offert par la maison Diederischs, après avoir été présenté à l’Exposition de 1894...
Foulards, Damas et brocatelles
Par tradition, les élèves s’essaient d’abord au tissage des étoffes unies, mousselines, taffetas, serges, reps... Puis ils passent aux façonnés, foulards, damas, brocatelles, étoffes d’ameublement, velours de Gênes... Les dessins sont exécutés par les écoliers du cours de dessin de mise en carte, quelques uns sont des travaux de professeurs, où encore des élèves de l’Ecole des Beaux-Arts. Les sujets les plus divers sont traités, autant profanes que religieux, avec une prédilection pour les portraits des présidents de la République, voire de chefs d’état étrangers, les monuments de la ville et, bien sûr, le portrait de Jacquard, tissé d’après le fameux tableau de Jean-Claude Bonnefond. En 1906-1907 – année ou entre à l’école le premier élève étranger, un Espagnol –, la traditionnelle médaille de fin de scolarité est remplacée par un diplôme tissé.
Une école et sa bibliothèque
Un architecte au service de la ville
Rapidement, l’École s’est trouvée trop à l’étroit dans les vieux locaux de la place Belfort. En 1927, avec l’aide de l’État, qui prend en charge la moitié des frais de construction, la Ville décide d’élever un nouveau bâtiment plus spacieux cours des Chartreux, face à la colline de Fourvière. Le maire Herriot s’adresse pour cela à son architecte favori, Tony Garnier, qui rêve d’abord d’une vaste École d’enseignement théorique et pratique des arts. Elle réunirait là l’École de tissage et l’École des Beaux-Arts, qui gîte tant bien que mal au Palais des Arts.
Ce vaste projet, qui effraie un brin la municipalité, n’aboutit pas et l’architecte-humaniste construit finalement un seul bâtiment sobre et rectiligne comme il en a le secret, qui est inauguré le 12 mars 1934 dans le cadre des manifestations marquant le centenaire de la mort de Jacquard. Clairs, modernes, spacieux, les locaux abritent 4500 mètres carrés d’ateliers climatisés. L’organisation des cours est sensiblement modifiée : les élèves sont regroupés en quatre sections dont trois, dites de plein exercice (section normale en deux années, section d’une année "ouverte aux jeunes gens qui possèdent à leur admission une expérience pratique satisfaisante de la manœuvre du métier à tisser", section spéciale pour les élèves de l’École supérieure de commerce de Lyon), visent les jeunes gens âgés de 16 ans révolus, admis sur examen. "Le nombre est limité et les étrangers sont admis dans la limite des places disponibles, s’ils possèdent les connaissances générales du niveau du baccalauréat." L’inscription est payante. Quant à la quatrième section, destinée aux jeunes employés de l’industrie ou du commerce, elle est constituée de cours du soir et du samedi après-midi, répartis sur quatre ans.
En fait, du moins dans un premier temps, ce beau bâtiment a quelque mal à se remplir : la grave crise de 1929 a durement frappé la capitale de la soie : pour l’année scolaire 1934-1935, le nombre d’élève est tombé à 11 pour les cours du jour et 62 pour les cours du soir.
Du coup, la municipalité décide de faire cohabiter cours des Chartreux l’École de tissage avec l’École des Beaux-Arts, chassée du palais Saint-Pierre pour des raisons d’exiguïté et de sécurité. Dès 1936, il faut abattre plusieurs cloisons, en élever d’autres et déménager quelques ateliers, car l’École des Beaux-Arts a choisi la meilleure partie des bâtiments : la façade principale, au troisième étage. Elle y restera jusqu’en 1960.
Une bibliothèque consacrée aux arts
En décembre 1886, un vote du conseil municipal a permis la création de la bibliothèque et du musée, prévus dès les origines. La bibliothèque est d’abord bien modeste – un récolement de mai 1904 signale seulement 94 volumes – mais accumule rapidement les ouvrages en la matière, tels le Traité des matières colorantes artificielles dérivées du goudron de houille de Bolley et Kopp, les Progrès de l’industrie des matières colorantes artificielles du chimiste Adolphe Wurtz ou le Traité des matières colorantes du blanchiment et de la teinture du coton d’Adolphe Renard. Spécialiste en la matière, le docteur Antonio Sansone est présent avec plusieurs ouvrages ornés de superbes échantillons, comme sa Chimie de la teinture. Dans le cadre du fonds Théodore Bon, la bibliothèque de l’École de tissage possède également toute une série de recueils du Second Empire provenant pour la plupart des archives de la maison lyonnaise Ronze et Vachon et dont certains ont d’abord appartenu à d’autres soyeux. Des pièces antérieures ont par ailleurs été acquises par Théodore Bon auprès de M. Meyssin, ancien professeur de théorie de la Fabrique.
Au sein de la bibliothèque que constitue l’École, les ouvrages sur les étoffes et le tissage occupent donc le premier rang. Elle s’enrichit bien sûr de superbes volumes abondamment illustrés, évoquant les arts décoratifs à travers les époques et les styles. Des décorations égyptiennes aux céramiques anciennes du Pérou, en passant par les vêtements japonais. Des broderies tchécoslovaques aux soieries marocaines. Des étoffes byzantines aux tapisseries coptes, particulièrement prisées.
On y trouve aussi des ouvrages historiques, comme l’Encyclopédie méthodique écrite par Roland de la Platière, futur ministre de Louis XVI, ainsi que des ouvrages de travail avec la Théorie du tissage des étoffes de soie du professeur lyonnais Jean Loir, l’Atlas d’armures textiles du Stéphanois Fressinet, et l’ABC du tisseur d’Edmond Leclerc, ou bien encore des ouvrages de référence comme L’Art du fabriquant d’étoffes de soie de Paulet et L’harmonie des couleurs du décorateur Edouard Guichard qui édicte les canons obligés dans l’art d’associer les teintes pour les tentures murales, les rideaux et portières, les portes, corniches et... l’habillement des femmes.
L’art contemporain n’est point absent, variant avec les goûts du jour, en une multitude de planches aux rutilantes couleurs comme les Variations d’Edouard Bénédictus, ornées de pochoirs dûs à Saudé, qui proposent 86 motifs décoratifs ou les Bouquets et frondaisons de Seguy. La revue mensuelle des Travaux artistiques offre régulièrement une moisson de dessins grandeur d’exécution, valables pour le bois, le cuir, les métaux, la corne, les étoffes, les broderies... Quant aux Intérieurs en couleurs, ils reflètent en 50 planches les tendances qui triomphent à l’Exposition des Arts décoratifs de Paris en 1925 où s’illustre également un architecte : Tony Garnier.
G.C.
Plaidoyer pour une école
L’industrie lyonnaise de la soie au point de vue de l’art et de l’enseignement technique
"[...] En terminant mes observations, ma première conclusion sera donc celle-ci : que l’instruction et l’éducation générales chez nous sont, malgré quelques progrès accomplis, dirigées dans une tendance contraire, presque hostile au développement de notre industrie et de notre commerce ; qu’ainsi nous manquons des éléments et surtout des bons éléments de recrutement, qui trop souvent vont se perdre sans profit dans les carrières libérales encombrées. Les autres conclusions seront : qu’il faut maintenir et développer nos quatre grandes et excellentes écoles : la Martinière, la Société d’enseignement professionnel, l’Ecole centrale lyonnaise, l’Ecole supérieure de commerce.
Il faut instruire nos ouvriers. Je n’en ai pas encore parlé, peut-être parce qu’ils sont trop connus. Je n’ai en vue que ceux de la ville, qui constituent une petite élite, qu’il faut précieusement conserver parmi nous. Héritiers comme leurs patrons des plus belles traditions, obligés par l’organisation particulière du travail de Lyon qui en fait des entrepreneurs de main-d’œuvre de déployer une intelligence bien supérieure à celle de l’ouvrier d’usine, ces travailleurs de la Croix-Rousse forment un type remarquable qu’il faut maintenir : dispersés en petits ateliers, ils conservent ce travail en famille, source de moralité et d’honorable indépendance. Les fabricants ne sauraient trop apprécier ces collaborateurs que rien ne remplacera s’ils viennent à disparaître. Qu’on les aide, en développant leur instruction, en leur donnant les moyens d’étudier toutes les transformations de leur industrie. Pour cela, on devrait établir à la Croix-Rousse une institution d’enseignement général, qui ne fût pas précisément une école, car la meilleure et la véritable école du tisseur sera toujours l’atelier. Cette institution comprendrait : un cours de théorie de fabrication et de tissage de la soie, professé le soir, un atelier d’expérimentation, réunissant et mettant à l’épreuve tous les métiers, les moteurs, les engins nouveaux de tous genres, une collection technique et artistique se rapportant à la soie.
Déjà plusieurs fois le Conseil municipal s’est occupé de cette question ; on prends des résolutions, on vote même des crédits, mais rien ne se fait. L’atelier d’expérimentation de la place Belfort prouve que l’initiative privée a marché plus vite.
[...] On devrait aussi user de ce puissant moyen d’enseignement artistique, employé si largement par l’Angleterre et l’Allemagne, qui consiste à juxtaposer les écoles aux Musées. Point n’est besoin que ce soient des musées composés d’œuvres originales ; des collections de copies et surtout de moulages suffisent pour l’éducation générale. C’est ainsi qu’on pourrait placer une école aux portes du Musée d’art et d’industrie et qu’on devrait créer un établissement de même nature servant à l’instruction populaire dans les quartiers de la Guillotière et des Brotteaux, pendant que le prix des terrains le permet encore.
Enfin, si l’on veut le développement véritable des arts industriels, il faut honorer davantage ceux qui l’exercent. Il faut que celui qui crée une belle étoffe, une belle pièce d’orfèvrerie ou un beau meuble, soit au moins encouragé à l’égal d’un médiocre paysagiste. Lyon devrait avoir son salon annuel des arts industriels, à côté de son salon de peinture.
J’ai terminé, Messieurs, et je n’aurai pas trop mis à l’épreuve votre bienveillante attention, si j’ai pu vous persuader d’une seule chose : c’est que nos industriels de la soie ne doivent plus compter ni sur leur traditions, ni sur l’avance acquise, ni sur une sorte d’intuition ou de génie particulier pour la création de produits où l’art et le goût resteront toujours associés. Là ils sont battus en brèche, comme sur d’autres points, par les étrangers dont le goût se forme de jour en jour, dont la science commerciale s’accroît de plus en plus. Demain, nous serons peut-être égalés dans le goût, aujourd’hui nous sommes déjà distancés dans l’art du commerce. Nous avons d’excellents ouvriers, d’excellents employés ; les chefs doivent se mettre à la hauteur des difficultés, toujours plus grandes, de leur industrie. C’est la valeur comparée des hommes, se formant dans une large mesure par une instruction supérieure, qui de plus en plus, décidera de notre sort et de celui de nos rivaux."
Observations présentées à la séance du 26 janvier 1883 de la Société d’économie politique de Lyon par Edouard AYNARD.
Aller plus loin
Consulter la base textile
La base Textile propose un ensemble de documents, textes et images, sur les techniques de fabrication des étoffes, les colorants, la sériciculture. Le cœur de cette base est constitué par la bibliothèque de l’école de Tissage qui disparaît en 1984. Les collections les plus anciennes rejoignent celles de la Part-Dieu, soit environ 7 000 titres du XVIIIe siècle à 1960. La base Textile est développée en partenariat avec l’Institut Textile et Chimique de Lyon, la seule école d’ingénieurs héritière des écoles de textile, cuir et chimie fondées à Lyon depuis plus d’un siècle par des professionnels.